Premières rencontres de l’Institut Européen Est-Ouest

Lieux, réseaux et pratiques de l’élaboration culturelle : les enjeux de la formation

 

 

Lieux, réseaux et pratiques de l’élaboration culturelle :
les enjeux de la formation

 

Corine NICOLAS
Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Centre de Recherche en histoire des Slaves, Institut Pierre Renouvin

 

À travers la consultation de divers fonds d’archives[1] concernant l’émigration russe, on peut déceler, dans la formation de la jeunesse, un véritable combat dans le but de préparer les cadres du retour, nécessaires au rétablissement de la Russie. Toutes les forces vives de cette Russie « hors frontières » vont se mobiliser afin de sauver cette jeunesse et de favoriser son insertion dans les sociétés d’accueil mais aussi parce qu’« il est évident pour nous tous que la Russie future, après s’être libérée du joug communiste, aura besoin avant tout d’éléments humains qui soient dûment préparés pour l’œuvre immense nécessaire à son rétablissement »[2].

Paul Robinson, dans son ouvrage The White Russian Army in Exile[3],, montre que les meilleurs officiers sont sélectionnés afin de poursuivre leurs études. Ainsi continuent-ils à servir la lutte contre les bolcheviks, préparant la relève d’un pays anéanti.

Dès 1919, naît à Prague l’ORESCO, union des organisations des étudiants russes émigrés qui tente d’aider les étudiant moins bien lotis. Cette union dispose de petits moyens résultant des versements faits par les étudiants eux-mêmes. Dans un mémorandum de 1923, présenté au Haut-commissaire Nansen, par les instances du Zemgor, l’ORESCO fait le point sur le sort des étudiants russes à travers le monde[4]. D’un pays à l’autre, l’accueil et l’appui furent très différents. Cette aide en Tchécoslovaquie et en Yougoslavie, « était un fait acquis »[5], mais malheureusement les ressources étaient limitées. Différentes organisations américaines dont le YMCA aident ici et là à subvenir aux besoins de ces étudiants, proposant notamment des cours par correspondance nombreux et très vite populaires.

La France semble faire des efforts à partir de 1923-1924. « Une Commission spéciale franco-russe fut créée près l’Institut d’Études Slaves, pour conférer des bourses d’État aux étudiants russes... »[6].

De nouveau en 1929 le comité consultatif des organisations privées pour les Réfugiés, propose de diffuser une enquête sur le sort de ces enfants de l’émigration. Le cinquième point présente la situation des étudiants. Il y est souligné que « terminer ses études dans les écoles supérieures de l’Europe occidentale, cela signifie pour les enfants des anciens intellectuels russes être sauvés du malheur de devenir des déclassés, sort inévitable qui est échu à leurs parents ; cela signifie avoir en main une arme sûre pour la lutte pour la vie ici en exil et pour l’œuvre qu’ils ont à accomplir envers leur patrie dans l’avenir »[7].

Outre-Atlantique aussi, Alexis Wirren tente de venir en aide à ses compatriotes, en leur proposant des prêts d’honneur remboursables à l’issue de leur cursus et qui passaient par l’engagement formel jusqu’en 1931 de participer à la reconstruction de la Russie future, de rentrer dès le retour de la démocratie[8].

Cet officier de marine mobilise autour de lui non seulement le dernier des ambassadeurs russes à Washington, mais établit des contacts avec le MIT et les présidents de grandes compagnies américaines. Près de mille étudiants en bénéficièrent entre 1923 et 1974.

Manifestement, des synergies s’élaborent entre ces diverses institutions. Ainsi M. Fédoroff, Président du Comité français, en 1928, lors d’une séance du CCOP au BIT annonce qu’il s’est mis en relation avec Alexis Wirren pour placer des étudiants aux États-Unis[9].

Pour toute cette période, de 1917 à 1940, les étudiants, estimés à quelques milliers en Europe par l’enquête de 1929 déjà présentée[10], sont l’objet d’une attention qui transcende toutes les dissensions politiques, incarnant aux yeux de tous un avenir dans une Russie à réinventer.

 



Corine Nicolas

Corine Nicolas rédige sous la direction de Marie-Pierre Rey (université Paris I Panthéon-Sorbonne) une thèse de doctorat intitulée Paris-Genève, les réseaux d’entraide et les réfugiés russes, 1917-1939.


[1] Archives Nansen, bibliothèque de la SDN, Archives de la Sorbonne.

[2] L’œuvre du Comité de Patronage de la jeunesse universitaire russe à l’étranger. Préparation de nouveaux cadres intellectuels pour la Russie future, Michel Fédoroff, manuscrit, archives de la Sorbonne.

[3] Paul Robinson, The White Russian Army in Exile, 1920-1941, New York, Clarendon Press of Oxford University Press, 2002.

[4] Archives de la SDN, fonds Nansen, R 1721.

[5] Idem P3.

[6] Voir 2 P4.

[7] Université de Leeds, archives du ZEMGOR, France, 1930.

[8] The Russian Student Fund P4, Paul Anderson Archives, Box 5, Illinois, University of Urbana Champaign.

[9] Archives CICR, CR 87, boîte 10.

[10] Voir note 6.