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ENS Lettres et Sciences Humaines

 

 

 

La vision russe de la France (1814-1825) : évolution de l’image de l’autre ou réflexion sur soi ?

Maya GOUBINA
Université d’État Lomonossov (Moscou), Faculté d’histoire, Département d’Histoire de la Russie du XIXe et du début du XXe siècle
Université Paris IV-Sorbonne, École doctorale II  : Histoire moderne et contemporaine

 


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Mots-clés : Russie, France, récits de voyage, stéréotypes

 

Le règne d’Alexandre Ier coïncide avec le premier quart du xixe siècle   -  une période riche en événements et importante pour l’histoire russe. L’Empire maintient une politique extérieure énergique sur la scène internationale. En même temps, la vie du pays est marquée par un spectaculaire épanouissement de la vie intellectuelle. Ce sont là deux facteurs qui ont contribué à l’évolution de la perception contemporaine russe du monde.

Dans notre introduction, nous nous proposons de montrer l’intérêt du sujet choisi, présenter les sources utilisées et les approches méthodologiques de l’étude ainsi que justifier nos limites chronologiques. La première partie de l’étude sera consacrée à l’analyse de la perception russe de la France à travers le regard des militaires qui y ont séjourné en 1814-1815. Dans la deuxième partie nous examinerons l’opinion qu’ont de la France des voyageurs civils des années 1820. La troisième partie présentera l’ébauche de l’histoire intellectuelle de la Russie au début du xixe siècle. Enfin, dans notre conclusion nous envisagerons la place de la vision russe étudiée dans l’évolution de l’image française en Russie et, plus généralement, dans le développement de la vie intellectuelle russe de l’époque.

La vision russe de la France dans le premier quart du xixe siècle : les différents aspects du sujet

L’opposition politico-militaire de la France et de la Russie a été une des facettes importantes de l’effervescence des affaires européennes du début du xixe siècle. Les contacts fréquents et divers entre les deux pays et les deux sociétés ne se sont pas pour autant taris, malgré les ruptures diplomatiques et la diminution du nombre de voyageurs sur les routes de l’Europe en guerre.

La guerre a même influencé la connaissance réciproque des deux peuples. Les rencontres multipliées sur les champs de batailles, d’abord, puis, surtout, les séjours des troupes sur les territoires de leurs adversaires, ont contribué à construire un ensemble d’idées reçues mutuelles. Or, après la défaite de la Grande Armée au cours de la campagne de Russie de 1812, Alexandre Ier prend la ferme décision de continuer la lutte contre Napoléon et mène ses troupes à travers l’Europe jusqu’en France. L’armée russe « visite  » la France et Paris, successivement, en 1814 et 18151.

Par ailleurs, le retour de la paix en Europe permet de retrouver une vie civile normale, après l’instabilité de la période des guerres. Dans les années 1820, les Russes reprennent donc leur tradition des grands voyages en Europe et notamment en France : la France et Paris étaient les étapes incontournables des Grands Tours2 de la noblesse russe.

Or, notre étude couvre la dernière décennie du règne d’Alexandre Ier. Autrement dit, il s’agira de la période incluse entre l’année 1814   -  époque du premier séjour des troupes russes en France   -  et l’année 1825   -  date de l’avènement de Nicolas Ier. Cette période mérite notre attention pour deux raisons. D’une part, un grand nombre de contemporains russes ont eu l’occasion d’observer la France à la suite d’un événement majeur   -  la campagne de Russie de 1812   -  qui a changé radicalement le rôle de la Russie sur la scène européenne. D’autre part, ce même événement a entraîné, semble-t-il, une évolution intérieure chez Alexandre Ier, qui s’est traduite par un revirement de sa politique en Russie et au-delà. Ces deux aspects ont nécessairement influencé la société russe et, plus particulièrement sa vie intellectuelle qui nous intéresse ici.

L’influence de la France dans le développement de la civilisation russe est un thème déjà largement exploré par les chercheurs3. Imprégnée de culture française depuis le xviiie siècle, la partie cultivée de la société russe connaissait, évidemment, la littérature française et s’efforçait de suivre ses traditions : « Le récit de voyage faisait partie intégrante de l’apprentissage culturel des Russes : tenir un journal, c’était se faire européen.  »4 La force et la vitalité de cette tradition littéraire enracinée alors aussi bien dans le terrain russe qu’européen est illustrée par l’importance du corpus des documents privés de l’époque. Celui-ci se compose, en effet, non seulement des récits de voyage des civils, mais aussi des nombreuses notes des militaires : les campagnes de 1814-1815 ont en effet fortement contribué à l’accroissement du fonds des documents privés russes5 qui constituent pour la recherche une source de premier ordre.

De plus, les documents privés sont des sources propices à l’étude de l’évolution des idées et des mentalités. La confrontation des idées reçues avec la réalité observée suscite, en effet, les réflexions des observateurs, dans lesquelles sont reflétées les particularités de la perception de l’autre. Ce sont précisément les documents privés qui en gardent une empreinte. Nous utiliserons donc pour notre étude trois types de documents privés : la correspondance privée, les journaux intimes et les mémoires6.

Divers critères ont présidé à la sélection que nous avons opérée dans ce corpus. D’une part, la spécificité de la nature des documents (le degré important de la subjectivité) nous oblige non seulement à en tenir compte, mais aussi à nous limiter à l’utilisation des documents rédigés soit durant la période étudiée soit durant les dix ans qui ont suivi les événements décrits. Ce choix permettra d’éviter la superposition d’impressions et d’idées trop tardives, tout en prenant en compte certaines difficultés de publication que pouvaient rencontrer les auteurs et les éditeurs. D’autre part, nous jugeons pertinent de limiter cette étude à l’analyse des écrits des Russes qui ont seulement effectué un voyage en France, s’il s’agit des civils, ou bien y ont été simplement de passage, s’il s’agit des militaires. Dans ces documents, les réactions des visiteurs « volontaires  » et/ou « forcés  » à l’égard de la réalité observée sont en effet plus spontanées que celles des écrits des Russes qui ont véritablement séjourné dans le pays. La perception d’une réalité étrangère est, en outre, différente chez les « visiteurs  » et les résidents.

