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ENS Lettres et Sciences Humaines

 

 

 

D’une culture àl’autre : parcours d’Anatolij Levickij et Boris Vil’de, réfugiés russes et résistants du musée de l’Homme

Anne HOGENHUIS
Commission de publication des Documents diplomatiques français, ministère des Affaires étrangères, Paris

 


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Mots-clés : émigration russe, musée de l’Homme, Résistance, pays baltes, chamanisme

 

La biographie d’un héros n’explique pas son acte. Ce geste, le don de soi, il en assume spontanément les conséquences. Quel besoin aurait-t-on d’une biographie pour celui qui accompli un acte héroïque, le podvig (« exploit ») russe, celui qui par un geste inspiré détourne l’opprobre qui s’abat sur un peuple, donnant au passage sa vie en offrande ? Son geste, qui vient du cœur, a-t-il besoin d’être expliqué par des motifs et des raisons peut-être contingentes ? Mais pourtant, pour exprimer nos sentiments, respect et admiration, nous avons besoin d’une icône aux traits identifiables. Nous cherchons à situer l’action à la lumière de ce qui pouvait l’annoncer. En retraçant le peu que l’on sait à ce jour des vies d’Anatole Lewitsky et de Boris Vildé1, notre propos est de mieux comprendre leur place dans la société qui les entourait ainsi que dans le courant de l’histoire qui les a emportés vers une destinée hors du commun.

Levickij et Vil’de sont révérés comme héros de la Résistance française, organisateurs du réseau du musée de l’Homme, auquel tous deux étaient liés en leur qualité d’ethnologues, tous deux fusillés par les Allemands le 23 février 1942 au Mont-Valérien. Tous deux étaient nés en Russie, de parents russes, de religion orthodoxe, y avaient vécu la Grande Guerre, la guerre civile puis avaient émigrés, adolescent ou enfant, en Suisse pour l’un, en Estonie pour l’autre, une première halte sur le chemin d’un exil qui devait les mener à Paris, où ils se rencontrèrent dans les années 1930, alors que s’y profilait déjà l’ombre de la guerre suivante. La capitulation de l’armée française, puis l’occupation militaire de la moitié Nord de la France les ont amenés à organiser un mouvement de résistance, un des premiers de ce nom, tiré du titre d’un journal éponyme, devenu depuis le réseau du musée de l’Homme, lieu au nom prédestiné où devait s’accomplir leur destinée commune.

Sur l’un comme sur l’autre, on ne sait que peu de choses. L’un comme l’autre se sont montrés très discrets sur leur vie privée, ses amitiés, ses préférences. Ce que nous en savons de leur part provient d’abord des écrits laissés par eux. Pour Vil’de, ses carnets de prison2, quelques poèmes, quelques articles, quelques lettres, inédites à ce jour, les unes, conservés au musée qui porte son nom à Iastrebino, en Russie, les autres au musée de l’Homme, à Paris. Pour Levickij, ses listes de lecture, ses cahiers de cours, les notes prises en vue d’une thèse et quelques articles, des réflexions éparses, ont été soigneusement classés aux archives du musée de l’Homme.

Des témoignages, s’y ajoutent, en russe et en français, rédigés a posteriori, après que se furent achevé leur parcours et avérée la valeur de leur personne. Citons, pour Vil’de, ses amis russes, qui en ont le mieux parlé, deux ouvrages, celui de Vasilij Janovskij3, le plus riche en anecdotes et détails humains, celui de Vladimir Varšavskij4, plus hagiographique. Quelques rares notations chez d’autres mémorialistes russes de l’époque. En français, quelques lignes dans le journal d’André Gide, un témoignage non publié, en français, le récit fait par sa belle-sœur Evelyne des journées autour du 23  février 1942. Pour Levickij, son nom est quelque fois cité par les auteurs russes, mais ce sont ses collègues du musée de l’Homme qui en ont le mieux parlé, encore que succinctement. Michel Leiris, Jean Paulhan et les annotations de l’ethnologue Jean Jamin5. Un texte à sa mémoire écrit par Marcel Mauss est inaccessible au Collège de France. D’autres témoins, ceux des années de clandestinité, ont évoqué avec enthousiasme leurs personnes, mais sans connaître leur trajectoire ni leur passé et versent parfois dans la légende6.

En ce qui concerne les fonds d’archives, celles du musée de l’Homme ont été évoquées plus haut. Dans les fonds du ministère des Affaires étrangères, à Nantes, aux archives rapatriées des postes diplomatiques ainsi qu’à celles du service des Œuvres se trouvent des documents concernant les missions de Vil’de en Estonie et en Finlande ; à Paris, les dossiers relatifs à l’Estonie. Sur le procès, les sources allemandes versées aux Archives nationales contiennent les pièces telles qu’elles ont été communiquées à Fernand de Brinon, recours et plaidoiries des avocats inclus, ainsi que la correspondance à ce sujet avec le haut commandement militaire allemand à Paris7. Ces éléments se recoupent avec le journal tenu par Ernst Jünger à Paris ainsi qu’avec celui de l’aumônier de la Wehrmacht, Franz Stock, publiées sous forme de récit en 19928. Posthume également, aux archives de la Défense nationale, se trouve le dossier des homologations au ministère des Forces Armées. Les recherches au SHAT9, sur d’éventuels rapports d’attachés militaires en pays baltes n’ont rien donné.

Parmi les études, dans Liberté de l’Esprit, deux articles biographiques, celui d’Yves Lelong sur Vil’de, et, bien plus consistant, celui de Patrick Ghrenassia sur Levickij10. Enfin, sur le réseau, la publication la plus connue, celle de Martin Blumenson11, dresse un tableau synchronique des activités de tous les participants proches et lointains qui ont eu une relation avec le réseau : nous ne reviendrons donc pas sur l’histoire événementielle.

Donc, des données, disparates, incomplètes, parfois décevantes, dont ressortent deux vies, différentes au possible. L’une calme, ordonnée, et placée sous une étoile faste, faite pour le bonheur, la philosophie et l’amitié. L’autre, la solitude, les coups de tête, le pari, l’aventure, la mythologie telle que la cultivera André Malraux...

Le 23 février 1942, leur parcours s’achève au Mont-Valérien sous les balles d’un peloton d’exécution allemand. La gloire de leur conduite courageuse et pleine d’abnégation rejaillira sur le musée, dont leurs noms pour la postérité restent inséparables, comme le resteront leurs deux vies, liées par ce cadre, encore que leurs histoires individuelles aient pris des voies et des détours très différents pour les y amener. Pourtant, les détails importent peu face à l’intérêt que suscite leur trajectoire intellectuelle et mentale. Enfants de leur époque, ils y ont occupé une place que seul le recul du temps permet d’appréhender, car elle se situe à la croisée des courants qui ont traversé le xxe siècle.

L’essentiel des données biographiques de Levickij s’ordonne sans grande difficulté12, même si des trous d’ombre demeurent. Tandis qu’autour de lui les coups du destin pleuvent, il n’en poursuit pas moins sa route, avec confiance et optimisme. Son passé familial et culturel russe lui sert de point d’essor. Sa curiosité naturelle l’ancre dans l’étude des sociétés humaines. Son caractère heureux lui permet de trouver auprès de ses semblables une place naturelle et d’y agir en vertu de ses principes qu’il vérifie à la lumière des sciences humaines.

Selon son certificat de baptême, qui fait office de fiche d’État civil, Levickij est né le 22 août 1901, dans le village de Bogorodskoe (devenu Krasnovo), de la région de Moscou, fils d’Aglaida Ivanovna Listovskaja et de Sergej Aleksandrovič, de noblesse héréditaire, docteur en droit, avocat. Son grand-père est conseiller d’État actuel. Il a un frère, Jurij Rogala-Levickij, que l’on retrouve aussi à Paris. Les Levickij, vieille famille polonaise portent le blason des Rogala et utilisent au choix un nom ou l’autre. Une sœur aussi, dont nous ne savons pas grand chose, de même que nous ne savons rien sur les études secondaires d’Anatolij en Russie, sinon qu’elles sont classiques, car il maniera le grec et le latin. À dix-sept ans, pendant la guerre civile, il quitte Moscou, vraisemblablement avec ses parents. Il a vécu de près les péripéties de la terreur bolchevique. Il consignera dans une courte nouvelle un voyage en train marqué par la crainte d’être découvert comme ci-devant par des soldats rouges, qui sont des gens du peuple et à ce titre éveillent la sympathie. Si déception il y a eu lors de l’échec des blancs, elle est passée sous silence. Le malheur n’est pas politique, le malheur vient d’avoir à quitter un pays que l’on aime.

On ignore tout de l’itinéraire de la famille. Les poèmes de Jurij Rogala-Levickij évoquent Constantinople, mais comme l’Égypte et l’Inde le sont aussi, on ne peut s’y référer utilement. En 1923-1924, on retrouve Levickij en Suisse où la famille possède un chalet, transformé en pension de famille. Il commence alors ses études à Lausanne, à l’Institut des hautes études sociales et commerciales. Il les finance lui-même. Des notes sur une leçon de démographie, datées de cette période, sont rédigées au verso d’une lettre publicitaire pour la cire à parquet antiseptique Riva, signée « A. Levitsky. Hôtel Royal. Clarens ».

De son année à Lausanne, le jeune homme conservera tous ses cahiers et les notes de cours auxquels se mêlent quelques textes plus anciens. Le soin avec lequel il annote la liste du corps enseignant suggère que des relations personnelles s’établissent avec certains maîtres. Soigneusement conservés au musée de l’Homme, les cahiers de textes, les manuscrits littéraires et les ébauches destinées à des œuvres futures offrent une cohérence si parfaite qu’on ne peut qu’y voir que la projection d’un caractère harmonieux, où les éléments s’imbriquent avec naturel et facilité, dirait-on si l’on ne notait déjà la réserve et le sens du secret. Parmi ces textes de jeunesse, une étude historique sur les cosaques, vers 1918, quelques nouvelles inédites, le début d’une pièce de théâtre, tous rédigés en russe, ces récits d’une forme très classique, riches en émotions, évoquent le peuple, la nourrice (njanja), Dieu...13

À Lausanne, il aime particulièrement la sociologie et l’histoire ainsi que les incursions dans le monde de la théorie économique. Il découvre Auguste Comte et la loi des trois états : l’apport est capital, la pensée de Levickij se placera désormais sous le signe de l’évolution. Des notes et un cahier à cet effet dressent des programmes de lecture pour couvrir la littérature universelle, façon début du xxe siècle, c’est-à-dire européenne. Ce sont des préparations à l’action, mais, pour quoi faire ?

