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ENS Lettres et Sciences Humaines

 

 

 

Difficultés et fécondités d’une rencontre : catholicisme et orthodoxie àl’épreuve de l’émigration russe

Laura PETTINAROLI
Université Lyon II-Lumière, Laboratoire de Recherche Historique RhÃ’ne-Alpes (LARHRA, UMR 5190), équipe REligions, Sociétés Et Acculturation (RESEA)

 


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Mots-clés : religion, culture, bienfaisance, conversion, acculturation

 

La révolution de 1917 transforme les caractéristiques de l’émigration russe en Europe. En tant que véritable exil, provoqué par l’effondrement d’un système politique imbriqué à l’orthodoxie, la nouvelle émigration russe pose concrètement, au sein même des capitales européennes, la question de la révolution, dans ses dimensions politiques, matérielles et morales.

Face à cette révolution, l’Église catholique, dont les élites sont mieux familiarisées avec la question russe depuis la deuxième moitié du xixe siècle, développe une intense activité. Cette activité protéiforme (diplomatique, théologique, missionnaire, dévotionnelle, intellectuelle) se déploie directement dans l’espace russe, mais aussi - indirectement - auprès des émigrés.

La comparaison des deux centres d’émigration que sont Berlin et Paris permet de dégager les lignes de force de la mission catholique à l’égard des émigrés russes. En effet, Berlin est dans la première moitié des années 1920 la « véritable capitale de l’émigration »1, concentrant, en 1923, 560 000 Russes2 (soit une grosse moitié de l’émigration russe). À la fin des années 1920, il restait environ 100 000 émigrés russes en Allemagne. C’est alors la France qui devient le centre dynamique de l’émigration russe. De 30 000 Russes en France en 1921, on passe à 67 000 en 1926, cette population se stabilisant aux alentours de 70-80 000 personnes, dont 45 000 dans l’agglomération parisienne3.

Cette étude se fonde sur un travail en cours mené à partir de sources émanant essentiellement d’institutions4 et d’organes de presse catholiques : la rencontre est donc envisagée d’un point de vue unilatéral. Insuffisante, cette perspective permet toutefois d’évoquer un aspect peu mis en valeur par l’historiographie : la diversité religieuse de l’émigration russe5.

Après avoir détaillé la perception du phénomène de l’émigration russe par les responsables catholiques et les réactions qui en découlent, nous verrons comment la rencontre entre orthodoxie et catholicisme se fige dans la polémique sur plusieurs thèmes, notamment celui des conversions. Malgré les difficultés, cette rencontre enrichit le catholicisme sur des plans variés : culturel, intellectuel et religieux.

Les catholiques sont sensibles à la pauvreté matérielle des Russes, qu’ils soulignent sans cesse7. S’ils sont bien conscients que « plusieurs milliers d’entre eux sont dans une misère lamentable »8, cette pauvreté n’est pratiquement jamais analysée pour elle-même. Les responsables catholiques produisent des statistiques concernant les populations immigrées9, mais nous n’avons pas retrouvé d’analyse précise des besoins matériels russes. Par contre la brièveté du constat de la détresse matérielle est contrebalancée par l’analyse fouillée des conséquences spirituelles des détresses matérielles. Ainsi, cette situation de pauvreté laisse les Russes en proie aux pires « loups », c’est-à-dire - pour les catholiques - les protestants (par le biais de la « fortunée » YMCA) et les francs-maçons. Ainsi, à Lyon (où Édouard Herriot est maire), la hiérarchie espère la venue prochaine d’un prêtre russe catholique car « le Maire de Lyon et la Franc-maçonnerie, qui ont déjà toute l’influence sur les Chinois et les Yougoslaves, n’attendent que l’occasion de bolcheviser les centaines de Russes, qui sans ressources, frappent en vain à la porte des catholiques »10.

Les émigrés russes apparaissent le plus souvent dans les discours catholiques sous les traits de « brebis perdues ». Cette situation est d’abord due à l’abandon présumé du peuple russe par ses propres pasteurs11. La division religieuse des orthodoxes russes est présentée comme constitutive de la tradition ecclésiale russe : les difficultés existaient du temps des tsars et « n’ont fait que s’accroître avec la révolution bolcheviste »12. De façon plus générale, l’Église catholique porte une attention très aiguë aux crises de la hiérarchie russe en Europe et insiste sur la déstabilisation qui en découle pour les fidèles13.

Toutefois, ces Russes sont également « perdus » par la faute de l’Église catholique qui n’a pas pu14 ou pas su15 faire entendre sa parole aux Russes jusqu’à présent. Dès lors, la population russe est considérée, de façon ambiguë, comme un troupeau relevant de l’Église catholique, les textes parlent ainsi plus souvent de « pastorale » que de « mission » pour désigner l’action à l’égard des Russes orthodoxes. Face à ce constat d’une déstructuration sociale et morale des Russes dans l’émigration, l’Église catholique propose rapidement une action stable opérant sur les deux tableaux du « malheur » russe.

La solidarité européenne à l’égard des émigrés russes est mal connue, l’historiographie s’étant pour l’instant concentrée sur les organisations de bienfaisance gérées par des Russes16. Concernant le catholicisme, cette action est à interpréter dans le contexte de fort dynamisme caritatif aux échelles nationales (allemande et française) et internationale17.

En Allemagne, l’aide caritative aux réfugiés russes prend diverses formes durant la période : dès 1918, le Caritasverband aide des Russes à partir de dons essentiellement allemands ; en 1922, est créée une section spéciale d’aide aux Allemands de la Volga et de la Mer Noire réfugiés (Katholische Fürsorge für Russland, Diöcese Tiraspol) avec des financements variés ; à l’automne 1927 est créée une commission spécifique du Caritasverband pour les réfugiés russes, à ce moment le financement vient des États-Unis, c’est-à-dire de la Catholic Near East Welfare Association (fondée en 1926)18 ; parallèlement, l’action déployée par Madame Oettingen, à partir de 1922, est financée directement par le Saint-Siège (par le biais de Mgr d’Herbigny d’abord, puis par la nonciature). Les principaux postes de dépense sont des aides aux familles (nourriture, aide au logement, aide administrative, dons pour des soins coûteux) et l’éducation de jeunes russes placés dans des institutions catholiques.