Par ailleurs, on privilégiera l’approche chronologique dans la présentation des sources. Nous souhaitons en effet déceler une évolution éventuelle de la vision russe de la France de l’époque et en déterminer la nature. Deux sous-ensembles de sources se distinguent nettement dans le corpus des écrits russes sur la France de cette période. Ainsi, à l’analyse des notes des militaires des années 1814-1815 succédera celle des journaux des voyageurs civils des années 1820. À l’intérieur de chacune de ces deux sous-parties nous allons étudier trois points essentiels : l’état d’esprit de chaque groupe de voyageurs, les caractéristiques textuelles de leurs écrits et les thèmes qui y sont abordés.

L’image de la France d’après les documents privés russes
Les carnets de campagne : 1814-1815

Il est indispensable de préciser tout d’abord l’état d’esprit des militaires russes qui entraient en France. Plusieurs facteurs le déterminent. D’abord, la plupart des auteurs qui ont laissé leurs notes sont jeunes. Leur séjour en France et surtout ses conditions représentent, ensuite, une parfaite surprise pour eux. En effet, les Russes sont en train de poursuivre une armée qui, venant d’un pays de prédilection pour plusieurs d’entre eux (« Leur prédilection particulière pour la France, elle est presque une seconde patrie et le partenaire privilégié de tout ce que la Russie compte de cultivé  »7) a apporté le malheur dans leur patrie. Enfin, l’auto-perception des Russes qui entrent en France en 1814 est spécifique. Ivan I. Lažečnikov en donne une définition exhaustive :

Tous [...] attendait l’entrée à Paris avec une sorte de douce impatience ; les regards et les cœurs de tous avaient déjà franchi les portes de la ville et planaient en pensée au-dessus de ces lieux [...], notre rêve chéri depuis notre plus tendre enfance, la fin des maux de tous et l’aboutissement de nos victoires. Nous n’étions plus des pèlerins timides qui imploraient l’hospitalité leur bâton à la main ; c’est en vainqueurs pleins de courage que nous arrivions vers le temple des arts, des sciences et du goût et nous exigions que l’on nous en montrât tous les trésors.8

L’autoperception des militaires différait donc de l’état d’esprit des voyageurs russes du xviiie siècle, qui pour beaucoup se rendaient alors en France presque en « pèlerins  » admirateurs9 : en 1814-1815, les Russes francophones et, pour nombre d’entre eux, francophiles, traversaient le Rhin avec l’intention non seulement de visiter la France, mais encore de vérifier l’exactitude de leurs idées formées a priori10. De plus, les particularités textuelles des notes de campagne des militaires nous renseignent sur leur perception du pays vaincu.

Nous avons déjà souligné le grand nombre de notes laissées par les militaires sur les années 1814-1815 : sur plus de cinquante documents de cette catégorie que nous avons répertoriés, nous en utiliserons onze pour la présente étude11. Deux raisons expliquent cette abondance.

Tout d’abord, la réalité observée a tellement frappé les Russes de passage en France qu’ils ont voulu partager leurs impressions avec leurs parents et descendants proches ou lointains. Ensuite, « la mise en forme littéraire du voyage était une préoccupation présente à l’esprit de beaucoup  »12, à tel point que ni les conditions incommodes de la vie en bivouac, ni les circonstances et les objectifs spécifiques de leur séjour « forcé  » n’ont empêché les militaires russes de prendre la plume. Ils ont donc abondamment décrit la réalité française.

Leurs textes sont si riches, les renseignements qui y sont consignés sont si multiples et si divers qu’ils soutiennent la comparaison avec de véritables récits de voyage13. Nourris des œuvres de leurs grands prédécesseurs russes, français et autres14, les militaires s’attachent, malgré les difficultés de leur séjour « imprévu  », à suivre les traditions littéraires15. Ils s’efforcent de répondre aux canons en vigueur des récits de voyage en donnant des informations précises et complètes.

Les auteurs nous parlent de la fertilité des terres et du niveau du développement de l’agriculture. Ils prennent soin de décrire la technique de la construction des routes dont l’excellent état les a émerveillés16. Ils critiquent en revanche les cheminées françaises ouvertes ou « âtres  », qu’ils jugent inférieures aux poêles russes et sont surpris de voir les paysans français chaussés de sabots17. Dans les villes, les mémorialistes observent l’architecture urbaine et, particulièrement, celle des églises.

Les notes sur Paris sont encore plus curieuses : les revues pour les femmes, le zoo, le caractère public des procès judiciaires, la conception humaniste qui a présidé à l’édification de l’Hôtel des Invalides ; le Palais-Royal ; la foule des rues parisiennes ; le rythme trépidant de la vie dans la capitale française18   -  tout attire l’attention des militaires russes. Ils constatent, bien évidemment, la laïcisation et l’émancipation de la vie sociale. Le voisinage du luxe et de la pauvreté, des Lumières et de la corruption des mœurs à Paris les frappent.