Une première clé nous est livrée par une citation de Balzac, recopiée à l’âge où l’on cherche à se forger des règles de vie tout en se demandant si elle vaut la peine d’être vécue. Le passage est tiré d’un commentaire au Lys dans la vallée, sans référence précise :

[...] La noblesse a péri en 1789 en tant que privilèges ; aujourd’hui, il n’y a plus dans un vieux nom que l’obligation de se faire un mérite personnel afin de reconstruire une aristocratie avec les éléments de la noblesse. M. de Chateaubriand, M. de Lamartine dans les lettres, M. de Talleyrand dans les congrès, beaucoup de généraux et de colonels de vieille roche sur les champs de bataille ont montré par quelle voie il faut procéder pour refaire l’édifice abattu [...].

La transposition est trop évidente pour qu’on la commente.

La seconde citation provient de Rudolf Steiner, l’anthroposophe qui se voudrait continuateur de Goethe et qui au début du siècle a marqué de son influence la jeune génération d’intellectuels russes plus ou moins tolstoiens. Elle est extraite de La voie vers la consécration (Put’ k posvjaščeniju), chapitre X, qui se traduit ainsi du russe : « La religion doit devenir le reflet de l’effort spirituel dans les plus hautes sphères, qui rend l’action possible. »14 L’effort spirituel n’est-il pas celui que l’on s’impose à soi-même pour répondre à l’exigence d’harmonie universelle ? En même temps, c’est un sens d’une religion très concrète, fondée sur la lumière.

Le sentiment religieux de Levickij traverse la plupart de ses écrits, sans se situer dans le sillage d’un rite particulier. Le jeune homme a marqué ses distances avec la hiérarchie de l’Église russe ancienne, il mentionne l’Église catholique sans s’y joindre. Disons qu’il s’agit d’un sentiment d’évidence intime d’un monde invisible et supérieur, qui procéderait d’une intuition directe plutôt que d’une référence platonicienne. Il cite à cet égard Maître Eckhart : « Dieu fit l’âme tellement semblable à lui-même qu’il n’y a rien dans le ciel et sur la terre qui soit aussi similaire à Dieu que l’âme humaine. »15 Ainsi, dans les textes de jeunesse, on retrouve des germes semés par la culture européenne, dans la lointaine Russie, qui, irradiés par la culture russe, reviendront se fondre dans le contexte intellectuel français.

Puis la pension familiale fait faillite et Levickij déménage à Paris. Vraisemblablement, il entreprend ses études à la Sorbonne sitôt après. Il doit travailler la nuit comme chauffeur pour assurer sa subsistance et celle des siens, (son père entre-temps s’installe à Boulogne). Sept ans passeront avant que ses études de sociologie, psychologie, ethnologie et histoire des religions ne soient couronnées, le 26 novembre 1931, par la licence ès lettres, diplôme signé en 1932 par Anatole de Monzie, ministre de l’Éducation nationale. Levickij obtient également un certificat d’études supérieures et un diplôme de l’Institut d’ethnologie de Paris, option Océanie et Indochine.

Les nombreux changements d’adresse attestent une vie difficile. Les adresses changent presque tous les ans. En novembre 1931, il est à Paris, rue du Sommerard, dans le Ve arrondissement, à deux pas de la Sorbonne. Ne déménagerait-il pas à la cloche de bois ?16 Ces années sont difficiles, mais l’étudiant retrouve son sujet de prédilection, la sociologie, avec les cours de Mauss dont l’enseignement aura une influence décisive sur sa vie. Il lui permettra d’intégrer son expérience personnelle d’émigré dans un schéma explicatif satisfaisant et de se délivrer ainsi des blocages et des tentations de repliement sur un passé qui perdure dans son entourage.

Car, lorsqu’il arrive à Paris, il est plongé dans la société émigrée russe et en un premier temps, il en a suivi les débats et gardé le vocabulaire. Les émigrés se sont regroupés selon des principes divers en organisations plus ou moins structurées qui communiquent peu entre elles. Ils s’opposent sur la religion d’abord, s’ils sont chrétiens orthodoxes. En politique aussi, les divise le jugement porté sur la révolution de février 1917 ainsi que sur l’attitude à tenir envers le gouvernement soviétique. Certes, la masse des réfugiés n’entre pas dans ces débats, trop occupée à survivre. Mais ce sont eux qui constituent une clientèle fidèle pour les journaux russes, qui participent aux fêtes russes, envoient leurs enfants dans des centres de vacances russes où on leur enseigne les éléments de base d’une culture que tous mettent en exergue, quelles que soient leurs opinions.

À la lumière d’un certain nombre de textes manuscrits, on peut conclure que Levickij participe à cette société et à ses débats. Ces documents peuvent se classer en trois catégories17 :
- Des poésies russes, soigneusement recopiées sur grand format : dont Les Douze (Dvenadcat’) d’Aleksandr Blok, des poèmes très parnassiens de Jurij Rogala-Levickij, d’autres dont l’origine doit être vérifiée. L’ébauche d’une pièce de théâtre aussi ainsi que le début d’une traduction des Souvenirs de la maison des morts (Zapiski iz mertvogo doma), de Dostoevskij.
- Des études (avec nombreux brouillons), destinées à la publication ou à des conférences, en français et surtout en russe, en général non datées, mais que l’on peut échelonner jusqu’au début des années 1930 par leur richesse en connotations ethnographiques, sur des sujets antiques, médiévaux, mais aussi des thèmes contemporains, culturels, sociologiques (la franc-maçonnerie, les sociétés secrètes), essentiellement centrés sur la problématique de l’émigration.
- Des éléments qui semblent destinés à un ouvrage envisagé comme une thèse, en tout cas le grand ouvrage, que préparent les très nombreuses fiches de lecture sur la sociologie de Marx, le marxisme russe, des sociologues marxistes de moindre envergure, les fondements ethnologiques ou sociologiques de l’athéisme. L’ensemble tel qu’il se présente pourrait constituer une explication de l’homo sovieticus18.

Le sujet de thèse rejoint la réflexion sur la culture russe, Levickij s’interroge sur son extinction possible, cherchant les jalons qui témoignent de sa survie dans le système nouveau imposé par le communisme, conscient de ce qu’une branche en survit encore dans l’émigration, à laquelle il participe tout en la contemplant d’un regard distancié.

Car Levickij cherche à définir la situation de l’individu par rapport au groupe, évaluer la possibilité qu’il a d’agir en dehors du groupe social, car il sait l’importance de l’éducation que celui-ci dispense dans la formation de l’idée de liberté. En ce sens un article en russe sur la liberté19, profession de foi antidéterministe, assimile la liberté individuelle ou politique à la liberté du choix, qui naît de la volonté, formule qui paraîtrait scolaire si dans le vocabulaire russe, les deux notions de volonté et liberté n’avaient une expression commune. On pense aux populistes du xixe siècle. Levickij aborde ainsi la relation entre la psychologie individuelle et la révolution. Il pense bien entendu à la situation propre à la Russie et au cas de Nikolaj Buharin, le marxiste humaniste qui se dresse contre les apparatchiks marxistes au pouvoir, auquel sont consacrées plusieurs notes. La relation entre révolution, religion et athéisme passionne Levickij.

Le cadre de l’analyse positiviste tracé par Auguste Comte est bien dépassé. Dans cette réflexion sur la société, Dostoevskij reste le divinateur, celui qui a postulé que sans transcendance tout était permis, prémices que l’on retrouve dans des essais sur l’athéisme et sur le lien dialectique entre morale et mensonge. En ce sens, conclut-il, la schizophrénie (sic) et l’appauvrissement moral de la Russie remonteraient au xixe siècle, avec en particulier, « une sténose de l’appareil religieux »20.

On ne peut éviter de transposer au destin culturel de l’émigration russe les études sur les Hittites et les Juifs ou sur la conservation sociale du peuple juif. À suivre l’idée de Levickij, telle que la restituent les textes sur l’émigration, le rôle de celle-ci n’est pas de reprendre les luttes d’avant 1917. Certes, il accepte que pour les gens âgés, il soit difficile d’y renoncer, mais pour ceux qui disposent d’une faculté d’adaptation, un choix s’impose. Ces dissensions d’émigrés, entre émigrés, sur des questions d’émigrés, absorbent une énergie énorme, et de plus, inutile car il leur suffirait d’imaginer un retour dans le pays regretté pour comprendre l’inconsistance des idées anciennes face à un cadre où tout a changé : il faut au contraire s’instruire sur la marche du monde moderne et alors, éventuellement, pourra-t-on lui être utile21. Lui-même a pris le parti de vivre avec son temps et de chercher à comprendre la société contemporaine. Dans son analyse, les débats de ses aînés prolongent en un écho resserré les fulgurances intellectuelles qui, à la veille de la guerre, avaient atteint en Russie une ultime floraison, signe annonciateur d’un tragique déclin22.

Un article de Levickij précise sa position par rapport aux gens qui brûlent d’agir et se consument pour rien. Il les trouve un peu ridicules et garde ses distances. En effet, conclut-il dans un texte daté de 1931, le monde n’a pas besoin de doctrinaires prêts à la lutte, mais d’hommes qui activement veulent le bien, texte qui rattache Levickij à la grande tradition humaniste du xixe siècle, celles des populistes russes (narodniki), reprise au xxe siècle. Il s’agit évidemment des hommes de bonne volonté, mais aussi, la suite le suggèrera, d’hommes qui veulent le bien pour les autres, sans penser à soi.