En France, la mise en place de structures d’aide spécifiques aux Russes est précoce : Union française d’aide aux Russes (Paris, novembre 1921) ; Comité lyonnais d’assistance aux réfugiés russes (Lyon, 1922). Dans ces deux cas, on peut souligner la grande discrétion dans la dénomination de ces œuvres de charité. Bien que placées sous le patronage des archevêques de Paris et Lyon, ces deux œuvres entrent dans le cadre de la loi 1901 sur les associations et n’affichent aucune référence directe au catholicisme. Cette discrétion est associée à l’usage des circuits de l’émigration russe. Ainsi, pour faire connaître son action, l’Union française d’aide aux Russes insère des annonces dans « les deux principaux journaux russes » de Paris, ce qui provoque une grande affluence concernant les demandes de nourriture et de vêtement19. Évidemment, ces œuvres caritatives sont des lieux de la rencontre, directe (bénévoles) ou indirecte (donateurs), entre Russes (souvent orthodoxes) et catholiques occidentaux.

Ces œuvres font les preuves de leur efficacité. À Lyon, en un an (1923-1924), ce sont plus de 1 800 « exilés russes » qui se sont adressés au Comité : plus de 1 200 hommes et femmes furent placés en usine ou à la campagne20. En moins d’un an, à Paris, l’Union française d’aide aux Russes réussit à placer 3 000 hommes chez Peugeot, Delaunay-Belleville et Renault21. Après six ans, ce sont plus de 17 500 personnes qui ont reçu une « aide pratique »22. Soit, si ce chiffre est rapporté à la population russe parisienne, presque 40%.

La mission catholique russe vise un projet ambitieux : conserver à ses membres les richesses russes tout en s’ouvrant aux apports occidentaux. Un projet jésuite de 1930 explicite bien ce paradoxe :

Nécessité d’agir sur l’élite de l’émigration russe. Conserver, avant tout, à cette élite son caractère russe, mais en l’aidant à prendre, en Europe occidentale, les éléments capitaux de la civilisation catholique : ordre et intellectualisme. [...] Mais danger de laisser toute cette jeunesse et surtout l’élite de cette jeunesse de l’émigration russe, devenir insensiblement toute française en France, en Allemagne, toute allemande, en Italie, italienne, etc. D’où absorption, puis perte pour l’apostolat futur, de tout un contingent russe, catholique ou catholicisant, qui aurait pu être de premier ordre pour le moment où la pénétration en Russie sera devenue possible.23

Dans un premier temps, le cardinal de Paris, poussé par Mgr Baudrillart, souhaitait confier la mission russe à des jésuites24. Finalement, c’est la solution diocésaine qui s’imposa mais dans un projet plus vaste, celui de la pastorale pour les étrangers. En 1922, Mgr Chaptal est nommé auxiliaire de l’évêque de Paris pour les étrangers de Paris, et reçoit personnellement la charge des Russes catholiques de Paris et de toute la France. Il est secondé dans sa tâche par le chanoine Quénet qui s’occupe du Bureau de l’aide aux étudiants dont le rôle est caritatif et d’animation intellectuelle25. À ce système assez complet vient s’ajouter, également au début des années 1920, une institution décisive pour la structuration d’une communauté catholique : un séminaire russe du rite slave. Le séminaire Saint-Basile fondé à Lille en 1923 à la demande de Pie XI, est placé sous la direction des dominicains. Dans les années 1920, et jusqu’à la fondation du séminaire russe de Rome (Russicum, 1929), la France du Nord (associée à la Belgique francophone) joue un rôle moteur dans la structuration du catholicisme russe. Malgré cette vitalité et le souhait répété d’une chapelle pour les Russes de rite byzantino-slave26, ce n’est qu’en 1928 que Mgr Evreinov devient curé de l’église russe sous la direction de Mgr Chaptal. L’église de la Sainte-Trinité (située à cette époque avenue de Sœur-Rosalie dans le XIIIe arrondissement) confère alors une assise à la paroisse russe catholique27. Le déménagement de cette paroisse dans la seconde moitié des années 1930 rue François-Gérard, dans le XVIe arrondissement, et le fait qu’elle soit confiée à la charge des dominicains restent encore à éclairer.

Un gros effort est mené à Berlin et Paris pour fonder une communauté catholique authentiquement russe. Les ressorts de la cohésion sont le rite oriental28, la valorisation de la jeune histoire du catholicisme russe29, l’insertion dans le mouvement international du catholicisme russe30. Mais cette cohésion passe surtout par la valorisation systématique de la langue nationale, notamment par la constitution d’une presse communautaire en russe.

Tableau 1 : La presse russe catholique en France dans l’entre-deux-guerres

Dès le début des années 1920, se constitue à Lyon puis à Paris le bulletin mensuel Vera i Rodina, d’un format modeste (environ 20 pages par numéro). Surtout constitué de petits articles et de rubriques au caractère catéchistique, Vera i Rodina laisse la place au tournant des années 1930 à deux revues d’une plus ample ambition intellectuelle. Le format est alors révélateur : Katoličeskij Vremennik et Blagovest’, organes de la paroisse de l’avenue de Sœur-Rosalie, sont volumineux (entre 100 et 200 pages par an pour le premier, environ 60 pages par numéro pour le second). En fin de période, Besedy31 (organe de la paroisse de la rue François-Gérard) reprend un format plus modeste, entre 10 et 20 pages par numéro. Soulignons toutefois, que, malgré cette modestie, l’efficacité de la transmission du message est réelle grâce à une bonne capillarité des réseaux de presse catholique. Les enjeux de la mission catholique russe sont transmis même dans des milieux catholiques très étrangers au phénomène. Ainsi, une lettre d’un prêtre de l’ouest de la France signale à la rédaction de Besedy un lecteur potentiel : « Russe - ancien officier dans l’armée Wrangel - engagé depuis plus de six ans, comme infirmier, à l’hôpital civil de Rochefort-sur-mer ». Ce prêtre signale avoir connu Besedy « à la suite de la lecture d’un communiqué paru dans le Bulletin religieux du diocèse de La Rochelle »32.