C’est dire que leur séjour en France a vivement impressionné les Russes, suscitant chez eux, parfois au détriment de la logique, toute une gamme de sentiments et d’émotions dont leurs écrits gardent l’empreinte. Il est naturel que les militaires russes aient été émus de se trouver en France et de voir Paris ouvrir ses portes devant eux. En revanche, leur étonnement et leur déception face aux difficultés socio-économiques d’un pays qui sortait d’une longue période de troubles révolutionnaires et de conflits militaires semblent moins logiques. Les auteurs sont pourtant surpris de constater l’état de dévastation dans lequel se trouve la campagne française et de voir des foules de vagabonds et de mendiants sur les routes du pays. Ils sont également déçus de marcher dans la boue dans les rues des villes de province, et même dans les faubourgs de Paris19. Aleksandr G. Krasnokutskij s’irrite, du nombre des clochards : « Avec les nombreux asiles qui ont été créés à Paris même pour les pauvres, n’ont-ils toujours pas les moyens de supprimer un métier si vil ?  »20 Aleksandr D. Čertkov s’indigne lui aussi : « Nous n’avons trouvé nulle part du pain blanc en France, et même dans leurs grandes villes comme Troyes, Langres.  »21

Le niveau d’instruction insuffisant des paysans suscite également l’étonnement. Il est possible que la constatation du progrès allemand dans ce domaine22 ait provoqué la réaction des Russes, mais cette explication ne paraît pas être entièrement satisfaisante. Malgré leur caractère littéraire, les mémoires de Fedor N. Glinka nous fournissent le renseignement nécessaire :

La belle France !   -  Les précepteurs français s’exclament sans cesse. Voici le paradis terrestre ! [...] je franchis le Rhin   -  et, voilà votre belle France : [...] les parages extrêmement déserts et dépeuplés, le sol nu et les arbres fanés.- Voici quelle réalité est devant mes yeux !23

Ce passage est très révélateur. Comme beaucoup d’autres, il prouve la forte présence des stéréotypes sur la France dans la pensée russe de l’époque, ce qui est confirmé par l’auto-ironie de Glinka. Enfin, les exclamations du mémorialiste nous indiquent bien que leur séjour en France a provoqué chez les Russes une évolution des idées préconçues qu’ils nourrisssaient sur ce pays.

Ainsi, l’étonnement et la déception exprimés par les auteurs russes face à la réalité française observée s’expliquent par la non-conformité de cette réalité aux idées qu’ils avaient conçues à priori. La France était alors pour les Russes une « réalité  » non seulement géographique ou géopolitique, mais aussi idéologique au sens très fort d’incarnation d’un idéal24. C’est la désillusion, la destruction du rêve qui sont donc à l’origine des émotions intenses et du sentiment de déception. Ce ne sont pas les voleurs ou la pauvreté en général qui ont déçu les Russes, mais les voleurs de Paris et la pauvreté de la France. L’amertume de la déception fut à la mesure de la beauté du rêve :

Paris a eu sur moi l’effet que produit toujours l’attente d’une chose extraordinaire ; lorsque l’on entend une louange ou une critique hors du commun, il est bien rare qu’on trouve ces dernières équitables quand on en a vu l’objet. C’est ainsi que Paris est bien sûr une ville à la fois superbe, vaste et magnifique ; mais elle est également pauvre, sale et insupportable. En tout cas j’ai trouvé à Paris, comme dans les autres grandes villes, beaucoup de bon et beaucoup de mauvais.25

La « reconceptualisation  » de l’image française par les militaires russes est également sensible dans le caractère rétrospectif de leurs écrits. Le souci d’analyser la réalité observée et décrite marque, en effet, la plupart des sources utilisées, y compris la correspondance et les journaux intimes26. Tout en se sentant témoins et même acteurs d’événements historiques, les mémorialistes russes tentent de resituer ces derniers dans l’histoire française.

Aussi les jugements portés sur la réalité française dépendent-ils bien souvent des opinions politiques des mémorialistes. En revanche, les « conservateurs  » aussi bien que les « libéraux  » considèrent qu’est confirmé le stéréotype courant sur la légèreté et l’inconstance propres au caractère national français :

[...] on peut apprécier l’amour des Français pour les spectacles ainsi que leur insouciance. Il me semble que tout le secret de l’art de gouverner ce peuple léger est dans les spectacles. L’histoire du xviiie et du début du xixe siècle en atteste. [...] Il [Napoléon] faisait ce qu’il voulait des Français qu’il avait tout d’abord aveuglés et assourdis de l’éclat et du grondement de leur nom et de leurs œuvres.27

La suite des événements militaires en Russie et en France dans les années 1812-1815, ainsi que les différences entre les deux pays incitent les Russes à réfléchir sur les questions du patriotisme et du rôle de la capitale dans la vie d’un État. L’absence d’un mouvement national contre les alliés entrés en France en 1814 contraste vivement avec la réalité russe de 1812. De plus, l’entrée des troupes alliées à Paris le 31 mars 1814, saluées par les monarchistes dans les rues centrales de la capitale, est à l’opposé du comportement des Moscovites. Même si les réflexions des Russes qui abordent ces sujets manquent visiblement de profondeur28, il faut noter la volonté des auteurs d’analyser ce qu’ils observent. Tout en rendant justice aux mérites militaires des Français et en les considérant comme des adversaires estimables29, les Russes s’indignent du manque de patriotisme qu’ils découvrent dans la nation française30. Certains auteurs tentent néanmoins de nuancer leur analyse. Ainsi, Glinka souligne « l’attachement des Français à leur langue maternelle  »31 et rappelle qu’il ne faut pas généraliser à l’excès le patriotisme du peuple russe, dont l’aristocratie francophone maîtrise souvent difficilement le russe.

Enfin, les écrits privés nous offrent la possibilité de retracer les étapes de l’évolution de la pensée des militaires russes. En effet, la part des informations et des émotions va croissant dans leurs notes relatant le passage en 1814 dans les provinces de l’est du pays   -  après la traversée du Rhin et jusqu’à Paris. Nous y trouvons également les premières tentatives de raisonnements plus généraux sur la France et sur son peuple. Le séjour à Paris en 1814 représente à la fois l’apogée et le catalyseur du travail de la pensée russe. Les notes qui relatent cet événement abondent en renseignements, elles sont enrichies de davantage de réflexions, conclusions et jugements. Les auteurs reprennent plusieurs thèmes abordés par eux auparavant. Enfin, nous disposons d’un nombre plus réduit d’écrits sur les années 1815-1818 et ceux qui existent sont de nature moins informative et moins émotionnelle. C’est le séjour en France, en 1814, qui a donc contribué puissamment à la rationalisation de l’image française dans la pensée russe32.