Levickij, dans un premier temps, maintient le lien : en témoignent les entrées en russe de ses notes ainsi que les références récurrentes à la problématique russe. Mais s’est-il associé à ce sauvetage culturel ? On peut en douter, car en ce qui concerne les textes de conférences rédigés en russe sur des sujets concernant l’émigration ou la Russie, le problème reste de savoir si elles ont été prononcées et où on cherche en vain le nom de Levickij dans l’index des publications de droite comme de gauche. Fit-il ses débuts au sein de la puissante association des avocats russes dont son père était membre et siégeait au comité directeur ? Comment se situe Levickij par rapport au groupe très culturel Zelenaja Lampa (La Lampe verte), un nom historique repris d’un salon d’opposition auquel participa Puškin, où Levickij pourrait avoir sa place. Ce club, créé sur l’initiative du couple formé par l’écrivain mystico-philosophique Dmitrij Merežkovskij et la poétesse Zinaida Gippius, depuis février 1927 tient ses réunions place du Palais-Bourbon, d’abord dans les locaux de l’Association financière, industrielle et économique russe (où s’abritent aussi un journal et une université pour émigrés), puis chez eux, rue du colonel Bonnet. 

À la lumière des reproches que Levickij adresse aux anciennes sommités politiques, perdues dans leurs abstractions, s’il a franchi leur porte, ce fut sans suite ! Néanmoins, dans ce contexte raisonnable, un document détonne. Une proclamation au peuple russe, soigneusement calligraphiée sur papier glacé, comme le sont les poésies de Jurij Rogala-Levickij, surprend par la force de son élan religieux et monarchique. L’adhésion à cette charte entraîne un engagement secret et sans retour dans un « ordre militant » (orden vernyh)23, sur le modèle des plus romantiques, du moine-chevalier qui remet sa vie entre les mains d’un chef (qu’entoure un conseil de cinq sages) et s’engage à l’obéissance ainsi qu’au secret absolu pour effectuer les coups de main pour lesquels il sera désigné24. Une réminiscence s’impose, le souvenir des groupes terroristes russes du xixe siècle, tout d’ailleurs comme la société secrète fondée, légitimiste, destinée à protéger le trône contre les nihilistes.

On ne peut que s’interroger sur la provenance du texte. Levickij a-t-il fréquenté les associations de jeunes officiers ou le cercle Mladoross ? Même si le jeune homme avait été tenté un moment d’offrir sa vie à une société secrète pour la renaissance de la Russie, il a sitôt après pris ses distances avec les milieux émigrés. Néanmoins, le sens de l’activisme réservé à une élite perdure. Si Levickij avait renoncé à sacrifier sa vie au profit d’une cause immanente, il n’en restait pas moins fasciné par le côté secret d’une fraternité d’armes...

À ce propos, une note sur les sociétés secrètes mérite que l’on s’y arrête25. Les sociétés des hommes, par opposition à celles des femmes, sont presque toujours secrètes, écrit Levickij dans les années 1930, en quoi elles se différencient des confréries, toujours publiques, mais le secret est relatif : « C’est un groupe généralement légal, ayant une action publique, d’ordinaire préparée dans des conditions secrètes. » L’élément important étant le mystère. Les sociétés secrètes concernent en général une élite, avec une sélection et une adhésion volontaire. Selon Levickij, une telle société se sent supérieure à la société générale : « La société secrète comme l’origine de la hiérarchie et de la noblesse héréditaire. » Voilà qui inclut l’auteur de la note dans le tableau qu’il dresse...

À partir de ces prémices la lecture des textes s’oriente d’elle-même dans le sens d’une polarisation pour expliquer et ordonner de façon rationnelle les éléments épars auquel s’est trouvée confrontée l’existence de Levickij. Ainsi, l’analyse sociologique, ethnographique et historique est-elle mise à contribution pour apprécier le marxisme des bolcheviks, analyser le rôle dévolu aux émigrés russes, la nature de l’athéisme et la place de la religion dans le monde, le judaïsme et l’antisémitisme, etc. Levickij a résisté aux tentations d’action subversive que connaissent les jeunes émigrés. Il les a transposées en langage sociologique et tiré une conclusion univoque : l’homme est le sujet de rites et de coutumes qui le différencient historiquement, mais « si l’on veut, ce serait une sorte de révélation par l’évolution, tout nous étant donné en puissance et nous serions appelés à le développer et à le découvrir lentement, exactement comme l’ancienne initiée (sic) découvre la vérité »26.

La pratique de l’ethnologie a mis en perspective la place qui revient aux débats russes et coupe court aux remords qu’il aurait pu ressentir d’avoir abandonné sa communauté d’origine. Sa famille aussi d’ailleurs, dont il s’éloigne sans cesser de la soutenir matériellement, car il se marie. (En 1926, des factures adressées à « M. et Mme Lewitsky » en 1926 à Clamart, rue de Bièvre, le sont l’année suivante, à Saint-Germain, rue de Noailles). Il s’était mis en ménage avec une dame russe, Tamara Lebedeva, mariée à M. Dehaye. Le divorce est enfin prononcé et en 1932, Levickij l’épouse. Mais la jeune femme vient de perdre dans un accident sa petite fille, née de la précédente union, et subit une convalescence difficile. Le couple n’aura pas d’autre enfant et Tamara ne se remettra jamais de cette tragédie27.

Ses études terminées, le jeune ethnologue s’adresse à Paul Rivet, professeur titulaire de la chaire d’anthropologie à l’Institut d’ethnologie qui est aussi le directeur du musée de l’Homme. Il a appris que Rivet se remettait d’une opération après appendicite. Il souhaite à son professeur un prompt rétablissement et saisit l’occasion pour solliciter son aide. Il voudrait obtenir une bourse ou une occupation qui lui permettrait à l’automne de poursuivre ses études et de ne pas en perdre l’acquis.

La réponse de Rivet ne se fait pas attendre. Si Levickij revenait à Paris à la fin du mois d’août, il chercherait un moyen pour l’aider. En effet, un certificat du 16 mai 1933 établi par le directeur adjoint, Georges Henri Rivière, atteste son emploi comme chef du service de l’enregistrement et du magasinage des collections au musée d’Ethnologie. Le 17 octobre, une lettre semblable précise les appointements de 1 000 francs par mois. C’est peu. D’ailleurs les déménagements continuent, le premier certificat le domicilie au Pecq, rue des Grottes, tandis que le second le retrouve à Saint-Germain-en-Laye, avenue des Loges.

Jusqu’au milieu des années 1930, la précarité et le manque de moyens obligeront le jeune ethnologue à pratiquer toutes sortes de tâches subalternes. Elles l’empêcheront de se concentrer sur la rédaction du grand ouvrage qu’il porte en lui. Il est vrai que le musée, à cette date, vit encore pour beaucoup d’expédients. L’essentiel est que Levickij y a trouvé sa place, qui le situe dans le monde du travail comme dans celui des idées.

Au départ, le travail de Levickij consiste à réceptionner les pièces, les classer, éventuellement s’entendre avec les collectionneurs. Plus tard, s’ajoutera leur mise en valeur, l’agencement et l’exposition. Il côtoie ainsi l’auteur des instructions pour le classement, Michel Leiris, ami des surréalistes et d’un Tout Paris intellectuel que Levickij, en marginal, ne fréquente pas, faute de temps et surtout de moyens, mais qu’il finira par intégrer. Les horaires de présence ne sont pas très précis. La direction correspond avec Levickij par petits bleus pour signaler qu’une tâche urgente l’attend. Parfois, il explique qu’il n’a pas pu venir. Il travaille ailleurs.

Le musée prend son essor sous la direction dynamique de Rivet. Alors que des chercheurs allemands sont persécutés par les nazis, il les invite à rejoindre son équipe. Il s’implique activement dans la dénonciation des théories racistes. Il croit fermement au métissage des cultures et des peuples. L’essor pris par l’ethnologie correspond à un intérêt qui se développe dans le public. Rivet obtient la construction d’un nouveau bâtiment sur l’emplacement de l’ancien palais baroque du Trocadéro. Le projet, rediscuté sans cesse, traîne. Tout est à décider, puis à faire marcher. Là aussi Levickij intervient sur les chantiers et discute des arrangements. Dès les débuts, il se rend indispensable, d’abord par sa connaissance des langues : en plus du russe, il parle, dit-il, assez bien l’allemand et il suit des cours pour l’anglais. Mais il s’impose surtout par sa collégialité et son adresse à établir de bons contacts avec l’extérieur. Ses collègues à l’étranger deviennent des amis comme le sont déjà ceux de l’équipe.

Comment évolue, au milieu des années 1930, la pensée de Levickij ? Une problématique se dessine selon trois orientations :
- Le marxisme, le sujet de thèse que Levickij médite depuis le début de ses études, est progressivement abandonné.
- La relation à la Russie est vue dans un contexte ethnographique, surtout après le rapprochement politique de 1935.
- On la retrouve à travers les travaux sur la religion, dans les études sur le chamanisme, vers 1938-1939, qui avalisent l’intégration réussie dans la société intellectuelle parisienne.
Dans ses réflexions sur la culture russe, Levickij s’interroge toujours, à travers son expérience d’ethnologue, sur son extinction possible, cherchant les jalons qui témoignent de sa survie dans le système nouveau imposé par le communisme, conscient de ce qu’une branche en survit encore dans l’émigration, à laquelle il participe tout en la contemplant d’un regard distancié.

Mais de toute évidence, Levickij, tel qu’il se dessine à la fin des années 1930, a depuis longtemps dépassé les horizons balzaciens que s’était tracé le jeune étudiant à Lausanne. Il a laissé à ses palabres le cercle des émigrés qui discutent sur l’avenir de la culture et qui, la plupart du temps, n’ont pas d’enfants. Restent cependant marqués d’intangibles bastions : la fidélité, l’honneur, mais aussi le lien éthique à un ordre transcendant. Aussi peut-on, sans bousculer la chronologie, rappeler une citation recopiée par Levickij dans un cahier de cours. Tirée d’un ouvrage intitulé Morale et réalité, elle se passe de tout commentaire : « Pour que la morale sache imposer le respect, il faut des traditions longtemps constituées ou bien un enthousiasme subit. »28

S’il est sorti des cercles russes émigrés pour se consacrer à l’ethnologie, il s’en est expliqué dans un texte où il rejette l’urgence d’un engagement dans les débats russo-russes. Il lui suffirait, pour réveiller son intérêt, de se retrouver sur le sol de ce pays qu’il ne peut oublier29. Cette éventualité se dessine à partir du milieu des années 1930.