Dans Besedy, les articles sont alors peu nombreux, courts et anonymes. Les trois principales rubriques sont : le calendrier liturgique chaque mois ; le rappel des horaires des célébrations dans les différentes communautés russes-catholiques en France et parfois en Europe (Belgique, Rome, pays baltes), et la série des ouvrages en russe disponibles à la vente auprès de la rédaction de la revue. On voit ainsi que cette presse communautaire en russe a, pour un temps seulement, servi de relais de diffusion aux ambitions intellectuelles du mouvement catholique pour la Russie33. Ces ambitions sont anciennes et fortes puisque l’enjeu est de réussir la rencontre de deux mondes chrétiens, rencontre rendue possible par les changements politiques russes. C’est du moins ce qu’exprime une publicité pour les éditions Vera i Cerkov’ (proches du futur périodique Vera i Rodina) fondées au début des années 1920 à Constantinople :

En chassant les Russes de leur pays, la révolution en a jeté un grand nombre en plein courant de vie catholique. Le contact avec des réalités qu’ils ne soupçonnaient même pas leur fait généralement désirer mieux connaître l’Église qui produit cette intensité de vie, Église si voisine et pourtant si différente de la leur. Pour répondre à cette légitime et salutaire curiosité, des écrivains catholiques ont entrepris de publier, en langue russe, une série de courtes monographies.34

Il semble que les ambitions intellectuelles du mouvement catholique pour la Russie s’expriment préférentiellement dans des langues occidentales. Ainsi, dans les années 1930 en France, on peut dire que c’est la revue Russie et Chrétienté (depuis 1934, en français) qui porte ce flambeau.

Si ces périodiques de la communauté russe-catholique en France ne sont qu’une goutte dans l’océan des 167 périodiques russes parus pendant l’entre-deux-guerres35, la relative durabilité de cette presse, malgré ses crises, est remarquable par rapport à l’Allemagne. En effet, malgré les demandes répétées du père Berg d’un périodique pour la communauté russe, ou d’une traduction allemande d’Irenikon avec l’ajout d’une page allemande36, ce n’est qu’en 1928, et pour peu de temps, que la pastorale russe se lie à un périodique (West-östlicher Weg [Le chemin Ouest-oriental]37) qui reste de surcroît en allemand.

L’effort d’universalisme qui apparaît dans la structuration de la communauté russe-catholique, se pose d’abord en s’opposant au nationalisme présumé de l’orthodoxie russe. Cette question du nationalisme suscite dans la presse catholique russe de fréquents articles de clarification38 et révèle un combat de long terme contre le préjugé qui fait du russe catholique un mauvais patriote39. Mais, plus profondément, les catholiques russes essaient de développer les fondements spirituels de la critique du nationalisme excessif. Ainsi la revue Blagovest’ met-elle en valeur, dans un article de 1931, la figure de saint Tikhon de Zadonsk, canonisé par l’Église orthodoxe, et de ses textes sur l’incompatibilité d’un nationalisme religieux dans une perspective chrétienne40.

À cette définition négative du catholicisme par ce que n’a pas l’orthodoxie, s’ajoute une définition plus positive qui valorise l’internationalisme catholique. Ainsi la revue Blagovest’ démontre sa volonté d’ouverture aux catholiques français (la plupart des numéros commencent par une rubrique de quelques pages en français, intitulée « À nos amis ») et aux grands événements du catholicisme mondial41.

En Allemagne, la question se pose d’imiter ce modèle français pour les deux centres de réfugiés de Berlin et Munich. La Secrétairerie d’État charge le nonce Pacelli de mener l’enquête sur ce point42. S’il semble nécessaire de développer une action spécifique à l’égard des Russes, étant donné la vitalité culturelle de la communauté à Berlin, on ne trouve pas de personne adaptée et l’Allemagne n’aura pas d’évêque auxiliaire sur le modèle français. De façon plus générale, l’organisation d’une véritable paroisse russe à Berlin suscite bien des difficultés, vu le nombre réduit des catholiques russes. C’est ainsi que le père Kuzmin-Karavaiev peine à trouver un chœur russe catholique pour animer les offices et fait venir un chœur « schismatique »..., ce qui pose d’autres problèmes à Rome43.

En France, les catholiques russes demeurent peu nombreux malgré des conversions régulières (entre 20 et 30 par an à Paris dans les années 1920-1930). Selon un questionnaire remis par la hiérarchie française au Vatican en 1927 (donc peu sujet à sous-évaluer la situation) : il y aurait alors 200 Russes catholiques à Paris, 30 à Lyon, 64 dans le diocèse de Metz et quasiment aucun dans les autres diocèses français44. Autre symptôme de difficultés dues à un surdimensionnement de l’offre : les efforts pour revendre les anciens numéros de revues catholiques russes disparues (Besedy, numéro 1, janvier 1938, propose la vente à 10 francs des livres I et III du Katoličeskij Vremennik).

À de nombreuses reprises, la presse russe émigrée est le théâtre de polémiques entre catholiques et orthodoxes. Bien conscients de l’importance de la presse dans la structuration de l’opinion45, les catholiques de l’entre-deux-guerres, font preuve d’une attention constante à leur image dans la presse émigrée46. Cette attention se manifeste notamment par une analyse précise de la presse russe en Allemagne et en France47.

L’attitude du Vatican à l’égard du pouvoir soviétique est sujette à controverses48, de même que la promotion systématique du catholicisme de rite oriental dans la mission russe49 ou les positions « uniatisantes » des théologiens catholiques réunis à Vehlerad50.

Parmi les thèmes polémiques, l’un des plus durables est la question du lien entre charité et conversions de l’orthodoxie au catholicisme. Les catholiques se montrent précocement conscients du potentiel polémique de ce thème :

Une autre cause de malentendus et de froissements provient de la nécessité, où se trouvent les Russes émigrés et les habitants affamés de la Russie, de recourir à la charité catholique. En voyant les conversions qui s’opèrent, ils prétendent que nos secours n’ont d’autre mobile, de notre part, que le désir d’acheter des âmes orthodoxes en les entraînant au catholicisme par l’appât d’avantages matériels. Bien souvent ces plaintes ont retenti parmi les émigrés en France. Elles n’ont sans doute aucun fondement sérieux. Mais il n’en est pas moins nécessaire de connaître ce point sensible de l’âme russe, et il serait maladroit et peu charitable de l’irriter.51

Les années 1920 voient revenir plusieurs fois cette polémique sur la charité catholique : en 1925 (article d’Aleksandr Jablonovskij contre l’action caritative catholique dans Vozroždenie [La Renaissance], 3 août 1925) et surtout en 1926. Cette fois, les catholiques ne se contentent pas de répondre mais lancent eux-mêmes la dispute. Ainsi le chanoine Quénet publie son article « Une faute lourde » dans Dni (Les Jours) (27 au 28 mars 1926). La polémique met alors en jeu les autorités hiérarchiques : le métropolite Euloge publie sa lettre à Mgr Chaptal où il reproche à l’évêque le geste de son subordonné (Vozroždenie, 31 mars 1926). La polémique prendra alors des proportions importantes avec plus d’une dizaine d’articles parus entre le 1er et le 18 avril 1926 dans les deux périodiques Dni et Vozroždenie, donnant la parole à de nombreux acteurs, comme les associations d’aide orthodoxes. En 1930 encore, Charles Ledré signale la permanence de cette polémique : « On a parfois prétendu, dans les rangs de l’orthodoxie, que les catholiques français, sous prétexte de bienfaisance, cherchent à convertir brutalement les réfugiés. C’est une thèse qu’on défend encore rue Daru et dans certains milieux. »52