Les thèmes abordés dans les notes de campagne de nos « voyageurs malgré eux  » sont révélateurs. Le choix des thèmes retenus pour décrire la société française répond aux exigences de l’époque et reflète l’actualité russe. Les réflexions sur le patriotisme, le rôle de la capitale dans la vie du pays, l’émancipation et la laïcisation de la société font implicitement écho aux questions qui préoccupent la société russe de l’époque. D’autant plus que les mémorialistes font parfois des comparaisons explicites dont certaines ont déjà été évoquées ci-dessus.

Les hommes engagés dans les campagnes des années 1814-1815 faisaient, bien évidemment, part de leurs impressions « françaises  » à leurs proches. La correspondance étudiée en est un exemple éloquent. La communication s’est enrichie davantage encore avec le retour des militaires en Russie. En effet, les conversations dans les salons, mais aussi la publication assez rapide de plusieurs relations33 renseignaient le public russe contemporain. Les civils partant pour le voyage en France dans les années 1820 partageaient probablement déjà certaines connaissances récemment « acquises  » sur ce pays par leurs prédécesseurs militaires. Quels furent alors leurs perceptions et sentiments durant leur voyage ?

Les récits de voyage : les années 1820

Les voyageurs civils évoquaient évidemment le souvenir des derniers événements. « La vallée de Wagram était le champ de gloire de Bonaparte  »34, mais elle les renvoyait bien plus aux exploits récents des Russes. Par conséquent, nous pouvons supposer que l’autoperception des voyageurs civils russes passant par les pays où leurs prédécesseurs militaires avaient connu la gloire ne différait pas radicalement des pensées de ces derniers. La définition du rôle d’Alexandre Ier est, ainsi, caractéristique : « Le Guide des empereurs, le vainqueur de Paris, le pacificateur de l’Europe.  »35 Cependant, les carnets des civils nous offrent plus rarement que les notes de campagne des militaires des renseignements sur l’état d’esprit des mémorialistes. Cette observation illustre une fois de plus l’influence des conditions de séjour à l’étranger sur le contenu des notes laissées par les voyageurs.

Le nombre des récits de voyage des civils dans les années 1820 est à première vue décevant : sept récits répertoriés en l’espace de cinq ans36. C’est d’autant plus mince que la tradition du voyage des Russes cultivés en France a repris de plus belle après la fin de la guerre.

La réalité française attire toujours beaucoup l’attention des contemporains russes et sa description est aussi exhaustive qu’elle l’a été sous la plume des militaires dans les années 1814-1815 (et plus tôt encore chez Nikolaj M. Karamzin et Denis I. Fonvizin). De nouveau, cette observation souligne la qualité des carnets des militaires qui ont bénéficié de conditions moins favorables. Naturellement, le contenu des récits des civils volontairement partis en voyage diffère de celui des « voyageurs forcés  » qu’étaient les militaires. Tout d’abord, dans les notes des civils, nous trouvons une présentation plus complète de la France, les voyageurs ayant visité ses différentes régions : le Sud et le Nord aussi bien que l’Est et le centre. Leurs prédécesseurs militaires, eux, ont surtout décrit l’Est du pays, c’est-à-dire le territoire traversé par les troupes en 1814-1815. Ensuite, les thèmes varient : les civils, par exemple, se soucient moins de l’attitude manifestée à leur égard par la population indigène, tandis que les militaires, pour qui ce sujet est souvent vital, donnent des détails sur leurs contacts avec les Français.

Les voyageurs civils prennent volontiers la plume afin de décrire les contrées traversées et de donner leur avis sur la réalité observée. Ainsi, le caractère rétrospectif des récits de voyages des Russes qui visitent la France dans les années 1820 n’est pas non plus spécifique à ce groupe des documents.

En revanche, l’intérêt majeur des mémoires des voyageurs de cette période tient à leur état d’esprit beaucoup plus serein et apaisé, donc à leurs jugements plus justes sur la France. De ce point de vue, nous constatons une divergence entre les notes de campagne des militaires et les récits de voyages de leurs successeurs civils. Le côté émotionnel qui a tellement marqué le premier groupe des documents n’est pas caractéristique du second.

De plus, les textes des civils ont une tonalité assez homogène d’un bout à l’autre du voyage en France. L’information explicite sur la réalité observée aussi bien que celle, implicite, sur l’état d’esprit des auteurs reste presque invariable. Les impressions des voyageurs sont riches, mais leurs écrits ne permettent pas de discerner les étapes de leur pensée.

Les thèmes abordés par les observateurs confirment ce constat. Les voyageurs des années 1820 évoquent certains sujets déjà traités par leurs prédécesseurs, qu’il s’agisse des traits psychologiques des Français (insouciance, légèreté, amour-propre, vantardise, penchant pour les spectacles) ou des particularités de leur mode de vie (les cheminées dans les maisons, la bonne qualité des routes).

D’autres idées sur les Français et la France sont développées et affinées grâce à de nouvelles observations. L’émancipation de la société française est toujours au centre de l’attention des Russes. La liberté d’opinion et d’expression, d’une part, et l’intérêt pour la politique, dont témoigne la lecture de la presse par les Français des différentes classes sociales, d’autre part, avaient attiré l’attention des militaires dans les années 1814-1815. Leurs successeurs complètent ces observations en constatant la diversité des nombreuses publications quotidiennes et hebdomadaires. « Le grand nombre de marchands de journaux et de cabinets de lecture, où il y a toujours beaucoup de gens des différentes classes   -  à part, bien sûr, la basse classe, qui est la même partout   -  atteste la part que tout le monde prend à la politique intérieure.  »37 Dans les jardins, les marchands de journaux louent même les chaises pour les amateurs de lecture. Enfin, « les événements très importants de la politique intérieure aussi bien qu’extérieure sont immédiatement annoncés au public, moyennant des feuilles spéciales vendues au prix le plus bas  »38.