Au musée, Levickij rend des services appréciés puisque, après avoir arrangé, en avril 1933, l’exposition sur les missions envoyées en Afrique occidentale, et en juin de la même année sur les missions à Madagascar, il en prépare une pour janvier 1934 sur l’ethnologie de la Nouvelle-Calédonie, avec Maurice Leenhardt, collectionneur avec lequel il restera lié. Puis, en mai 1934, a lieu une exposition sur le Sahara. L’effort fournit pèse-t-il trop lourd sur les épaules du jeune ethnologue ? En décembre 1934, il tombe malade, assez gravement pour que Rivière, directeur adjoint, s’en inquiète dans une lettre à Madame Levickij : « Tenez-moi au courant, afin que je vois avec le Dr Rivet ce que nous pouvons faire. »30

Parmi les expositions à préparer, celle qui concerne les pays baltes mérite d’être signalée car c’est le seul indice qui offre dans les activités de Levickij une place plausible à Boris Vil’de, que certains disent estonien. Dans un agenda très peu rempli, Levickij note au milieu de l’année 1933, prévue pour février 1934, une exposition sur les peuples des pays baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, qui ne s’ouvrira en fait qu’en mai 1935.

C’est l’époque de la sécurité collective et du pacte franco-soviétique, signé en ce mois de mai 1935, avec toutes les implications stratégiques qu’implique la position géographique des pays baltes. Elle ouvre également la porte à une coopération active entre ethnologues français et soviétiques. Sans tarder, des projets s’élaborent au musée. Rivière visite, en juillet 1936, le musée de Leningrad et une reprise de contacts s’esquisse avec l’ethnologie russe. Il négocie la préparation d’un projet d’exposition à Paris sur les peuples de l’URSS31 à la préparation de laquelle Levickij participe. Sa connaissance du russe le sert. Il aide Rivet en transmettant à l’ambassade de Russie une lettre de recommandation pour les descendants d’un archéologue français mort au Turkestan, Joseph Martin, qui se sont mis en tête de rechercher sa tombe et de faire éditer ses carnets de voyage. Il négocie un prêt de matériel ethnographique russe pour ce projet qui devrait lui permettre de prendre contact avec la réalité concrète de la Russie stalinienne et de satisfaire une curiosité contenue, mais qui n’aura pas eu le temps d’aboutir avant la fin de la décennie32.

Ce sont là des projets, mais en attendant, Levickij oriente ses travaux vers un aspect de la culture russe peu connu en France. Son sujet de thèse sur le marxisme russe, trop vaste et entièrement théorique ne l’intéresse plus. Toujours sous la direction de Mauss, il se tourne vers la sociologie des religions. Le sentiment d’une religiosité qu’il retrouve dans les diverses formes de sociétés humaines, explique comme son complément naturel l’intérêt que porte Levickij à l’anthropologie et à la sociologie. À partir de 1935, il s’attaque à une contribution pour le tome I de L’histoire générale des religions, à laquelle participent tous les grands noms du métier. Son article traitera de « Quelques aspects de la vie religieuse des peuples de l’Asie centrale et septentrionale : étude globale ».

Il s’agit du chamanisme, qui participe de la sorcellerie et de la médecine, tout comme de la sociologie. Il voit dans l’étude du chamanisme « un essai inspiré de la psychanalyse, mais déjà en dehors de celle-ci, de comprendre la croyance primitive à l’âme en partant des conceptions propres des peuples de la nature [...] par la littérature, [...] avec le thème du sosie »33. Il évoque la fonction du chaman, l’élu au sein d’un groupe qui communique avec le monde invisible, celui qui nous entoure et englobe les animaux, les végétaux, les pierres, les humains aussi. Les propres recherches de Levickij s’orientent sur les peuples du Nord de la Sibérie, Bouriates, Yakoutes, Toungouzes et peuples amouriens, travaux qu’il destine à une étude sur le chamanisme en Sibérie34.

Le phénomène du chamanisme éveille l’intérêt des ethnologues ou des écrivains venus du surréalisme qui gravitent autour de Mauss, (qui selon l’avis de Leiris n’y comprend rien). Levickij prononce à la section des sciences religieuses des Hautes études trois conférences sur le sujet. Il découvre que ses intuitions sur le non-dit qui entoure l’homme sont valorisées, grâce à Leiris et à ses amis, les intellectuels parisiens, encore que Georges Bataille, déçu, lui reproche de ne pas développer les aspects « obscurs », valorisés par les surréalistes (la drogue, la sexualité, etc.). Le Collège de Sociologie, fondé par eux, où Levickij prononce une conférence en 1938, aurait justement eu pour but de rationaliser cette valorisation35. Pour Levickij, sa connaissance du sujet se confine à la littérature scientifique publiée en langue russe. Il reste, à son habitude, prudent et réservé. On pourrait penser que, religieux d’esprit, il s’est plongé dans l’investigation d’un aspect profond de la nature humaine qui résiste mal à la modernité agressive, mais dont la perte, lorsqu’on l’extirpe, déstabilise l’homme et fausse l’équilibre des rapports entre l’homme et la société.

Le succès avec lequel Levickij accomplit ses fonctions amènent le directeur à lui confier la gestion des collections et à le faire participer à la réorganisation du musée qui correspond à l’installation dans le nouveau bâtiment. Il reçoit dans ce nouveau musée la charge d’un nouveau département de technologie comparée et de la salle des arts et des techniques. L’exposition de Copenhague, en 1938, consacre sa renommée internationale. Il prépare aussi pour l’exposition française de New York, qui doit s’ouvrir en mai 1939, les panneaux de présentation du musée et reçoit comme gratification un chèque de 500 francs. L’argent s’ajoute au succès.

Entre-temps le musée connaît son heure de gloire. De l’Exposition universelle à celle de New York, la petite équipe soudée comme une phalange autour de Rivet s’impose par l’originalité des présentations ainsi que l’actualité des thèmes qui l’imposent à l’avant-garde de la lutte contre le racisme. Les liens de Rivet avec le gouvernement Léon Blum concourent également à faire participer le musée aux avancées sociales du Front populaire. Levickij organise des visites guidées, le soir, pour des cheminots.

Le gouvernement du Front populaire lui a accordé la nationalité française. Son curriculum vitae pour 1938 le situe square Desaix, dans le XVe arrondissement, une bonne adresse, à quelques stations de métro du musée. Entre-temps, son mariage, malheureux, s’est disloqué. Janovskij raconte ses impressions36 sur Levickij, rencontré vers 1935-1936, dans la chambre d’hôtel de son frère, Jurij. Anatolij est avec une jeune femme, une nouvelle femme dans sa vie, pense Janovskij, une Française... Selon Germaine Tillion37, il s’agit d’Yvonne Oddon, bibliothécaire qui a son âge, et depuis, le début des années 1930 fait partie de l’équipe du musée.

Côté ombre, à la maturité affirmée de l’ethnologue correspond le déclin de ses parents. En avril 1939, sa mère est victime de graves problèmes de santé : les centres moteurs semblent atteints. Peu après, son père tombe malade. Il le fait admettre à l’Asile national des convalescents avec le concours de Rivet qui l’aide à effectuer les démarches nécessaires auprès du ministre de la Santé publique. Sergej Levickij finira ses jours à la maison de retraite de Chelles.

C’est que Levickij n’est plus maître de son temps. Le 26 mai 1939, sur la lancée du succès de ses panneaux à New York, il adresse au CNRS une demande de subvention pour un voyage à Londres, Oxford et Cambridge38. Sa visite est couronnée de succès, puisqu’il a obtenu d’importants matériaux d’échange pour la salle d’exposition, en particulier dans la collection Balfour au Pitt River Museum. Il arrive de Londres à Cherbourg, sur l’Europa le 12 août. Il prend quinze jours de vacances bien méritées à la mer. Puis, par télégramme, le 25 août, il prévient le musée de son retour. Rivet est absent. Levickij part sous les drapeaux, à trente-huit ans39.

Le 22 octobre 1939, c’est du dépôt d’infanterie 112, à Quimper, qu’il écrit à Rivet. Il est à la 34e compagnie d’instruction. Il espère une permission pour Noël. La vie de garnison lui laisse le loisir de s’inquiéter des tâches qui l’attendent au musée40. Il se félicite des résultats de son dernier voyage : « Les liens et contacts pris pendant mon voyage en Angleterre m’ont permis de mesurer toute l’étendue de la tâche accomplie et la valeur de l’édifice en construction [...]. » Il est heureux de lire dans le bulletin du musée que l’on va continuer cette œuvre et il espère revenir à ce travail41.

L’armistice de mai 1940 rompt l’inactivité forcée. Levickij quitte son unité, évite l’internement et se retrouve en zone libre. Grâce à un ordre de service de Rivet, il pourra regagner Paris dès que seront rétablies les communications entre les deux zones, temporairement suspendues, dit-il, avant de se remettre en route et se retrouver parmi ses amis dont il a depuis longtemps compris et apprécié les qualités de cœur et d’esprit. « Dites leur à tous combien je leur suis attaché, et vous-même, Cher Docteur, je voudrais que vous sachiez combien je vous suis reconnaissant et dévoué. Votre A. Lewitsky.42 »

Ces adieux sont prématurés. Il regagnera Paris. Il retrouvera au musée son camarade Boris Vil’de, et tous ceux qui se joindront au noyau de résistance qu’ils forment spontanément, parce qu’ils ne supportent pas la honte de la défaite et de l’occupation...

Néanmoins les adieux sincères de Levickij restent valables car sa vie ne lui appartient plus. Elle se fond dans celle du groupe du musée de l’Homme qui a été racontée ailleurs, en particulier par Paulhan qui partage pendant quelques jours sa cellule ; Levickij demandera sa libération en endossant toutes les responsabilités43. On mesure par ailleurs la douleur de Levickij apprenant l’emprisonnement de Sergej Levickij, déjà très âgé ; ce moyen de pression restera néanmoins sans effet sur la conduite d’Anatolij. Toutefois, ce dernier ne se désintéresse pas de ses responsabilités. Il veille à ce que, pendant son incarcération, sa sœur, Madame Schimansky44, fasse les démarches nécessaires pour que l’épouse divorcée continue à recevoir son allocation mensuelle. Puis dans un adieu final, il demandera pardon à ses proches de la douleur qu’il leur cause.

Après l’exécution, la famille Levickij se rassemble, avec quelques proches, à la cathédrale orthodoxe de la rue Daru et fait dire un service pour le repos de son âme45. Mauss dressera un éloge de Levickij. Les collègues du musée, Leiris en particulier, diront leur tristesse et Yvonne Oddon s’occupera de ses proches, comme il l’aurait fait lui-même. Ainsi s’achève un parcours conséquent, courageux et exemplaire où se fondent harmonieusement les données initiales, russes, passées au révélateur des acquis français engrangés pendant ses années de maturité.