Mais qu’en est-il vraiment de l’attitude catholique à l’égard de ces conversions ? Comme nous l’avons déjà évoqué, ces conversions sont peu nombreuses. Par ailleurs, Rome et la hiérarchie catholique recommandent une grande prudence dans la réception des conversions russes53. La raison est triple : la crainte d’une action intéressée des orthodoxes en difficulté matérielle54 ; la crainte du scandale dans l’opinion orthodoxe sur ce point55 ; le choix d’une militance « unioniste » qui recherche une conversion collective des Églises dissidentes au catholicisme et non la multiplication de conversions individuelles éparses56. Dès lors, les catholiques européens expriment un prosélytisme prudent. C’est ainsi qu’en annexe au bilan de janvier 1929 de l’Aide pontificale aux Russes en Allemagne, on trouve une liste des 85 enfants aidés avec nom, prénom, âge, confession et lieu de scolarisation. La majorité est orthodoxe (47 enfants), les autres sont catholiques, israélites, luthériens. Mgr O’Rourke signale alors deux cas de conversions du protestantisme et trois de l’orthodoxie et commente ainsi : « Espérons que ces conversions se multiplient, bien qu’il ne soit fait aucune pression de notre part, selon le désir du Saint Père. »57 Malgré ces ambiguïtés et ces polémiques, les relations entre catholicisme et orthodoxie dans l’entre-deux-guerres ne se résument pas à un conflit mais suscitent bien des enrichissements.

Le catholicisme s’enrichit d’apports russes. Toutefois, la transmission culturelle n’aurait pas eu cette ampleur et cette variété sans la constitution d’un fort horizon d’attente dans le catholicisme à l’égard de la Russie, et ce dès avant 1917. Plus profondément, l’intégration de l’apport russe ne se fait pas au détriment de la culture catholique d’« origine », mais dans la grammaire de cette dernière.

Si, à l’image de l’ensemble de la société française, les catholiques se posent la question de l’immigration dans les termes de l’acculturation aux valeurs françaises58, ils ne semblent pas conscients des influences culturelles en sens inverse. Or, en même temps que se développe une mode russe stéréotypée59, le catholicisme européen participe à la diffusion de la culture russe par des vecteurs artistiques. La revue Irenikon présente dans chaque numéro des illustrations hors-texte accompagnées de notices d’histoire de l’art (le numéro 2 de 1926 présente ainsi une icône du Christ du xie  siècle). Les musées du Vatican passent une commande de 120 tableaux, représentant les hauts lieux de l’orthodoxie russe, à un couple émigré - et converti - les Brailovsky. Ces tableaux occupent cinq nouvelles salles inaugurées en 1935 et constituent, pour Pie XI, « le premier noyau d’un musée historique et artistique [...] destiné à l’étude de l’art russe »60.

Dans le domaine musical, le chant choral russe est, lui aussi, à l’honneur. Les centres catholiques spécialisés dans l’apostolat oriental organisent des chorales et se produisent lors de célébrations, mais surtout dans des concerts « sécularisés ». La chorale Istina est probablement la plus active de ces chorales catholiques. Créée en 1928 par les dominicains, elle compte 30 membres en 1935, souvent des élèves du conservatoire. Dans une proportion moindre, bien sûr, que les chorales orthodoxes (l’une des plus connues est celle du chœur de l’Institut de théologie Saint-Serge, qui effectue des tournées en Europe, accompagnées et commentées par Léon Zander), mais dans le même mouvement, ces chorales catholiques participent donc à la diffusion de la culture russe. Cette diffusion est probablement significative localement et lorsqu’elle a lieu dans des contextes peu ouverts a priori aux influences russes61.

Ce processus de translation culturelle suscite toutefois un grand mélange des genres, entre usages muséographique et religieux de la culture russe, éléments profane et religieux, arts visuels et auditifs. Citons l’exemple d’une fin de semaine en Alsace, en 1935, organisée par les dominicains. Samedi 23 novembre 1935 : retransmission sur Radio-Bruxelles d’une « Soirée de musique russe » avec au programme des chants russes et des œuvres de Rimski-Korsakoff (participation de l’orchestre Radio-Strasbourg). Dimanche 24 novembre : liturgie de rite oriental à 10h30 (avec prière contre les persécutions en Russie) ; exposition gratuite d’icônes au couvent dominicain de Strasbourg ; l’après-midi, la chorale Istina chante à Colmar un office des morts62.

Dès la seconde moitié des années 1920 et avec la structuration du champ intellectuel religieux de la Russie hors frontière autour de l’Institut de théologie Saint-Serge, les rencontres entre croyants et théologiens des différentes confessions chrétiennes se développent63. L’historiographie a surtout retenu cet aspect illustré par les réunions orthodoxes-protestants-catholiques dès 1926 à Paris, à Clamart chez Nikolaj Berdjaev ; les décades de Pontigny ; le dialogue entre Berdjaev et Jacques Maritain de 1925 à 1948. Malgré la brisure de la fin des années 1920 marquée par l’encyclique Mortalium animos (6&nbps;janvier 1928) qui limite nettement la participation des catholiques aux rencontres interconfessionnelles, et des conversions de catholiques à l’orthodoxie, la fécondation intellectuelle du catholicisme est décisive dans plusieurs domaines, aussi variés que la théologie (notamment l’ecclésiologie) ou la pensée politique. Concernant par exemple la compréhension du communisme, on connaît l’influence de Berdjaev dans les milieux catholiques, intellectuels et non-conformistes (notamment après la traduction d’articles en français comme « Vérité et mensonge du communisme », Esprit, octobre 1932, numéro 1, p. 104-128). On pourrait aussi montrer la diffusion de cette pensée dans les milieux romains64, cette influence nourrissant ainsi l’encyclique Divini redemptoris qui condamne le « communisme athée » comme « intrinsèquement pervers » le 19 mars 193765.

Toutefois, tous les milieux sociaux-culturels ne peuvent recevoir sans « filtre  » catholique une réflexion « identitairement » orthodoxe. Ainsi, lors de la Semaine pour l’unité à Lyon, en janvier 1937, sur le thème « Le Royaume de Dieu », tous les invités intervenant sur l’orthodoxie sont catholiques, comme dom Thomas Becquet, bénédictin d’Amay qui parle de « La vision russe du Royaume de Dieu »66.