Enfin, de nouvelles images de la France prennent forme. La relative liberté de parole, l’intérêt pour la politique intérieure aussi bien qu’extérieure, la popularité des périodiques   -  toutes ces circonstances contribuent à l’accroissement du rôle des journalistes. Une toute nouvelle image, celle des « journalistes-défenseurs des droits du peuple  »39, qui « se révoltent  » même contre les ordres de la police se forme, ainsi, chez les contemporains russes. Constatant une fois de plus le désordre qui règne dans les théâtres français, Dmitrij p. Gorihvostov raconte que les journalistes ont influencé l’attitude du public à l’égard d’une comédienne40.

Les thèmes liés au patriotisme ainsi qu’au rôle de la capitale dans la vie du pays sont aussi évoqués dans les récits des voyageurs des années 1820 et la comparaison avec la Russie est presque obligatoire. Ainsi, nous trouvons chez Andrej G. Glagolev :

Malheureusement, ai-je pensé, avec tout notre patriotisme nous sommes trop indifférents envers la gloire de nos compatriotes. Tandis que les autres peuples se servent même des inventions afin de soutenir dans la société l’esprit de l’amour-propre national, nous ne prenons pas soin de recueillir et de faire connaître les véritables anecdotes, dont l’époque de notre guerre patriotique est tellement riche.41

Nikolaj I. Greč, pourtant, s’exprime en faveur de l’idée formulée par certains des mémorialistes militaires : « Qui tient Paris, tient toute la France.  »42

Les deux générations des observateurs russes ont fait le constat décevant de la méconnaissance de la Russie par les Français. Les voyageurs civils sont contents de rapporter des preuves du contraire. Certains approuvent la politique de l’éducation en France43.

Il est un autre aspect important de l’objectivité des écrits russes sur la France des années 1820. Leurs auteurs sont, en effet, bien conscients de l’influence qu’exercent les idées stéréotypées des Russes sur leur perception de la France ; non seulement ils tentent d’en découvrir les fondements, mais ils cherchent à les démentir, ou tout au moins à les corriger.

Ainsi, Glagolev avertit : « Mais tout en acceptant le rôle d’observateurs, ne tirons pas de conclusions de la seule observation à l’œil nu.  »44 Il souligne la fausseté de l’image des Parisiens, d’après laquelle « ils seraient attachés à la vie oisive et distraite, au dandysme et à la prodigalité, aux plaisirs et aux divertissements  », en constatant qu’à Paris beaucoup de gens sont de passage et « mélangent, [justement] les affaires avec l’oisiveté  »45. Ce mémorialiste essaie aussi de faire évoluer un autre stéréotype sur la France et sa capitale. Il reconnaît la justesse de certains arguments selon lesquels Paris est la « capitale des modes  », « la ville la plus perverse dans toute l’Europe et les femmes y sont des coquettes de premier rang  »46. Il remarque toutefois que « les modes ne sont pas tant la passion [du peuple], que plutôt une branche de l’industrie [...]. Les citoyens et les citoyennes s’habillent simplement et modestement  », beaucoup d’entre eux essaient de « se tenir convenablement [...]. Les Parisiennes de la classe moyenne et même de la basse classe laissent moins voir leur coquetterie  »47.

Greč réfléchit sur l’habitude des Parisiens de fréquenter restaurants et cafés. Il n’approuve pas entièrement cette marque d’émancipation de la société française. Cependant, l’auteur se rend compte que c’est sans doute la différence des coutumes russes et françaises qui l’empêche d’apprécier les côtés positifs et négatifs du mode de vie des Parisiens. « Chez nous, en Russie, seuls les voyageurs peuvent aller aux estaminets [sans être jugés], mais en France, ce n’est mal vu par personne.  »48

Récapitulons. En premier lieu, les récits de voyage des Russes qui ont visité la France durant la troisième décennie du xixe siècle se rapprochent du point de vue des thèmes abordés d’autres documents de même nature. En effet, les travaux des historiens révèlent des points communs dans la rédaction des récits de voyageurs différents à différentes époques49. En outre, vers le début du xixe siècle, la tradition des voyages des Russes en France avait déjà une longue histoire. Ainsi, la plupart des voyageurs russes de toutes les générations excellent dans la description détaillée de la réalité française et dans la profondeur de l’analyse. Cependant, les deux groupes de documents traités ci-dessus se distinguent nettement d’après la réaction des observateurs face à la réalité observée. Les voyageurs civils de la période de la Restauration expriment beaucoup moins leurs émotions envers la France visitée que leurs prédécesseurs militaires. De plus, ils relativisent davantage leurs impressions et opinions en fonction des idées qu’ils avaient a priori sur la France, tout en cherchant à rationaliser ces idées reçues. Or, leurs notes nous offrent une image de la France plus impartiale, plus équilibrée, plus exacte.

En deuxième lieu, les comparaisons aussi bien implicites qu’explicites de la réalité française avec la réalité russe sont constamment présentes dans les récits de voyage des années 1820. La vie sociale, ses acquis et ses défaillances, l’instruction du peuple, le système judiciaire, l’attention du gouvernement envers son peuple   -  l’évocation de tous ces sujets trahit la réflexion des Russes sur leur propre pays.