Si le parcours de Levickij se dessine ainsi, rectiligne, régulier et toujours tourné vers le progrès, celui qu’emprunte Boris Vil’de pour arriver au même engagement étonne par ses zigzags et par sa fulgurance.

Si Levickij, penseur, s’est préparé mentalement à l’action dans laquelle il allait s’engager sans hésiter, pour Vil’de nous ne disposons pas d’éléments sur une préparation à l’action. Si nous connaissons ses lectures, ce sont celles qu’il effectue en prison et rapporte dans son journal de prison, alors qu’il réfléchit sur sa vie. C’est un homme qui, selon la formule consacrée, s’engage et voit ensuite. Lui-même se décrit en aventurier né, à la Malraux. Les zones d’ombre et le secret dont il entoure sa courte vie ne facilitent pas les recoupements. Lui-même y a contribué en mêlant les pistes, lorsque cela lui convenait. En outre, les témoignages sur lui souvent se décalquent ou se réfugient dans l’hagiographie.

Nous savons que Vil’de est né en 1908, en Russie, à Saint-Pétersbourg. Son père, Vladimir Iosifovič, négociant en bois, meurt en 1913 (Marija Vil’de, son épouse, le dira employé des chemins de fer, vraisemblablement, parce qu’en URSS il n’était pas bon de se dire bourgeois). Il a sa pierre tombale au cimetière de Iastrebino, à peu de distance de Saint-Pétersbourg dans la région comprise entre Louga et Iambourg. La famille de sa mère, née Golubeva y avait une maison, dans laquelle Marija, devenue veuve, s’installe alors avec ses deux enfants, Boris et Raisa, dont nous ne savons qui est l’aîné. Elle y vit la guerre et la révolution, puis traverse la frontière pour se réfugier en Estonie.

Une première interrogation se pose pour savoir son nom. Vil’de, pour des auteurs ne résidant pas en France s’écrit à l’allemande Wilde, un nom germanique assez courant, qui signifie sauvage. Dikoj, en russe a la même signification. Temira Pachmus le nomme ainsi46. Jankovskij ajoute, « Dikoï comme sa mère »47. Dans l’anthologie poétique de la littérature russe aux pays baltes, il figure sous le nom de « Dikoy-Vil’de », ce dernier nom sous la translittération phonétique de la prononciation russe. En ce sens, la pierre tombale fait foi. L’anthologie française des poètes de l’émigration a choisi « Wildé »48. En adoptant l’orthographe francisée « Vildé », le jeune homme a opté pour la France. Plus tard, il donnera de son nom une étymologie française, en le faisant découler de Ville-Dieu dans les Côtes du Nord49.

Marija Vil’de s’installe à Tartu, une ville de province encore très russe d’aspect. La frontière de l’Estonie passe à quelque cent kilomètres à l’ouest de Saint-Pétersbourg. Les provinces baltes s’étaient proclamées indépendantes au moment de la négociation du traité de Brest-Litovsk, en février 1918. Dans une population mélangée, les Russes sont nombreux. Une foule de réfugiés fuyant la famine et les dangers de Saint-Pétersbourg s’y sont ajoutés.

Ces gens, intellectuels, officiers, bourgeois, ont tout perdu hors l’amour d’un pays qui n’est plus leur patrie et l’usage d’une culture qui avait, au début du siècle, atteint son apogée. Ils s’organisent en groupe et veillent au maintien de leur culture, avec des journaux, des paroisses, des écoles pour les enfants, des cercles philosophiques ou littéraires pour les aînés. La journée consacrée à la commémoration de Puškin fait office de fête nationale. Marija Vil’de, sans ressources, gagne sa vie avec de petits travaux comme de nombreuses autres dames russes. Tout ce monde émigré se connaît et s’entraide50. On évoque aussi un oncle de Boris, marchand de bois et un romancier estonien, Edvard Wilde, qui aurait pu être un parent51, mais ne semble pas avoir répondu aux attentes.

Boris a neuf ans. Il va à l’école, russe bien entendu. À Iastrebino, il avait fait preuve d’une sensibilité religieuse extrême, ressentant le Christ comme une personne. Il avait eu des visions de saints, saint Georges et saint Michel, patrons des guerriers. Depuis, il a changé. Il n’est pas un bon élève. Il fait l’école buissonnière et préfère jouer dans la rue où il apprend l’estonien. Il dira que de temps à autre, il a dû gagner un peu d’argent, comme il le pouvait, pour aider sa mère. Il n’est pas un enfant facile. La présence de son père lui manque. Affectivement et comme modèle. Ainsi s’expliquerait le bégaiement noté à l’époque. Adolescent, il lit beaucoup et découvre la poésie qui remplace le sentiment religieux de son enfance52.

Par son travail, sa mère réussit à l’inscrire à l’université de Tartu, payante à l’époque, où s’exercent encore fortement, de concert, la tradition germanique et la tradition russe. Il étudiera la chimie, une discipline pour laquelle son niveau de qualification suffit et qui lui permettra de gagner sa vie où qu’il soit. 

Pourtant, ce qui reste de cette période de sa vie, ce sont les poèmes qu’il aura inscrits dans les albums de ses amies ou même, plus tard, placés dans des recueils. Poèmes acméistes, dans le genre de ceux qu’écrivaient au début du siècle la jeune Anna Ahmatova et Nikolaj Gumilev, et qui évoluent vers la simplicité, accentuant ainsi le thème de la fatalité, de la nostalgie et de la mort. Un des grands thèmes de la poésie russe, repris par les acméistes, évoque la nostalgie d’un paradis perdu, réminiscence d’un monde idéal auquel aspirent les âmes. Pour ces jeunes émigrés expulsés d’une patrie dont leur entourage entretien l’évocation, ce thème est doublement sensible. Mais là où Levickij analyse ses idéalisations, Vil’de ressent de la révolte contre un monde où il ne trouve pas sa place. C’est le thème de Pro domo suo (Qui suis-je ?)53 :

Ni tendres stances, ni sonnets caressants,
Ni visions embrumées dans mes chants :
Serai-je un monstre parmi la gent des poètes ?

Ou peut-être, pas du tout poète.
Les Pouchkine, les Virgile, les Fet,
Tous dans leurs vers ont une lumière venue d’ailleurs.
Leurs stances, pareilles aux roses, car parmi les esthètes
Le poète est plus esthète encore.

L’esprit habite chacun de leurs poèmes,
Mais je suis différent, je ne prie pas les dieux
Et la poésie, pour moi est fabrique - pas cathédrale.

J’ignore les délices nés d’inspirations,
Mon génie têtu se forge d’acier.
Je ne suis pas poète - Qui suis-je ? Je ne sais.

Vil’de a mûri et cela se sent dans le second poème que l’on possède de cette époque, En réclusion solitaire54, daté du 30 mars 1928, qui évoque l’influence de Verlaine :

Tout est calme, cellule n° 4.
Jour après jour, sans espoir ni déception.
Sinon le carré du ciel, par-delà
Les fenêtres grillagées de fer, rappellent le monde.
Tout est calme, cellule n° 4.

Je pleure moins, et moins souvent, ma liberté,
La captivité m’a englouti, puis avalé.
Le murmure des tristes murs de pierre
Est paisiblement désarmant, enjôleusement affectionné.
Je pleure moins, et moins souvent ma liberté.

Semaines oiseuses, si dénuées de pensées.
Je me repose de mes nuits passées,
De l’angoisse des gueules de bois perpétuelles,
Des souillures sur mes discours inutiles.
Semaines oiseuses, dénuées de pensées.

Tout est si simple, si facile, si clair.
Vivre ? Entreprendre des actions, puis retomber ?
- Cinq pas jusqu’au mur et retour,
Et en retour aussi, seuls cinq pas mesurés.

Tout est calme, cellule n° 4.
L’acier des fenêtres grillagées n’appelle pas l’angoisse.
Et, avec chaque jour, la paix d’une folie bleueS’épanouit, toujours plus profonde en moi.Tout est calme, cellule n° 4.

Ces vers illustrent un événement, qui, n’était ce poème, paraîtrait assez invraisemblable. Car le fait est que Boris disparaît pendant quelques mois, en 1927. Glissant quelque peu rapidement sur une chronologie sommaire, Pachmus, la spécialiste de la littérature russe émigrée dans les pays baltes, l’affirme55. Tartu se situe au bord du lac Peïpous, que l’on nomme aussi en Russie mer de Tchoudov, lieu mythique de la victoire d’Aleksandr Nevskij sur les chevaliers teutoniques, engloutis sous les glaces, haut lieu pour les Russes de l’histoire et de la foi. La nuit, on peut passer la frontière russe par des sous-bois et en traversant le lac. À son retour, Boris aurait essayé de traverser la frontière, aurait été arrêté par les gardes soviétiques et emprisonné dans la région frontalière de Gdov-Pskov, puis remis aux autorités estoniennes. Celles-ci, à leur tour, devaient l’employer à l’extraction des schistes bitumineux dans la région de Kwiili, à Kochtlo-Jaarve. Il est en effet chimiste, mais cette affectation semble surtout être une image d’exil qui n’a rien à voir avec la sanction de son escapade, car peu après il y obtient un poste « sérieux » et, en plus se lie d’amitié avec le poète Igor’ Severjanin, qui a vécu un temps à Berlin, sans y retrouver sa place parmi les littérateurs russes. Après quoi, Vil’de s’enfuira à nouveau56...

Il a été emprisonné. On ne sait rien de plus. A-t-il, pour effacer une action moins glorieuse, ajouté le récit d’une action terriblement dangereuse à l’époque ? Les clandestins entrant en Russie risquent le peloton d’exécution. Seuls quelques passeurs ont fait traverser ce mur à des conspirateurs russes émigrés, victimes désignées, membres d’une organisation, le Trust que l’on devait découvrir infiltré par le Guépéou. Les dépêches venant d’Estonie contiennent plusieurs récits de personnalités qui dans un climat politique perturbé ont fui vers l’URSS57.