Les orthodoxes russes font preuve d’un certain dynamisme à diffuser leur tradition religieuse. Cette diffusion suscite l’émulation des catholiques. Ainsi, c’est la traduction allemande de la liturgie de saint Jean Chrystostome mise au point par la hiérarchie russe pour permettre aux chrétiens occidentaux, intéressés par l’orthodoxie, de suivre la liturgie qui décide le père Berg à écrire un « catéchisme controverse, parallèlement en langues allemande et russe »67.

La hiérarchie catholique manifeste alors sa volonté de faire reconnaître sa part d’héritage aux richesses spirituelles russes. C’est ainsi que les liturgies orientales catholiques sont fréquemment présentées aux fidèles de rite latin. À Paris, Mgr Chaptal organise une semaine mariale orientale, en décembre 1927, durant laquelle « chaque matin, [...] un rite différent mit le fidèle latin en présence d’une discipline liturgique nouvelle »68. Dans un document préparant cette semaine mariale, on saisit bien les mélanges étranges qui accompagnent ce processus d’acculturation. Ainsi, en même temps que l’on reconnaît la nécessité pour des âmes catholiques latines de se mettre à l’école de l’Orient69, cet effort passe par des relais typiquement catholiques latins : la hiérarchie demande aux curés parisiens d’impliquer fortement dans la préparation de cette semaine mariale, l’association des Enfants de Marie. L’appropriation d’une culture différente se fait donc dans les filtres habituels de la culture d’origine. De même, les catholiques s’approprient progressivement le support dévotionnel qu’est l’icône. Parmi les premiers usages de l’icône dans ce contexte : les séries d’images de piété invitant à la prière pour la Russie70, c’est-à-dire des images qui comportent au verso... une prière indulgenciée par le pape.

L’histoire religieuse des relations entre orthodoxie et catholicisme constitue un précieux biais pour faire l’histoire de l’émigration russe de l’entre-deux-guerres. En effet, en France, le catholicisme est un élément de l’interaction avec la société « accueillante » de la communauté russe. Cette interaction est ambivalente. Du côté orthodoxe, elle se situe entre le bienfait d’une aide et d’une reconnaissance culturelle et religieuse, et la menace que fait peser l’assimilation sur l’identité. Du côté catholique, on observe les hauts et les bas d’un grand rêve, celui d’une nouvelle identité russe intégrée à l’Occident. En effet, la confrontation entre les deux confessions est probablement aussi à interpréter dans un prisme « politico-religieux-civilisationnel » : pour de nombreux émigrés, le catholicisme symbolise quelque chose de la culture occidentale71. La confrontation se résout alors en conflits mais aussi en enrichissements, mieux visibles parfois dans une chronologie plus longue. C’est le cas pour la transmission d’éléments liturgiques « orthodoxes » à la piété catholique, comme l’icône qui s’installe durablement, mais de façon transformée, dans la piété catholique occidentale dans la mouvance du concile Vatican II. Il y a probablement ici, dans l’étude fine de ces petites transmissions culturelles, une voie efficace pour appréhender les rencontres de « civilisations », sans tomber dans la polémique. Pour être plus complète, l’analyse devrait alors s’enrichir de l’étude des cas de Prague (avec une base catholique slave très riche au sein de la Société Cyrille et Méthode72), des capitales polonaise73 et lituanienne74, ainsi que de l’émigration russe en Chine75.

 