La vision russe de la France et la vie intellectuelle en Russie au début du xixe siècle

Que pensent les voyageurs russes, militaires et civils, de la France et de son peuple dans les années 1814-1815 ? La Révolution de 1789 a creusé, dans la société russe, la divergence entre francophiles et francophobes. L’avènement et l’œuvre de Napoléon Bonaparte y ont contribué davantage encore. Par conséquent, les Russes du début du xixe siècle non seulement possèdent un ensemble important de stéréotypes sur la France, mais ils s’en servent comme d’un outil sérieux afin d’étayer leurs propres opinions sur le monde contemporain. La vivacité des impressions, riches et variées, que les Russes avaient retirées de leur participation aux campagnes des années 1814-1815 atteste la place importante que la France occupait dans l’imaginaire collectif russe de l’époque. Cependant, l’une des principales caractéristiques des idées reçues est leur permanence. Ainsi, les « conservateurs  » s’empressaient de noter les conséquences néfastes des derniers événements sur la société française, tandis que les « libéraux  » s’efforçaient de constater les progrès de celle-ci. Tous les observateurs russes sont cependant unanimes pour confirmer les stéréotypes les plus tenaces sur la nation française. En même temps, ils avouent parfois l’incohérence de certaines de leurs idées sur la France et la vie réelle dans ce pays. Impressionnés par leur séjour « imprévu  » et glorieux, les militaires l’ont décrit abondamment. Leurs notes ont contribué à enrichir la vision russe de la France.

Dans les années 1820, les voyageurs civils recommençent à parcourir les routes européennes, munis des dernières connaissances acquises par leurs prédécesseurs. Ils viennent en France eux aussi nourris de la culture des Lumières. Leur séjour bien organisé leur permet de se concentrer sur l’observation et l’analyse de la réalité française. Les voyageurs civils ne se limitent plus à la constatation de la véracité ou de la fausseté de tels ou tels stéréotypes répandus en Russie sur la France et les Français ; ils tâchent de formuler de nouveaux jugements plus véridiques.

En outre, l’analyse des deux sous-ensembles des sources étudiées révèle très nettement un lien étroit entre la perception qu’ont les voyageurs de la France et leurs réflexions sur la Russie. La comparaison d’une réalité connue avec une réalité étrangère est un mode courant d’appréhension de cette dernière. Ainsi, tout en confrontant leur image de la France à la réalité, les Russes comparent également la France à la Russie et à l’Allemagne. L’observation et l’analyse de la réalité étrangère stimulent leurs réflexions sur leur propre pays50 et il est incontestable que les réflexions de nos mémorialistes reflètent aussi bien leur vision de la France que leur conception de la Russie. En effet :

L’unique méthode fructueuse pour étudier l’image de « l’autre  » est l’analyse des reflets mutuels [...] cette méthode du « miroir  » crée la possibilité de connaître véritablement les deux côtés dans les oppositions entre « moi  » et « l’autre  ».51

Même si l’on tient compte de l’influence de la censure sur les publications de l’époque, on peut penser que le changement d’attitude face à la réalité française que les observateurs russes manifestent dans leurs écrits privés est le reflet de l’évolution de la pensée russe concernant la Russie.

On sait le tournant qu’a constitué cette période dans la vie intellectuelle russe :

Les réflexions des participants des campagnes des années 1813-1814 ont marqué une étape dans l’évolution de l’auto-perception critique de la société russe, de son interprétation de l’histoire russe et de la place de la Russie dans l’histoire mondiale. Ce processus s’est poursuivi dans les débats des Décembristes et a débouché sur les discussions entre les occidentalistes et les slavophiles des années1830-1840.52

Toutefois, les études consacrées à l’histoire des idées en Russie dans les années 1820 se limitent très souvent aux recherches sur l’héritage intellectuel très riche des Décembristes. Le point de vue de leurs adversaires affirmés   -  les monarchistes-conservateurs   -  retient aussi l’attention des chercheurs. Pourtant, la vie intellectuelle d’alors ne se bornait pas à ces deux extrêmes. Afin d’en reconstituer d’autres éléments, esquissons-en le contexte au xviiie et au début du xixe siècle.

Les réformes de Pierre le Grand ont fortement occidentalisé la société et, surtout, l’aristocratie. Le caractère européen de l’instruction reçue par la noblesse ainsi que le cosmopolitisme de sa vie intellectuelle au xviiie siècle ont contribué à la création d’un « type nouveau d’un homme russe-européen  »53. Cependant, l’assimilation active de certains éléments de la culture européenne a posé avec acuité le problème de l’identité russe. Deux aspects   -  intérieur et extérieur   -  de cette question ont été au centre des réflexions. D’une part, l’aristocratie instruite devait retrouver un lien avec son propre pays afin de franchir le fossé existant entre elle et le peuple. D’autre part, il fallait déterminer la place de la Russie dans l’histoire de la civilisation européenne. Svetlana V. Obolenskaja souligne le caractère double de la vision des Russes de leur pays :

Le processus d’européanisation forcée de la Russie entamé au XVIIIe siècle par Pierre Ier a certainement eu bien des conséquences néfastes. L’une d’elles a été de convaincre les Russes de leur « retard  ». D’une part, ce processus a provoqué chez eux de nombreux complexes de toutes sortes et, d’autre part, il leur a inspiré une forte envie d’être au même niveau que l’Europe occidentale et de prouver que la culture russe n’était pas pire, mais très probablement meilleure. Ainsi, l’intérêt intense pour l’Europe était paradoxalement accompagné d’indifférence : « en tout cas, c’est mieux en Russie  », pensait-on.54

Par ailleurs, le début du xixe siècle a été une période essentielle de l’histoire russe tant en raison des événements politiques et militaires que de l’évolution de la vie intellectuelle. D’une part, la société du début du xixe siècle était plus instruite qu’auparavant grâce à la popularisation de la lecture55. Marc Raeff précise :

Ce qui frappe le lecteur de revues, almanachs et livres publiés dans la première décennie du xixe siècle, c’est leur ton intellectuel. [...] on n’y trouve plus de traces de sentiments d’infériorité culturelle [...] la génération contemporaine des Décembristes était parfaitement au courant de tout ce qui se passait dans le monde [...]. Et c’était une familiarité [...] d’un homme cultivé et intéressé, non pas le dilettantisme superficiel d’un mondain ou d’un courtisan ennuyé.56

D’autre part, l’état d’esprit de la génération qui arrive à l’âge adulte dans les années 1820 est très différent de celui de la génération précédente. « En effet, le début du siècle coïncide avec l’arrivée à l’âge adulte d’une jeunesse  »57 qui, tout en étant élevée dans les principes du cosmopolitisme, est fortement portée à retrouver l’élément national58.