Sur le passage qu’aurait effectué Vil’de, nous ne trouvons aucune trace, en tout cas pas dans les archives de l’attaché militaire français pour les pays baltes, qui à Kaunas rassemble patiemment les bribes d’informations sur l’URSS. On ne peut, d’ailleurs, exclure une affabulation à la Malraux. Quel que soit le fond de l’aventure, elle atteste que le jeune homme a, au moins mentalement, cédé à la tentation de l’action subversive, comme de nombreux émigrés. Mais l’expérience sera son adieu à la Russie.

Vil’de se sent et se veut fait pour l’aventure. Il éprouve ses forces et son caractère, agit sur un coup de tête, porté par sa chance. On connaît par Janovskij l’anecdote confiée par un camarade qui a connu Boris au lycée. Un soir, dans les jardins publics, Vil’de se promenait avec un revolver et en avait menacé un couple, qui effrayé, s’était empressé de lui acheter cette arme58.

Ce témoin anonyme, arrivé sur le tard à Paris, évoque un Vil’de déjà entouré d’un silence et d’une réserve qui renvoient au non-dit. Ne projette-t-il pas à partir de cette même réputation que Vil’de se forgera parmi ses amis parisiens, et qui restera sa légende ? Car Vil’de aime aussi les fêtes, les jeunes filles, les poèmes qu’il compose pour leurs albums et la vie en général. Or, celle-ci ne vaut la peine d’être vécue dans ce petit îlot émigré en pays baltes dont les gouvernants rejettent la culture russe, ni même à Prague où il pourrait obtenir une bourse d’études. L’avenir se situe à Berlin ou à Paris : ce sera Berlin, d’un accès plus facile.

Néanmoins, passé d’Estonie en Lituanie, Vil’de aurait été mis dans un train et renvoyé dans son pays, parce qu’il lui manquait sur son passeport Nansen un visa impossible à obtenir. Il ne se décourage pas, et peu après nous le retrouvons à Berlin, sans rien savoir des étapes intermédiaires.

À Berlin, les Russes sont, dans leur élément et nombreux. S’y côtoient les monarchistes, des agents soviétiques, dont la baronne Moura Budberg, chargée de surveiller Maksim Gor’kij, des hommes d’affaires, des journalistes et parfois des poètes. La plupart des intellectuels expulsés de Russie soviétique sont passés d’abord par Berlin. Le séjour de Vil’de dans la capitale allemande se passe mal. Il se fait déménageur, livreur. Il pense en vain au cinéma, il perfectionne son allemand et ne survit que par ce que lui envoie sa mère59. Ce qu’il en dira par la suite, son poste à l’université de Iéna ne mérite pas qu’on s’y arrête. Il collabore au journal Rul’ (Le Gouvernail), le plus prestigieux des quotidiens de langue russe à l’étranger. Il y fait certainement des contributions épisodiques60. La rumeur émigrée lui attribuera néanmoins de ce fait des opinions radicales, terme vague. En fin de compte, de ce séjour, seule ressort, positivement certaine, sa rencontre avec André Gide.

Cette rencontre fera partie du mythe. Elle est fondamentale pour la relation de Vil’de avec la France. Nous n’en savons que ce que Gide lui-même, en 1952, écrira à ce propos61. Comment se sont-ils rencontrés ? À l’issue d’une conférence littéraire ? Par un intermédiaire, ce que pourrait laisser supposer une lettre de Vil’de à sa mère ?62 En sens inverse, on ne peut que s’interroger sur ce que Vil’de avait lu des œuvres de ce maître à penser très parisien. Son français est d’ailleurs encore hésitant. 

Gide écrit dans Ainsi soit-il : « Wildé, que depuis des mois j’hébergeais dans une chambre dont je disposai au-dessus de la mienne, au sixième. Je ne sais plus quelle heureuse conjoncture nous avait fait entrer en rapport. Comme il cherchait une situation, je l’avais chaleureusement recommandé à Paul Rivet qui dirigeait alors le musée de l’Homme, au Trocadéro. Rivet sut immédiatement reconnaître son insigne valeur. Wildé se montrait peu, si discret, si réservé que je le connaissais à peine63. »

Certaines pages du journal de Gide auraient pu nous inciter à situer la rencontre à Berlin en mai 1930. La lettre du 8 juillet 1932 l’exclut. Il pourrait s’agir du début de l’année 1933, lorsque les nazis s’installent au pouvoir, et que Gide se rend à Wiesbaden, l’arrivée de Vil’de en France et la rencontre avec Rivet l’ayant suivie de peu. On peut situer celle-ci au printemps 1933, époque à laquelle Levickij a noté dans son agenda la préparation d’une exposition sur les pays baltes. Enfin, le curriculum vitae de Vil’de conservé au musée, et établi par lui, affirme qu’il serait arrivé en France en 1932. Peut-être à la fin de l’année 193264 ?

Paul Rivet au début de l’année 1933, a reçu ce jeune homme intelligent et ambitieux recommandé par Gide. Mais Rivet n’enrôle pas le nouveau venu parmi les collaborateurs du musée, ni réguliers, ni vacataires. Par la suite, la présence de Vil’de dans l’équipe sera admise comme une évidence. Pourtant, on cherche en vain dans les archives de l’institution la moindre mention d’un salaire ou d’une vacation à son nom. Certes les acrobaties comptables auxquelles se livre la direction pour assurer le budget du musée laissent ouverte la possibilité d’une solution déguisée. Mais alors, pour ces cas, on en trouve justement la trace dans les versements faits par les Amis du musée ou par d’autres sources. Rivet a vraisemblablement accepté Vil’de comme élève et donné quelques conseils. C’est l’époque où se prépare l’exposition sur les pays baltes, mais on ne peut qu’imaginer que Vil’de y a participé, car rien ne signale sa présence, sinon, en 1935, à propos des catalogues à distribuer, un exemplaire est attribué à « M. X, qui aide Levickij ».

Gide, et d’autres à sa suite, évoqueront l’apprentissage du japonais et la spécialisation de Vil’de dans l’étude de ce pays, dont l’équipe ne possède aucun spécialiste. Ceci ne viendra que plus tard : il obtiendra son diplôme en juillet 193965. Avant de pouvoir collaborer avec l’équipe du musée, Vil’de doit obtenir des diplômes universitaires valables en France. Les débuts sont difficiles. Il doit, comme à Berlin, trouver de quoi vivre. Il doit améliorer son français. Il commence par engranger sur l’acquis. Il s’inscrit à des cours de philologie et de littérature allemandes, passe trois certificats et obtient une licence en la matière. Puis, il s’attaque à un certificat d’ethnologie. Il dit avoir suivi à l’École des Langues orientales des cours de langue et de littérature estoniennes, encore qu’à l’époque, pour ces matières, il n’y ait pas de cours magistral au cursus. Il se spécialise dans les langues finno-ougriennes, un groupe linguistique qui englobe l’estonien, le finnois, le hongrois et les langues de la Sibérie septentrionale.

Vil’de s’est inscrit à la Sorbonne et aux Langues orientales, mais il n’est pas question pour lui de s’insérer parmi les étudiants ou les intellectuels parisiens. Certes, il cherche sa voie et prospecte tous les canaux disponibles, mais, d’abord, par un mouvement naturel, il recherche la société de ses semblables, poètes, journalistes, écrivains russes émigrés.

Il fréquente surtout le Montparnasse russe, passe des soirées à La Rotonde ou au Select. Janovskij, romancier et médecin, qui a le même âge environ se souviendra par la suite des soirées passées avec Vil’de et Boris Poplavskij. Promenades nocturnes rive gauche, décrochements vers le café des chauffeurs russes à Passy, où ils rencontrent certainement Levickij, échecs ou bridge dans la salle du Murat, avenue de Versailles. Là jouent les littérateurs consacrés, Ivan Bunin, Vladislav Hodasevič, des journalistes et quelques grandes figures du « libéralisme » russe en exil. Vil’de lit aussi ses vers dans des soirées russes du Quartier latin, au Caveau de la Bolée ou au Méphisto ; un poème à la manière de Vladimir Majakovskij, à propos d’un artiste qui a la tuberculose, n’a guère de succès et sa trace s’est perdue. Son passage par le Rul’ lui sert d’introduction pour entrer à la rédaction de Čisla (Les Nombres), excellente revue littéraire, qui ne réussira cependant pas à survivre. Fort de sa relation avec Gide, il transmet le bon souvenir de celui-ci au directeur, Nikolaj Ocup, qui flatté, le charge en retour de messages destinés au maître...66

Dans ce milieu russe, Boris Vil’de se fait une place. Rien ne le recommande, si ce n’est son titre de poète, sa bonne mine, son esprit résolu et clair, enfin sa légende, qu’il se forge lui-même. Dans le récit qu’il fera de ce monde englouti par la guerre, Janovskij rapporte quelques anecdotes sur les débuts de Vil’de à Paris. Il a noté que Vil’de pouvait se montrer d’une froide violence et même engager la bagarre, surtout lorsqu’il y avait des histoires de femmes ; qu’il avait des ennuis de dentiste et des dents en or, une façon de faire connue en Europe orientale, qui lui donnait, lorsqu’il riait, l’aspect d’une tête de mort. L’image est facile, quand on connaît la suite. Enfin, toujours selon Janovskij, il vivait d’expédients : homme-sandwich ou fort des Halles, il avait eu la chance d’être renversé par une voiture, sa clavicule cassée lui valant quelques dommages et intérêts, dont il aurait fait bénéficier ses amis. Car Vil’de a des amis, il sait se montrer généreux à l’occasion et toujours bon compagnon.

Car, pour être accueilli en ami, Vil’de a su séduire. Sa personnalité d’aventurier étonne évidemment, on lui reproche notamment son accent estonien lorsqu’il parle russe. Par ailleurs, on se méfie de ceux qui arrivent de Berlin, fuyant le régime nazi, et qui pourraient être des compagnons de route du bolchevisme, des espions ou des francs-maçons. Comme par incidence, Janovskij rapporte que des francs-maçons russes arrivés de Berlin sont venus grossir les rangs de ceux qui dominent dans l’intelligentsia émigrée parisienne. Il ne cite aucun nom. Le fait est que Vil’de pénètre facilement dans un cercle assez exclusif. Tandis que d’autres nouveaux venus restent considérés avec méfiance, Vladimir Nabokov par exemple. Après quelques hésitations, Vil’de sera accepté dans le club exclusif qui domine la société intellectuelle. Des personnalités d’opinions diverses s’y côtoient sans toujours s’aimer, et des Russes qui disent avoir fui de Russie y viennent parfois.