Notes

1 N. Struve, Soixante-dix ans d’émigration russe, 1919-1989, Paris, Fayard, 1996, p. 17.
2 K. Schlögel (éd.), Russische Emigration in Deutschland, 1918 bis 1941 : Leben im europäischen Bürgerkrieg, Berlin, Akademie Verlag, 1995, p. 35.
3 Selon Jérôme Charyn, in H. Menegaldo, Les Russes à Paris, Paris, Autrement, 1998, p. 12.
4 Archives secrètes du Vatican, nonciature de Berlin (désormais ASV, Arch. Nunz. Berlino), archives du prieuré bénédictin d’Amay-sur-Meuse Chevetogne (AAC), archives du centre dominicain Istina (Istina), archives historiques de l’archevêché de Paris (AHAP), archives jésuites de Vanves (Vanves).
5 En effet, jusqu’à présent, l’étude de la dimension religieuse de l’émigration russe s’est surtout consacrée à la brillante vitalité orthodoxe. Nikita Struve explique par des raisons démographiques le traitement exclusif de l’orthodoxie dans son chapitre religieux : « Toutes les autres confessions religieuses étaient représentées dans l’émigration (protestants, catholiques, vieux-croyants, musulmans, juifs), mais leur importance numérique comme leur apport ont été négligeables : faibles minorités au sein d’un corps social lui-même minoritaire, elles se sont rapidement effilochées, sinon éteintes » (N. Struve, op. cit., p. 64, note 1).
6 « Il serait donc utile et conforme à l’esprit de charité recommandé envers eux par les Souverains Pontifes d’éviter toute terminologie blessante pour ces infortunés, atteints par tant de malheurs » (Mgr Chaptal, « Directions données aux prêtres du diocèse de Paris relativement à l’entrée des “orthodoxes” russes dans l’Église catholique », La Semaine religieuse de Paris, 2 décembre 1922, n° 3 595, p. 651-655).
7 « Il y a ceux qui ont gardé leur fortune, ceux qui dansent sur les tables comme des tziganes enivrés, ceux qui supportent courageusement “le poids du jour et de la chaleur”. Nous étudierons les derniers. Parce qu’ils sont beaux à voir et que leur énergie persévérante est une leçon qui émeut. Notre enquête nous conduira partout où il y a des Russes qui souffrent, qui luttent, qui veulent vivre » (C. Ledré, Les Émigrés russes en France. Ce qu’ils sont. Ce qu’ils font. Ce qu’ils pensent, Paris, Spes, 1930, p. 8).
8 Mgr Chaptal, « Pour les Russes dans la détresse à Paris », 1922 ou 1923 (AHAP, dossier 635, Administration des étrangers, Russes).
9 AHAP, 9K2 9a, le Ministère des étrangers dans le diocèse de Paris, 1922-1927.
10 Vanves, E-ME 1/2, note sur les étudiants russes à Lyon, s. d. (1923 au plus tard).
11 C’est ainsi que le père Kuzmin-Karavaiev, responsable de la pastorale russe à Berlin, explique la situation au nonce Pacelli : «  Les émigrés russes éprouvent avec une grande sensibilité la séparation entre le parti ecclésiastique du métropolite Antoine et celui du métropolite Euloge qui s’est déjà produite, ainsi que la division entre l’Église russe à l’étranger et l’Église russe de Moscou, qu’on peut attendre à chaque instant après que le métropolite Sergius a laissé paraître son (sic) fameuse épître envers la loyauté par rapport au pouvoir soviétiste » (ASV, Arch. Nunz. Berlino 27, fasc. 4, rapport à Pacelli, 20 septembre 1927).
12 C. Ledré, op. cit., 1930, chap. XIV « Religio depopulata ».
13 Intérêt dont témoigne la longue lettre du nonce Pacelli au Secrétaire d’État Gasparri du 12 septembre 1926 : « Sulla scissione fra gli emigrati russi. Circa l’unione delle Chiese russe colla Chiesa romana » (« Sur la scission des émigrés russes. Au sujet de l’union des Églises russes avec l’Église romaine »), ASV, Arch. Nunz. Berlino 28, fasc. 1. Voir aussi l’ouvrage de M. d’Herbigny et A. Deubner, Évêques russes en exil. Douze ans d’épreuves (1918-1930), Orientalia Christiana, Rome, Pont. Institutum Orientalium Studiorum, janvier-mars 1931, XXI, n° 67. La remarque liminaire de cet ouvrage est éclairante : « Cette histoire [...] n’attaque personne. Elle est inspirée par l’amour de l’Église, de la Russie et des âmes : comment ne pas chercher à élucider une question dont l’angoisse s’ajoute à tant de tristesses du peuple russe ? » (ibid., p. 5).
14 Ces « âmes [...] sont très abandonnées : les plus abandonnées de l’univers, puisque l’apostolat catholique, limité aux Polonais latins ne pouvait jamais s’exercer sur les Russes. Elles sont plus chères à Notre-Seigneur, étant baptisées et recevant validement les sacrements » (Vanves, E-ME 1/2, note sur une œuvre pour les Slaves et spécialement pour les Russes de Paris, 8 décembre 1919).
15 La concurrence protestante se fait également sentir sur le terrain spirituel. C’est ce que démontrent les circonstances du décès d’Aleksandr Petrovič Iswolski, ministre russe auprès du Saint-Siège en 1895-1897, puis ministre des Affaires étrangères de 1906 à 1910, mort protestant à Paris : « Or pendant sa maladie dans une clinique de religieuses, il demanda d’abord un prêtre catholique, ne voulant pas d’un Orthodoxe. Comme on ne trouva personne qui dans le clergé séculier ou régulier de Paris fût désigné pour les œuvres russes, ce fut un pasteur protestant qui fut appelé par les membres de sa famille » (Vanves, E-ME 1/2, note sur la préparation actuelle d’un apostolat pour la Russie, p. 1).
16 Ainsi V. G. Afanas’ev étudie les actions menées par la Croix-Rouge russe, le Zemgor, l’Église orthodoxe, les laïcs russes influents (M. M. Fedorov pour la jeunesse étudiante russe à Paris), les aides gouvernementales avec l’exemple de la Bulgarie. Voir V. G. Afanas’ev, « Russkoe zarubež’e i blagotvoritel’nost’ » (« Les Russes hors frontière et la bienfaisance »), in V. J. Černjaev, Zarubežnaja Rossija, 1917-1939 gg : sbornik statej (La Russie hors frontières, 1917-1939 : recueil d’articles), Saint-Pétersbourg, Evropejskij Dom, 2000, p. 10-15.
17 Voir pour l’Allemagne : C.  Maurer, Le modèle allemand de la charité : la Caritas de Guillaume II à Hitler, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1999. Au niveau international, la première guerre mondiale et ses suites stimulent la charité : A. Becker, Oubliés de la Grande Guerre, humanitaire et culture de guerre. Populations occupées, déportés civils, prisonniers de guerre, Paris, Noêsis, 1998 ; G. Petracchi, « La missione pontificia di soccorso alla Russia (1921-1923) » (« La mission pontificale d’aide à la Russie [1921-1923] »), in Santa Sede e Russia da Leone XIII a Pio XI (Saint-Siège et Russie de Léon XIII à Pie XI), Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2002, p. 122-180.
18 ASV, Arch. Nunz. Berlino 27, fasc. 1, Pro-Memoria du Caritasverband, Berlin, 8 mai 1928.