C’est justement la production littéraire qui contribue d’une façon considérable à l’éveil patriotique. La publication de l’Histoire de l’État russe de Karamzin a marqué fortement la vie culturelle59. L’histoire russe est désormais à la portée de tout le public lettré et la société y accorde une grande attention60. « L’intérêt historique était né [...] la célèbre Histoire de l’État russe [...] a été le plus gros événement littéraire de l’époque. L’épopée grandiose que la prose majestueuse de l’historien déroulait devant ses lecteurs, leur découvrait   -  enfin !   -  ce long et glorieux passé où ils trouvaient les titres de noblesse de la nation.  »61

Enfin, le rôle des événements militaires   -  la guerre de 1812 et les campagnes étrangères des années 1814-1815   -  dans l’éveil du patriotisme a été maintes fois souligné par les historiens :

Le traumatisme suscité par l’invasion du territoire national et l’incendie de Moscou contribua en effet à l’émergence d’un sentiment national qui dépassait désormais les cercles réduits de l’intelligentsia cultivée.62

Ainsi, les sentiments de fierté nationale et de patriotisme dominaient dans la conscience collective russe durant les années 1810-1820. Ces sentiments animaient de grandes discussions sur le passé, le présent et l’avenir de l’Empire. Deux questions-clés étaient au cœur des débats. D’une part, il s’agissait bien évidemment de la situation du peuple, dont la « grandeur du sacrifice imposait des devoirs et créait des droits  »63. D’autre part, l’histoire récente invitait les contemporains à s’interroger sur le rôle du monarque et du pouvoir autocratique dans la vie du pays. C’est cette deuxième question qui nous intéresse à présent. En effet, même les historiens-idéologues qui prônent le « caractère révolutionnaire  » du mouvement décembriste ne trouvent pas toujours assez d’esprit « républicain et/ou démocratique  » dans les premiers écrits de ses membres64. De plus, ils sont obligés d’admettre qu’« il ne serait pas tout à fait exact d’affirmer que l’œuvre fondamentale de Karamzin (Histoire de l’État russe) ait marqué la séparation de la société russe en deux camps : celui des tenants de l’autocratie et celui des novateurs. La vie sociale d’alors ne permettait pas encore la polarisation définitive des positions idéologiques  »65. L’euphémisme de la dernière phrase voile la réalité historique : la popularité du pouvoir autocratique (qu’à l’époque l’on n’associait pas toujours avec le pouvoir despotique) était à peu près générale. Les hésitations des Décembristes, qui furent une des failles de leur mouvement, venaient en grande partie de leur respect pour la personne du monarque. Plusieurs d’entre eux, dans leur projet, n’allaient pas au-delà de la monarchie constitutionnelle. On peut imaginer que la conscience de la majorité de leurs contemporains n’était pas moins monarchique. De plus, l’ouvrage de Karamzin défendait la thèse selon laquelle le pouvoir autocratique était un atout pour l’État russe. Tout en appelant les monarques à exercer un pouvoir éclairé et humaniste, l’historien soulignait toutefois la particularité de l’histoire russe : le grand rôle joué par l’autocratie dans l’évolution et l’affirmation de l’empire russe. Or, « Karamzine était honoré et écouté  »66.

Enfin, le culte d’Alexandre Ier atteignit son apogée durant les années 1810. Même si son image se ternit ensuite aux yeux des plus libéraux déçus par l’absence de réformes, Alexandre Ier resta cet empereur qui avait conduit les troupes russes jusqu’à Paris :

Les événements du 14 décembre avaient produit une impression très vive sur les jeunes philosophes [des cercles des étudiants et jeunes fonctionnaires moscovites] ; leurs amis, leurs parents même, [...] n’étaient-ils pas parmi les insurgés ? [...] Il était tout à fait naturel que leurs sympathies fussent du côté des insurgés. Il ne semble pas, toutefois, que l’impression subie [...] ait sensiblement influé sur leurs opinions ultérieures [...]. Ils restèrent hostiles au despotisme, rarement au gouvernement, jamais à la monarchie.67

L’insurrection décembriste du 14 décembre 1825 marque l’accession au trône de Nicolas Ier, qui s’affirme à la fois en politique extérieure et intérieure au tournant des années 1820-1830. C’est alors que se forme l’idéologie officielle de son règne, baptisée par la suite « nationalisme officiel  » (oficial’naja narodnost’). Elle reposait sur trois piliers : orthodoxie (pravoslavie), autocratie (samoderžavie), nationalisme (narodnost’)68. Il s’agissait de revaloriser l’expérience historique russe, autrement dit d’approuver ses spécificités : l’orthodoxie et l’autocratie. Il en a résulté une augmentation considérable, souvent exagérée, de l’intérêt pour la culture « strictement  » russe.

C’est en 1833 que cette triple formule a été officiellement proclamée ligne directrice de la vie politique, intellectuelle et culturelle de l’Empire par le comte Sergej S. Uvarov, ministre de l’Instruction publique, dont le nom restera à jamais lié au « nationalisme officiel  »69. Les trois termes de cette idéologie n’étaient pas en eux-mêmes si conservateurs. C’est leur application concrète (russification forcée, censure féroce, surveillance des étrangers, réglementation stricte de l’instruction publique, etc.) qui a permis de percevoir la politique intérieure de Nicolas Ier comme l’une des plus conservatrices du moment et de toute l’histoire russe70.

Ainsi, le terme de « nationalisme officiel  » se trouve presque toujours associé aux conséquences de sa mise en pratique (et, par conséquent, responsable de tous les maux qui en ont découlé). Enfin, le terme de oficial’naja narodnost’ est devenu le synonyme général non seulement de la politique de Nicolas Ier, mais aussi de tout le courant conservateur dans la pensée russe du milieu du xixe siècle.