Il entre ainsi dans le groupe patronné par Il’ja Fondaminskij, le rédacteur des Sovremennye Zapisky (Les annales contemporaines) ;ce cercle de discussion explore des voies sur la pérennité de la culture russe67 et après avoir suivi sa lancée sur le terreau de l’émigration, il risque, si l’on n’y prête pas attention, de s’étioler à la seconde génération. Groupement culturel donc, mais avec une connotation politique évidente. Il s’agit de la culture fondée sur les principes de liberté et développement social, telle que la comprenaient les « hommes de bonne volonté » auxquels se référait Levickij. Parfois, assistent aux débats des personnalités venues d’autres horizons politiques, que l’on cherche à rallier. L’idée initiale était d’engager la seconde génération d’émigrés au côté de ses aînés pour ne pas abandonner l’action culturelle entreprise, de régénérer le fonds de la pensée politico-religieuse russe afin de répondre aux besoins d’une Russie future.

De ce forum assez large, Fondaminskij dégage une « cellule de choc » pour se préparer aux questions que pose de façon urgente la tendance des démocraties occidentales à l’apaisement avec l’Allemagne nazie. Vers 1938, Fondaminskij crée le « cercle intérieur » sur le modèle d’un ordre laïque, comme pour des moines militants, où l’on parle beaucoup d’amour, de charité, de justice. Ce groupe élitaire qui suppose un engagement total se recrute par cooptation. Merežkovskij a été récusé pour avoir rendu visite à Mussolini. Vil’de est accepté après une courte enquête, destinée à vérifier qu’il n’est ni espion ni opportuniste. Certains membres se seraient en effet inquiétés du secret qui l’entoure et méfiés de sa « chance »68.

Sa chance, à cette date, s’avère en effet certaine. Celle qui lui ouvrira toutes les portes découle de l’annonce qu’il passe comme professeur de russe, en échange de leçons pour améliorer son français. Une élève se présente, Irène Lot. Avec ses tresses blondes à la russe, elle est très jolie. Irène est la fille du médiéviste Ferdinand Lot, professeur à la Sorbonne et de Myrrha Borodine, théologienne russe, installée à Paris depuis le début du siècle. Irène voudrait renouer avec l’héritage culturel du côté maternel. Rapidement, ils décident de se marier, en juillet 1934, puis s’installent dans le pavillon familial, à Fontenay-sous-Bois.

La famille Lot joue pour Vil’de un rôle stabilisateur. C’est par sa russité qu’il y entre. C’est grâce à elle qu’il trouve sa place parmi les universitaires français. Myrrha, qui aime discuter en russe avec lui, le présente à son entourage remarquable. Elle l’introduit à l’œuvre des grands penseurs, philosophes et théologiens, émigrés : Nikolaj Berdjaev, Nikolaj Loskij, Lev Šestov69... Vil’de est d’autant plus à l’aise que dans la famille Lot règne le non-conformisme. Elle est aussi non baptisée ; pourtant aux derniers instants de sa vie, Boris aura sur lui la petite croix d’ébène que lui avait donnée Myrrha70. La fréquentation de ce milieu aide d’une part Vil’de à trouver son assise dans le cercle intellectuel de Fondaminskij, tandis qu’en même temps, par la bienveillante amitié dont l’entoure Ferdinand Lot, le jeune homme accède au monde très fermé des milieux intellectuels et universitaires parisiens.

Une francisation déterminée suit, par la force des choses d’abord. En témoigne la photographie prise à l’Hôtel des Beaux-Arts, où il figure parmi les collaborateurs des Sovremennye Zapisky71. Janovskij, dans son commentaire, souligne que la pose fut longue, que tous étaient de bonne humeur, sauf Irène, assise près du photographe, face au groupe qui n’aime pas cet entourage qui lui échappe. Jamais Vil’de n’invitera chez lui ses amis du Select, de La Rotonde ou du Murat. Il les verra en ville.

Vil’de obtient aussi la nationalité française en 1936, après un délai de séjour en France des plus courts. Il peut de ce fait, sous l’égide de l’Éducation nationale et du service des Œuvres, entreprendre des voyages de mission ethnologique en Estonie où il reverra deux fois sa mère et sa sœur. Il part, avec comme adjoint un compagnon du Murat, Leonid Zurov, un membre de la maisonnée de Bunin, cultivé certes, mais un amateur. La mission part étudier la culture, dite de contact, des Setu et des Russes, le sujet choisi par Vil’de pour sa thèse. Cette population d’origine finno-ougrienne a été soumise à l’influence slave et orthodoxe d’abord, germanique et catholique ensuite, dont elle a successivement intégré les rites et les croyances. Dans un passé récent, les populations finnoises portaient encore, pour les Russes, le nom de Tchoudes. Les lieux chers à la mémoire de Vil’de, le lac et son monastère blanc, avaient conservé le nom dérivé de Tchoudov.

Tandis que Zurov s’intéresse surtout aux rites et aux croyances qui entouraient la vénération des pierres, des sources et des arbres, un thème apparenté à celui qu’explore Levickij dans ses recherches sur le chamanisme, Vil’de entreprend une enquête linguistique et toponymique, pour élaborer à terme un dictionnaire setu. Des émigrés russes qu’il revoit en Estonie se moquent de l’obligation qu’il s’impose de parler le français, ajoutant ça et là : « Nous les Français. »72 Il prend en effet son rôle au sérieux. Peu après Munich, Zurov sera expulsé d’Estonie et Vil’de s’en désolidarisera.

Lui-même a obtenu un passeport diplomatique. Il rapatrie par la valise diplomatique de nombreuses fiches, des notes, en russe et en estonien, des cahiers de chansons de mariages, 157 photos et des costumes locaux dont Vil’de a négocié l’acquisition et qui sont destinés à la galerie du musée de l’Homme consacrée à l’Europe73. Lorsque Vil’de en rend compte à Rivet, il écrit « Cher Monsieur ». Il n’est encore pour le musée qu’une pièce rapportée74. Par la suite, il utilisera le « Cher Docteur » des intimes. Il le remercie de l’avoir chargé de ce travail. L’année suivante, d’Helsinki, il entrera cérémonieusement en relations avec le sous-directeur, Jacques Soustelle.

En Finlande, en 1938, les initiatives qu’il prend sur place au nom du musée de l’Homme témoignent d’une entière maîtrise des possibilités d’échange qui peuvent intéresser la France. Il improvise des conférences, passe des accords. La correspondance échangée avec Soustelle témoigne du fait qu’il acquiert alorsd’être traité en collaborateur du musée, sans en avoir encore le statut. Il devient le correspondant français de la Société finno-ougrienne. À Helsinki, Vil’de s’est installé avec sa facilité naturelle dans le rôle de représentant de l’ethnologie française et du musée. Il règle en son nom des affaires, suggère des contrats et occupe le terrain par la grâce d’une autorité qui lui est naturelle. La direction du musée acquiesce, résout les problèmes financiers causés par le retard de la bourse promise et ne peut que se féliciter d’une nouvelle collaboration ainsi devenue effective75. Boris s’est révélé organisateur de grand talent. 

Il a entre-temps terminé ses études et obtenu des diplômes. Ces mois de l’année 1938 et du début 1939 correspondent pour lui aussi à un début de consécration. À son retour de Finlande, Vil’de, qui n’a encore rien publié, fait paraître dans le bulletin d’information de la ville de Fontenay un récit de ses observations ethnologiques en Finlande. Il rédige aussi pour la revue Races et racismes, qui ne paraîtra qu’en décembre 1939, une étude sur les races des cinq continents, dans la perspective patronnée par Rivet qui démontre l’inanité des théories racistes nazies. Vil’de, « collaborateur du musée », se charge de l’Europe76.

C’est dans cette équipe portée vers la consécration que Levickij et Vil’de choisissent un engagement qui demandera jusqu’à leurs vies. Après la défaite et l’armistice, Vil’de puis Levickij sont démobilisés et rejoignent Paris, à quelques semaines de distance. Avec Yvonne Odon, ils se retrouvent au musée où les rejoint aussi la jeune Germaine Tillion qui revient d’un séjour d’enquête dans l’Aurès algérien. Ce noyau déterminé à agir agglomère une nébuleuse de personnalités diverses, universitaires, conservateurs de musée, jeunes gens impatients, retraités et mères de familles qui, tous, ne supportent pas l’humiliation de l’occupation ennemie. Levickij et Vil’de entreprennent la rédaction d’un journal clandestin. Celui-ci, intitulé Résistance, premier de ce nom, paraît sur quatre pages le 15 décembre 1940. Le trio Vil’de-Levickij-Odon en assume la parution.

À partir de ce petit noyau, l’action s’étendra à l’échelle nationale. Sur la spontanéité de leur décision, ils s’expliqueront sans hésiter, Levickij en juin 1940 dans une lettre à Yvonne Odon77, Vil’de dans le journal tenu en prison.

Dans ce cadre tous sont braves, mais Vil’de exerce un ascendant naturel. Tout indique que Levickij fut l’instigateur du mouvement, mais tandis que Levickij pense et écrit, Vil’de agit, juste dans ses décisions et bon organisateur comme il l’a démontré au cours de ses missions. Il s’impose naturellement comme le chef du réseau à ses amis et aux nouveaux venus. Entre les deux, d’ailleurs, aucune rivalité, mais un lien sûr et fraternel.

Ainsi, à travers les itinéraires personnels de leurs deux vies, plusieurs thèmes se relaient. À la clé préside l’aventure vécue au musée de l’Homme, un lieu qui offre par excellence un fil conducteur à leur parcours commun d’émigrés, l’héritage culturel russe, coupé de ses racines, dont ils sont les dépositaires et dont tout à tour ils s’impatientent, le rejettent ou s’y réfugient pour enfin, grâce à l’ethnologie, intègrer harmonieusement leur bagage russe à leur vie d’intellectuels parisiens. À mesure qu’ils avancent dans leurs voies parallèles, se déroule en l’Europe la lutte tragique entre la culture menacée et la barbarie qui s’étend, une situation dont les pays baltes constituent un exemple emblématique. Plus que quiconque, ces Français d’origine russe sont à même de le comprendre.