19 Vanves, E-ME 5, procès-verbal de l’Assemblée générale, décembre 1922.
20 Vanves, E-ME 5, résultats obtenus du 28 avril 1923 au 15 avril 1924 (daté Lyon, 15 avril 1924).
21 Vanves, E-ME 5, procès-verbal de l’Assemblée générale, décembre 1922.
22 Vanves, E-ME 5, l’Union française d’aide aux Russes a tenu le 8 juin 1927 son Assemblée générale ordinaire, 1 page.
23 Vanves, E-ME 2, projet de note du P. Louis Mariès sj (copie), 17 septembre 1930, p. 1-2.
24 « Mgr Baudrillart insistait sur sa nécessité et son urgence ; il estimait que seule la Compagnie pouvait s’en charger ; et au nom du Cardinal, il promettait appui et secours » (Vanves, E-ME 1/2, p. 1, note 2).
25 En moins d’un an, 109 étudiants et quatre étudiantes ont été aidés par des bourses régulières ou des aides exceptionnelles. Par ailleurs, est fondée une Association d’étudiants russes pour l’étude et l’affermissement de la culture slave disposant d’une bibliothèque de 400 volumes, d’un billard, d’un piano, et organisant chaque samedi une conférence sur des sujets littéraires ou d’actualité. Ces conférences du samedi, alternativement en français et en russe réunissent entre 40 et 70 personnes (Vanves, E-ME 5, le Bureau de l’aide étudiants de l’Union française d’aide aux Russes résidant en France, du 1er décembre 1922 au 1er  octobre 1923).
26 « Nous allons ouvrir prochainement une chapelle destinée uniquement aux Russes et dans laquelle devra être célébré régulièrement le rite slave catholique. C’est la crypte d’une église latine, spacieuse et facile à orner » (AHAP, 9K2 9c, lettre de Mgr Chaptal à Tacci du 14 octobre 1924 [copie]).
27 Georges Goyau donne alors une longue description enthousiaste de la nouvelle église dans Le Figaro du 14 janvier 1929.
28 Le père Kuzmin-Karavaiev signale que parmi les 24 convertis de l’orthodoxie à Berlin, ceux-ci participent surtout aux offices de rite latin, notamment pour des raisons pratiques. Il insiste alors sur la valeur du rite oriental en espérant la prochaine mise en place d’une véritable chapelle de rite oriental à Berlin : « Quant au rite oriental, je dois dire que même la simple possibilité d’un Catholicisme byzantin a fait beaucoup d’impression en montrant les vraies tendances du Saint-Siège par rapport à la question russe » (ASV, Arch. Nunz. Berlino 27, fasc. 4, rapport annuel 1928 du père Kuzmin-Karavaiev, Berlin, 24 janvier 1929).
29 Article biographique du père Sipiaguine sur le père Gagarine dans Blagovest’ (Bonne nouvelle), juillet-août 1931, n° 3, p. 31-42 ; septembre-octobre 1931, n° 4, p. 11-25.
30 Blagovest’, juillet-août 1931, n° 3, p. 8-15 : publication des résolutions de l’assemblée des prêtres catholiques russes du rite slave ayant eu lieu à Rome du 27 au 30 octobre 1930.
31 Le titre complet du journal est Besedy. Vestnik Russkih Katolikov vo Francii (Entretiens. Messager des Russes catholiques en France).
32 Archives centre Istina, carton « Istina Boulogne », chemise « Bessedy », carte de visite de l’abbé L. Saunal, aumônier du lycée et hôpital civil, 4 rue Thiers, Rochefort-sur-mer, 27 mai 1938.
33 Dans un même numéro de Blagovest’ (1re année, avril-septembre 1930, n° 2-3), on trouve des articles bien nourris et variés. Un article de la rédaction (« Hristos’’ Voskres’’ », p. 23-33) profite de l’occasion de la fête de Pâques pour rappeler fortement les passages des Évangiles concernant saint Pierre (ces passages sont cités en gras, p. 29). Un article développe longuement le thème du rite oriental et sa place dans l’Église universelle (« Vostočnyj obrjad’ vo Vselenskoj Cerkvi », p. 34-93). On trouve enfin deux articles historiques : Père A. Deubner, « Vera v’’ Neporočnoe Začatie v’’ XVII veke na Rusi » (p. 94-101) ; N. Baumgarten, « Dobronega Vladimirovna, koroleva pol’skaja, doč’ Svjatovo Vladimira » (p. 102-109).
34 Vanves, E-ME 2, publicité bilingue, s. d. (1921 ou 1922).
35 H. Menegaldo, op. cit., 1998, p. 37.
36 ASV, Arch. Nunz. Berlino 28, fasc. 1, lettre de Berg à Pacelli, 2 mai 1927.
37 ASV, Arch. Nunz. Berlino 27, fasc. 1, dossier envoyé par le Dr. Schade au Père Gehrmann le 3 décembre 1928.
38 Père S. Tyskiewicz, « Hristianskaja ljubov’ k’’ otečestvu », Vera i rodina, janvier 1924, n° 1, p. 10-14.
39 Ce thème constitue même le cœur de la première homélie de Mgr Boucys, « le premier évêque russe de l’émigration, sacré à Rome », en « visite apostolique » à Paris pour la fête de l’Assomption (28 août 1930). Voir « La première messe pontificale de S. G. Mgr Boucys à l’église catholique slave de la Sainte-Trinité », L’étranger catholique en France, octobre-novembre 1930, IV, n° 27, p. 5-7.
40 « Hristianskoe otečestvo Sv. Tihona Zadonskago », Blagovest’, novembre-décembre 1931, n° 5, p. 17-24.
41 Blagovest’, novembre-décembre 1931, n° 5. La chronique signale la prise de position de Pie XI sur la crise économique mondiale (p. 32-40), le discours du cardinal Liénart sur les ressources de l’Église dans la question sociale (p. 40-50) et une déclaration des catholiques anglais sur la question des relations internationales (p. 50-57).
42 Lettre de Borgoncini Duca à Pacelli, 14 février 1923 (ASV, Arch. Nunz. Berlino 32, fasc. 1, Prot. n° 13 669).
43 La Congrégation orientale rappelle ainsi qu’un rescrit du Saint-Office du 25 janvier 1906 n’interdit pas la présence d’un chœur schismatique à condition que celui-ci ne porte pas d’habits sacrés et ne prenne pas de part « directe » aux fonctions liturgiques (ASV, Arch. Nunz. Berlino 27, fasc. 4, lettre de Sincero à Pacelli, commission Pro Russia Prot. n° 3 143/27, 19 janvier 1928).
44 Réponses faites au questionnaire « Quaestiones de Russis aliisque Orientalibus dispersis » de la congrégation Pro Ecclesia Orientali, 1927, 22 pages dactylographiées (AHAP, 9K2 9a).
45 Voir M. Agostino, Le pape Pie XI et l’opinion : 1922-1939, Rome, École française de Rome (collection de l’École française de Rome), n° 150, 1991.
46 « On notera, en passant, que depuis que M. Rabouchinski est entré en relations avec l’abbé Quénet et avec le P. Tychkevitch, l’attitude du journal Vozroždenie vis-à-vis du catholicisme est devenue beaucoup plus compréhensive et respectueuse » (AHAP, 9K2 9c, Père Leib, note sur l’efficacité grandissante de l’œuvre doctrinale de presse russe catholique à Paris, 11 juillet 1927, p. 1).
47 Un document anonyme analyse une trentaine d’articles concernant le catholicisme, parus entre 1926 et mars 1928 dans des journaux variés (Vozrož>denie, Dni, Poslednija Novosti [Les dernières nouvelles], et surtout Russkoe Vremia [Le Temps russe]).
