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ENS Lettres et Sciences Humaines

 

 


L’émigration, lieu de rencontres culturelles :
le Studio franco-russe, « tribune libre »[1] des années 1930

 

Tatiana VICTOROFF
Université Strasbourg II-Marc Bloch

 

Les rencontres entre écrivains et penseurs russes et français dans les années 1930 (Nadežda Tèffi, Mark Aldanov, Gajto Gazdanov, Marina Cvetaeva, Nina Berberova, etc. d’une part et André Malraux, André Maurois, Gabriel Marcel, etc. de l’autre) rendues possible par l’émigration russe, ont été un événement culturel majeur. Dans le cadre du Studio franco-russe, qui en était le lieu privilégié, divers sujets culturels étaient librement débattus dans la double perspective du regard russe et du regard français. Les sténogrammes de ces soirées ont été publiés par Marcel Péguy dans les Cahiers de la Quinzaine, qui sont devenus une rareté bibliographique.

Dans notre communication nous chercherons à montrer, à partir de l’étude analytique de trois de ces réunions, qui abordent des questions de civilisation (« Orient et Occident »), de littérature (« Le symbolisme français et le symbolisme russe ») et de spiritualité (« Le renouvellement spirituel en France et en Russie »), comment à travers ces débats, considérés au début comme un simple « échange de vue sincère et profond », les visions tendent à « se rejoindre sur certains points »[2] dans le contexte d’un « héritage culturel unique ». L’importance de ces rencontres est sensible à travers leur écho dans la presse de l’émigration russe (Poslednie Novosti, Vozroždenie, Segodnja, Rossjia i Slavjanstvo) et la presse française (France et Monde) et par la publication en français d’une série d’auteurs russes.

Pour la première fois, la recherche d’une possible « compréhension réciproque » n’est pas seulement le fait d’individualités comme Boris Zajcev, Grigorij Adamovič, Nikolaj Berdjaev, Georgij Fedotov, Paul Valéry, Georges Bernanos, Jacques Maritain dans le cadre de rencontres privées, mais fait l’objet de discussions dans des cercles culturels assez larges sous la forme de conférence où, selon l’espoir des participants, « les rencontres des écrivains pourraient préparer les rencontres des littératures » (Nikolaj Daškov).

Ainsi se précise l’enjeu principal de ces échanges, quelle que soit leur intention initiale - de la connaissance littéraire à la « collaboration intellectuelle » (Igorʹ Goleniščev-Kutuzov), jusqu’à l’« espoir d’un rapprochement » (Vladimir Vejdle) - le centre de gravité de la littérature russe se trouve projeté, et essaie de s’inscrire, dans l’« espace littéraire mondial », où Paris demeure la capitale universellement reconnue et « donne l’existence littéraire aux écrivains des pays les plus éloignés des centres littéraires »[3].

 



Tatiana Victoroff

Tatiana Victoroff est maître de conférences en littérature comparée à l’université Strasbourg II-Marc Bloch.

Docteur de l’université d’État de Moscou en littérature étrangère, elle a consacré sa thèse à la Typologie du genre du Mystère dans les dramaturgies anglaise et russe de la première moitié du XXe siècle (Ch. Williams, D. Sayers, Ch. Fry et E. Kuzmina-Karavaeva).

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Dernières publications :

« Les “ courts-métrages ” littéraires comme forme d’actualisation de la mémoire : Le Maître de Musique d’Alexis Remizov » (Colloque Littérature de l’exil, épreuve de la fiction, 23 mai 2003, INALCO). Le texte est publié en ligne sur le site : http://www.vox-poetica.org

« La “ Cité Nouvelle ” : entre utopie et incarnation » (Colloque international L’idée du bonheur dans la modernité russe, université Lyon III, 2-4 avril 2003). À paraître dans Modernités Russes, 2004.

« Influences françaises dans l’œuvre poétique d’Elizabeth Kouzmina-Karavaeva » (Colloque international Poésie russe - Poésie française, université Paris IV-Sorbonne, 14-16 mars 2002). À paraître dans les Actes du colloque, 2004.


[1] Wsevolod de Vogt, France et Monde, XXII-1, p. 10.

[2] L’Orient et l’Occident. Neuvième cahier (XXe série), 5 juin 1930, Cahiers de la Quinzaine, Paris,

1930, p. 61.

[3] Pascale Casanova. La République Mondiale des Lettres, Seuil, 1999, p. 230.