Premières rencontres de l’Institut Européen Est-Ouest

La vision russe de la France : l’évolution de l’image de l’autre ou les réflexions sur soi ? D’après des documents privés (1814-1825)

 

 

La vision russe de la France :
l’évolution de l’image de l’autre ou les réflexions sur soi ?
D’après des documents privés (1814-1825)

 

Maya GOUBINA
Université Paris IV-Sorbonne ; université d’État Lomonossov, Moscou
CRLV

 

Le règne d’Alexandre Ier coïncide avec le premier quart du XIXe siècle - une période riche en événements et importante pour l’histoire russe.

D’une part, la Russie a maintenu une politique extérieure énergique afin de défendre ses intérêts face à l’activité intense de la France sur la scène internationale. Ainsi, l’opposition politico-militaire de la France et de la Russie a multiplié les contacts fréquents et divers entre les deux pays et les deux sociétés. D’autre part, l’épanouissement de la pensée intellectuelle russe a nettement marqué l’époque d’Alexandre Ier. Par ailleurs, depuis le XVIIIe siècle, la partie cultivée de la société russe était imprégnée de culture française.

Il est par conséquent logique de supposer que la richesse (du point de vue quantitatif aussi bien que qualitatif) des relations franco-russes de cette période a contribué à l’évolution de la perception russe du monde. Dans cette communication nous nous proposons de réfléchir sur un des aspects de ce problème. Un grand corpus d’écrits personnels de l’époque nous servira de base de travail. L’ensemble de ces documents se divise en deux sous-ensembles distincts du point de vue chronologique (ils couvrent les deux périodes successives), et du point de vue de la nature des sources, même s’il s’agit dans tous les cas de documents privés, autrement dit de mémoires, de journaux intimes et de correspondances.

 

Il s’agit premièrement des notes de campagnes de militaires russes ayant séjourné en France en 1814-1818. L’arrivée des troupes russes en France en 1814, en 1815, et la présence du corps d’occupation russe dans les départements du nord et du nord-est de la France de la fin de 1815 à la fin de 1818 marquent les étapes de cette présence militaire russe sur le territoire français à la fin de l’Empire et au début de la Restauration. L’abondance des notes de campagne relatant ces circonstances témoigne de l’importance de cette expérience pour les Russes.

Avec le retour de la paix, de nombreux voyageurs civils russes renouent avec leurs pérégrinations sur les routes françaises. En effet, la noblesse russe poursuit la tradition des Grands Tours[1], dont les étapes incontournables étaient la France et Paris. Les récits de voyage des auteurs russes des années 1820 constituent le second sous-ensemble des sources utilisées pour cette étude. Tout comme leurs prédécesseurs militaires, les voyageurs civils nous fournissent les descriptions détaillées de leurs impressions françaises.

 

L’analyse transversale des deux sous-ensembles de sources a révélé un certain changement dans l’attitude manifestée par les Russes à l’égard des réalités françaises. La différence entre les conditions et les circonstances des séjours français, « forcés » pour les uns, et, « voulus » pour les autres, en a été une des causes principales. Cependant, l’étude consécutive et comparative des écrits personnels des deux groupes d’auteurs russes a permis de constater l’importance de l’étude des impressions « françaises » des voyageurs russes pour l’analyse des origines de certaines évolutions dans l’« autoperception » russe. L’analyse de l’image de l’autre est en effet un moyen de l’analyse de sa propre culture et inversement[2].

 

Ainsi, cette étude permet de constater et d’analyser une trace originale de l’importance des événements, dont le gouvernement d’Alexandre Ier a été l’un des principaux acteurs, pour le développement ultérieur de la pensée intellectuelle russe au XIXe siècle.

 



Maya Goubina

Diplômée de l’université d’État de Moscou (faculté d’Histoire), Maya Goubina rédige une thèse de doctorat intitulée La perception réciproque des Français et des Russes d’après les Archives, la presse et la littérature (1812-1827), (cotutelle université Paris IV-Sorbonne et université d’État Lomonossov, Moscou). Elle est en outre chercheur associé au Département des Cartes et Plans de la Bibliothèque nationale de France.

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Dernières publications :

Les bulletins de l’armée napoléonienne (1805 - 1812) et le problème épistémologique de la constitution de l’image de la Russie.

« Les troupes alliées en France en 1814-1818 : les sources aux Archives Nationales », Le Messager de l‘Archiviste, n° 1 (73), 2003, Moscou, p. 239-253.

« Les particularités de l’image de la Russie et des Russes chez les contemporains français. 1814-1818 », in La Russie et le monde dans leurs visions mutuelles : l’histoire de la perception réciproque, fasc. II, 2002, Moscou, Académie des Sciences de la Russie, Institut de l’Histoire de la Russie, p. 153-161.

 

La liste complète de ses publications est consultable sur le site officiel du Centre de recherche sur la littérature des voyages :
http://www.crlv.org/outils/chercheur/afficher.php ?chercheur_id=481


[1] Voir W. Bérélowitch, « La France dans le “ Grand Tour ” des nobles russes au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle », Cahiers du Monde russe et soviétique, XXXIV (1-2), janv. - juin 1993, Paris, p. 199.

[2] Voir S. V. Obolenskaja, Germanija i nemcy glazami russkih (XIXvek), Moscou, 2000, p. 8.