48 Voir article « Pervyj vystrel’’ »(« Premier coup de feu ») dans Vera i Rodina, mars 1924, n° 3, p. 55-57, qui répond aux insinuations du journal Poslednija Novosti selon lesquelles « ital’janskie kardinaly vyskazalis’ za priznanie sovetskoj vlasti de jure » (« les cardinaux italiens se sont prononcés pour la reconnaissance du pouvoir soviétique de jure »).
49 En 1922, la volonté des catholiques d’ouvrir une chapelle de rite slave « avait excité des colères et soulevé une véritable tempête : les catholiques voulaient [...] diviser pour régner » (AHAP, 1D12, 18, lettre de Mgr Chaptal au cardinal Dubois, 5 septembre 1923).
50 N. Afanas’ev critique la démarche de ces théologiens dans la revue Put’ en décembre 1930, le père catholique Bennigsen publiera alors son droit de réponse (cité par A. Arjakovsky, La génération des penseurs religieux de l’émigration russe. La revue La Voie (« Put’ »), 1925-1940, Kiev-Paris, L’Esprit et la Lettre, 2002, p. 388).
51Mgr Chaptal, « Directions données aux prêtres du diocèse de Paris relativement à l’entrée des orthodoxes russes dans l’Église catholique », La Semaine religieuse de Paris, 2 décembre 1922, n° 3 595, p. 651-655.
52 C. Ledré, op. cit., 1930, p. 244-245.
53 Lors de la parution en tiré à part des « Directions données aux prêtres du diocèse de Paris relativement à l’entrée des orthodoxes russes dans l’Église catholique » de Mgr Chaptal, Isaïe Papadopoulo, assesseur de la Sacrée congrégation pour l’Église orientale, félicite au nom du Saint-Siège « cette très belle initiative ».
54 Voilà ce que dit un prélat catholique aux attaches polonaises sur les motifs « humains » des conversions russes : « À mon avis, il faut observer la plus grande prudence dans la réception dans le sein de l’Église catholique des Russes dissidents, à cause de la grande inconstance du caractère russe et des misérables conditions, dans lesquelles se trouvent à présent de nombreux Russes, qui font que certains sont amenés à la conversion, non pour des raisons surnaturelles mais plutôt humaines » (ASV, Arch. Nunz. Berlino 27, fasc. 3l, lettre de O’Rourke à Pacelli, 13 avril 1929, trad.).
55 Un article d’Irenikon est à cet égard suggestif : « Ce que pensent les Russes : 2. Les conversions individuelles au catholicisme » (Irenikon, mai 1926, I, n° 2, p. 99-103).
56 C’est le cas de la revue Irenikon qui prend parti dès son premier numéro pour les « réconciliations “en corps” » (« De quoi s’agit-il », Irenikon, avril 1926, n° 1, p. 4-9).
57 ASV, Arch. Nunz. Berlino 27, fasc. 1, lettre de O’Rourke à Pacelli, 25 janvier 1929, trad.
58 Ainsi, les derniers chapitres de l’ouvrage de C. Ledré (op. cit., 1930, chap. XV et XVI), essayent de poser - maladroitement - la question de l’acculturation : « Le milieu français exerce-t-il une influence sur l’esprit et le caractère des réfugiés ? » ; « Comment les Russes se défendent contre les influences extérieures ? ».
59 « Après la révolution, le public français, déjà initié aux “mystères de l’âme slave”, demandera aux émigrés d’incarner ce mythe forgé par Sergej Djagilev, et qui apparaît comme le dernier avatar de l’orientalisme » (H. Menegaldo, op. cit., 1998, p. 41).
60 M. G. Krasceninnikowa, « L’art religieux russe au Musée de Saint-Pierre », L’Illustrazione Vaticana, janvier 1935, VI, n° 1, p. 27-28.
61 Par exemple, l’un des deux « chœurs d’étudiants » de l’Union française d’aide aux Russes se produit à la chapelle de la Sorbonne, à une réunion de l’Association des pères de famille de la paroisse Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, à une soirée de charité du collège Saint-Louis-de-Gonzague (Vanves, E-ME 5, procès-verbal de l’assemblée générale, décembre 1922).
62 Istina, dossier 1 935, Radio-Bruxelles, non classé.
63 Voir É. Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne du xixe au xxe siècle, Paris, Le Centurion, 1982.
64 L’Illustrazione Vaticana cite ainsi Berdjaev et Sergej Bulgakov au sujet de l’athéisme : I. Giordani, « La théologie de l’athéisme », L’Illustrazione Vaticana. Édition française, 16-31 janvier 1934, V, n° 2, p. 53-54.
65 Acta Apostolicae Sedis, 1937, p. 65-106.
66 AHAP, 9K2 9 b, carton Semaine pour l’unité.
67 Die Göttliche Liturgie unseres heiligen Vaters Johannes Chrysostomus, préface Mgr Tychon, Berlin, 1925 Voir également ASV, Arch. Nunz. Berlino 32, fasc. 2, rapport sur la pastoration des Russes à Berlin, 15 novembre 1924-15 février 1925.
68 Irenikon, janvier 1928, V, n° 1, p. 18-20.
69 « Les richesses mariales que contiennent les liturgies orientales sont loin d’être suffisamment connues des catholiques de nos pays occidentaux ; les hymnes, les litanies, les offices acathistes et les autres pièces liturgiques des différents rites orientaux sont remplis d’une tendresse mariale unie à une science théologique très sûre, que nos âmes catholiques ont tout intérêt à explorer, à méditer et à incorporer dans leur piété personnelle » (AHAP, 9K2 9a, carton 2, circulaire de Mgr Chaptal du 21 octobre 1927 aux curés parisiens).
70 Ce sont notamment les séries d’images françaises de 1923, liées à la prière indulgenciée « Sauveur du monde, sauvez la Russie ! » et à la canonisation de saint Josaphat. Amay-sur-Meuse propose à partir de 1925 des séries d’images avec des icônes (Christ, Vierge à l’Enfant) à la dévotion quotidienne des fidèles.
71 Sentiment dont se font un écho extrême, les thématiques eurasiennes : le recueil Rossija i latinstvo (Russie et latinité), Berlin, Logos, 1923, n’hésite pas, dans le contexte de la conférence de Gênes, à comparer le « bolchévisme et [le] latinisme, l’Internationale et le Vatican » (p. 11-12), deux internationales également hostiles et étrangères, à la « Russie ».
72 En témoigne la revue Apoštolat Sv. Cyrila a Methoda (Apostolat des saints Cyrille et Méthode), paraissant à Olomouc de 1909 à 1948.
73 Kitež’’. Russkij katoličeskij Vestnik’’ (Kitèje. Messager russe catholique), paraissant à Varsovie, organe des Russes catholiques de Pologne de 1927 à 1931.
74 Hristianin’’. Religioznyj žurnal dlja naroda (Le chrétien. Revue religieuse pour le peuple), Vilna, mensuel, 1928-1930.
75 Katoličeskij Vestnik (Messager catholique), bulletin catholique de l’éparchie de rite byzantino-slave en Chine, bimestriel, 1931-1940.

 

Pour citer cet article : Laura Pettinaroli, « Difficultés et fécondités d’une rencontre : catholicisme et orthodoxie à l’épreuve de l’émigration, russe », colloque Les Premières Rencontres de l’Institut européen Est-Ouest, Lyon, ENS LSH, 2-4 décembre 2004, http://russie-europe.ens-lsh.fr/article.php3?id_article=53