Puis, c’est la guerre, le désastre de juin 1940. Certes, l’élite parisienne a vu venir assez tôt l’orage destructeur, mais, pour y parer, s’est perdue dans le monde des idées. Ces jeunes gens venus de l’Est avaient en pensée et en expérience déjà vécu les termes d’un choix qui s’imposait clairement à leur conscience ; dans le dédale où s’enlisait leur époque, ils ont spontanément relevé le défi, suivant un imaginaire de chevalerie qui leur était familier depuis l’enfance.

 

Notes

1 Les Lewitsky ont adopté cette orthographe à leur arrivée en France. Elle figure sur les documents officiels concernant Anatole Lewitsky ainsi que sur ses publications et fonds d’archives. Il semble n’avoir jamais publié en russe. Néanmoins, dans le cours du texte, pour respecter le système de translittération, nous écrirons Levickij. Il en est de même pour Vildé, forme choisie par Boris Vildé à son arrivée en France et qui figure sur ses publications françaises que nous translittérerons en Vil’de dans le texte.
2 B. Vildé, Journal et lettres de prison, 1941-1942, Paris, Allia, 1997, préface D. Veillon, « De Saint-Pétersbourg au Mont-Valérien », postface F. Bédarida, « La lumière qui éclaire la mort ».
3 V. Janovskij, Polja Elisejskie (Les Champs Élysées), Saint-Pétersbourg, Puškinskij fond, 1993.
4 V. Varšavskij, Nezamečennoe pokolenie, New York, Izdatel’stvo imeni Čehova, 1956.
5 M. Leiris, Journal, 1922-1989, Paris, Gallimard, 1992 ; J. Jamin. J. Paulhan (éd.), Œuvres complètes, t. IV, Une semaine au secret, Paris, Gallimard, 1966.
6 A. Humbert, Notre guerre, souvenirs de résistance, Paris, Tallandier, 2004 ; G. Tillion, À la recherche du vrai et du juste, Paris, Le Seuil, 2001.
7 Pour la période de l’occupation allemande, voir sous-séries AJ 40, 60 et 72.
8 E. Jünger, Journal de guerre et d’occupation, 1939-1948, Paris, Julliard, 1965 ; R. Closset, Franz Stock, aumônier de l’enfer, Paris, Le Sarment/Fayard, 1992.
9 Service historique de l’armée de Terre.
10 p. Ghrenassia, A. Lewitsky, « De l’ethnologie à la résistance », Liberté de l’Esprit, automne 1987, p. 237-253 ; Y. Lelong, « L’heure très sévère de Boris Vildé », ibid. p. 329-341.
11 M. Blumenson, Le réseau du Musée de l’Homme, Paris, Le Seuil, 1976.
12 Archives du musée de l’Homme (AMH), 2AP5, où sont classés ses papiers personnels.
13 Les fonds d’archives du musée de l’Homme ont été mis en caisses à l’été 2004, en prévision de leur réinstallation au musée des Arts premiers. Il est donc pour lors impossible d’obtenir des photocopies des textes russes qui permettraient d’en citer la version originale. Cette remarque est valable pour la plupart des textes rédigés en russe du fonds Levickij.
14 Voir note 13.
15 Archives du musée de l’Homme (AMH), 2AP5.
16 Ibid.
17 Ibid.
18 Ibid.
19 Ibid., 2AP5, C1.b.
20 Ibid., 2AP5, G1.
21 Ibid., 2AP5, B, G1.
22 Voir en ce sens, Mère Marija Skobceva, Vospominanija, stat’i, očerki (Souvenirs, articles et essais), Paris, YMCA Press, 1992, t. I, p. 30 et suiv.
23 Voir note 13.
24 Il est très vraisemblable que ce texte non daté soit le contrat très secret liant les membres du Trust ou de la Ligne intérieure qui lui avait succédé, organisations antisoviétiques qui devaient se révéler infiltrées par les services secrets de Moscou.
25 AMH, fonds 2AP5, carton 2, note s.d. en russe, « Analyse sociologique des structures et des fonctions des sociétés secrètes » et commentaire en français.
26 AMH, fonds 2AP5, carton 3, notes de lecture sur la religion.
27 Ibid., 2AP5 A.
28 La référence relevée par Levickij est : « Duprat, Morale et réalité, t. II, chap. IV, p. 437 ».
29 AMH, carton 3, article s.d. sur la patience et l’impatience des doctrinaires.
30 Ibid.
31 t. Benfoughal, « La constitution des collections russes au Musée de l’Homme », Cahiers slaves - Civilisation russe, n° 2, 1999, p. 234-275.
32 AMH, 2AP5A, carton 1.
33 AMH, 2AP5, C1j, « La croyance à l’âme et la religion », 35 pages.
34 Les notes destinées à des articles en gestation, sur la Sibérie et le chamanisme qu’Eveline Lot-Falk, sœur d’Irène Vil’de, utilisera pour sa thèse, bénéficieront ainsi d’une publication posthume, sous la signature de celle-ci.
35 D. Hollier, Le Collège de Sociologie, Paris, Gallimard, 1979.
36 Vasilij Janovskij situe la rencontre après le décès de Boris Poplavskij, ami de Jurij Rogala-Levickij, soit après le 9 octobre 1935.
37 G. Tillion, op. cit.
38 AMH, dossier Anatolij Levickij.
39 Ibid., correspondance de Paul Rivet. 
40 Ibid.
41 Ibid.
42 Ibid.
43 J. Paulhan, « Une semaine au secret », in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1966, p. 293-297.
44 On ne connaît que l’initiale de son prénom. Elle finira ses jours à la maison russe de Gagny. La trace de ses enfants se perd à Lyon.
45 M. Leiris, Journal 1922-1989, Paris, Gallimard, 1992, p. 352, 362-363, 401 et 461.
46 t. Pachmus, Russian literature in the Baltic before the World Wars, Columbus (Ohio), Slavica publications, 1988.
47 Ibid.
48 N. Struve, Anthologie bilingue de la poésie russe, la renaissance du xxe siècle, Paris, YMCA Press, 1970 ; Soixante-dix ans d’émigration russe, Paris, Fayard, 1996.
49 M. Blumenson, op. cit., p. 71.
50 t. Aleksander, Estonskoe detsvo (Qui suis-je ?), Moscou, Russkij Put’, 1999.
51 M. Mahn-Lot, « Historiens et géographes », Le réseau du musée de l’Homme, vol. 2, n°369, 2000, p. 197-202.
52 B. Vildé, Journal et lettres de prison, p. 47.
53 Daté du 30 mars 1928 par Temira Pachmus, op. cit., p. 212-213. Ce poème ainsi que le suivant ont été publiés en anglais. La version française a été établie par Anne Hogenhuis à partir de cette source.
54 t. Pachmus, op. cit.  p. 212-213. Le titre anglais est In solitary confinement. Texte traduit de l’anglais par Anne Hogenhuis.
55 t. Pachmus, op. cit. , p. 209.
56 t. Pachmus, op. cit. ; id., Rüssische Emigration in Estland, in K. Schlögel (éd.), Der grote Exodus, 1917-1941, Munich, Verlag C. H. Beck, 1994, p. 140-164.
57 MAE, Z Finlande, vol. 21, f° 22-26, note sur le contrôle des étrangers avec copie d’une dépêche du chargé d’affaire français à Tallinn, du 24 septembre 1928.
58 V. Janovskij, op.cit., p. 206.
59 Lettre conservée au musée Boris Vil’de, à Iastrebino, écrite « le jour anniversaire de ses vingt-quatre ans », soit le 8 juillet 1932.
60 Nina Berberova, qui a collaboré au Rul’, dans C’est moi qui souligne (Paris, Actes Sud, 1989) ne cite pas son nom bien qu’elle ait rédigé ses souvenirs à une date où par la force des choses elle connaissait le rôle joué par Vil’de dans la Résistance.
61 Voir A. Grinberg, Opyty, New York, E. Tsetlina, 1953, t. 1, p. 204-205.
62 Lettre conservée au musée Boris Vil’de à Iastrebino. Il confie qu’il attend un rendez-vous avec une personnalité importante.
63 A. Gide, Ainsi soit-il, Paris, Gallimard, 2001, p. 104-105.
64 AMH, 2AP5, A3f, C.V. établi jusqu’en 1926, non daté.
65 Annuaire de l’École des Langues orientales vivantes pour 1939.
66 V. Janovskij, op. cit. , p. 203 et suiv.
67 V. Janovskij, op. cit., p. 73-95.
68 Ibid., p. 28.
69 Boris Vil’de les commentera dans son journal de prison. Il y découvrira ou reviendra sur sa connaissance des grands classiques, dont la Bible, Goethe, Bergson, Nietzsche, Montaigne, Pascal ainsi que quelques romans contemporains, en particulier Sparkenbroke, de Charles Morgan, etc.
70 Témoignage oral de Marianne Mahn-Lot.
71 V. Janovskij, ibid. ; A. Korliakov, L’émigration russe en France, 1917-1947, Paris, YMCA Press, 1999, photo n° 96.
72 Ibid.
73 AMH, fonds Rivet, 2AP1c. Lettre du 5 août 1938.
74 Leonid Zurov rédigera à son retour un bref rapport de cinq pages dactylographiées en français destiné au musée. Il publiera huit ans plus tard deux articles en russe sur ses prospections archéologiques et ethnographiques dans la région des Setu, rédigés à partir de ses notes. Celles de Vil’de n’ont pas été publiées, le rapport de trois pages manuscrites envoyé à son retour vient d’être retrouvé dans les fonds du musée. Un résultat, pour le moins, sommaire.
75 AMH, fonds Soustelle, sept lettres de Vil’de, de Helsinki, des 3 octobre, 26 octobre, 2 novembre, 10 novembre 1938 ; de Tartu, 2 décembre, 1938 ; et s.l., 10 avril 1939.
76 Revue conservée à la Bibliothèque du Protestantisme français.
77 Rapportée par M. Blumenson, op. cit.

 

Pour citer cet article: Anne Hogenhuis, «  D’une culture à l’autre : parcours d’Anatolij Levickij et Boris Vil’de, réfugiés russes et résistants du musée de l’Homme », colloque Les Premières Rencontres de l’Institut européen Est-Ouest, Lyon, ENS LSH, 2-4 décembre 2004, http://russie-europe.ens-lsh.fr/article.php3?id_article=49