Maksim M. Ševčenko a démontré la nécessité de distinguer ces deux aspects afin d’effectuer une recherche fructueuse sur le conservatisme russe. De plus, il souligne l’inefficacité de l’approche fréquemment admise qui amène les historiens à représenter la triade du nationalisme officiel comme une création tout à fait artificielle du pouvoir71. L’historien invite enfin, à mieux étudier l’état d’esprit de la société de l’époque en insistant sur la genèse complexe de cette idéologie. Il faut selon nous veiller également à distinguer d’une part, la construction idéologique proprement dite et, d’autre part, les conséquences que sa mise en œuvre a entraînées pour la société.

Certains historiens ont déjà tenté de démontrer que la volonté et les desseins de Nicolas Ier n’étaient pas les seules causes de l’élaboration et de la mise en œuvre du « nationalisme officiel  ». Ainsi, selon Aleksandr Ni. Pypin, la politique plutôt conservatrice de la fin du règne d’Alexandre Ier en aurait marqué les prémices. « C’étaient les dernières années du règne de l’empereur Alexandre [...] il croyait devoir soutenir l’absolutisme patriarcal et défendre [...] les autels et les trônes.  »72

Toutefois, établir un rapprochement entre la politique intérieure (censure renforcée, interdiction des sociétés secrètes) des dernières années du règne d’Alexandre Ier et la mise en œuvre du « nationalisme officiel  » ne suffit pas pour en déceler d’éventuelles origines dans la société.

Comme nous l’avons montré, il faut tenir compte de l’essor très important du sentiment patriotique. Les Russes « étaient portés à démontrer leur indépendance culturelle vis-à-vis de l’Occident  »73. De ce point de vue, l’évolution des mentalités en Russie a d’ailleurs été en concordance avec l’histoire européenne, notamment allemande74. L’éveil du nationalisme en Europe a été l’une des conséquences du régime et des guerres napoléoniennes. Ainsi, Nicholas V. Riasanovsky conclut : « La doctrine du nationalisme officiel reflétait tout à fait l’étape de l’évolution générale européenne.  »75

Nous avons vu par ailleurs que les contemporains russes restaient généralement attachés au monarchisme. Riasanovsky en trouve des preuves dans la littérature de l’époque. Ainsi, les poèmes « Poltava  » et le « Cavalier de bronze  » de Aleksandr S. Puškin reflètent le respect envers la personne et l’œuvre de Pierre le Grand   -  l’un des plus autocrates parmi les autocrates russes. Persécuté par les successeurs de Pierre   -  par Alexandre Ier d’abord, par Nicolas Ier ensuite, Puškin a illustré avec exactitude l’ambiguïté de la perception contemporaine de la monarchie dans son « Cavalier de bronze  ». Il y dessine une image puissante, sévère, mais aussi majestueuse de Pierre le Grand et de l’autocratie russe. Le poète chante la grandeur et la pérennité de l’œuvre de l’empereur. Il dépeint la marche imposante de l’autocratie vers sa grande destinée historique en dépit de tous les obstacles. Cette autocratie reste insensible aux souffrances des individus et à leur opposition76.

Enfin, Riasanovsky conclut :

L’image de Pierre le Grand créée dans le « Cavalier de bronze  » ainsi que dans toute l’œuvre de A. S. Puškin est très proche de la doctrine du nationalisme officiel. C’était, pour ainsi dire, le compromis du poète avec la réalité historique russe : un chemin à parcourir pour ceux qui ont eu la chance de rester sains et saufs en 1825.77

En outre, c’est le moment où une nouvelle génération entre sur scène. Nous avons mentionné ci-dessus certaines différences entre les jeunes du début du xixe siècle et la génération de leurs parents. Alexandre Koyré précise la différence entre ceux qui ont participé à la guerre de 1812 et ceux qui ont atteint l’âge adulte à la fin des années 1820 :

Dix ans seulement séparent ces deux générations [...]. Les uns, les aînés, étaient nés aux jours du déclin de la Grande Catherine [...] ils avaient pris part à la guerre [...]. Les autres, par contre, avaient vu le jour dans les premières années du règne d’Alexandre Ier ; leurs impressions d’enfance avaient été celles de la guerre et de l’élan patriotique qu’elle avait provoqué [...] le sentiment de fierté nationale était une partie intégrante de leur âme [...]. L’Histoire de Karamzine avait été, pour tous ces jeunes gens, un livre de chevet.78

Enfin, l’idéologie du « nationalisme officiel  » aurait eu sa place dans le questionnement des contemporains sur eux-mêmes, parce qu’elle était liée à l’idée d’une évolution propre à la civilisation russe79. Dans le contexte historique postérieur aux guerres napoléoniennes, l’idée de la particularité de la voie de la Russie est en effet de nouveau d’actualité.

Si l’on examine l’impact des « événements considérables, de[s] changements profonds dans l’être et l’orientation de la Russie  »80 du début du xixe siècle sur la conscience collective, quelques constats s’imposent.

Sur le plan intérieur, les Russes étaient portés par un sentiment de fierté nationale. Confortée chez les uns, la confiance dans les grandes possibilités d’un peuple capable d’avancer sur la voie de la civilisation était née chez les autres. On attendait beaucoup de la monarchie. La déception a terni l’image personnelle d’Alexandre Ier, bien plus qu’elle n’a porté atteinte au régime lui-même. L’autocratie restait pour beaucoup la seule forme de régime possible dans le contexte russe. De plus, certains pensaient que le pouvoir autocratique était encore capable de faire progresser le pays à condition, bien sûr, de promouvoir des réformes efficaces.

La position de la Russie sur l’échiquier européen et la question de ses rapports avec la civilisation occidentale suscitaient des opinions diverses. La Russie venait d’affirmer sa place dans l’Europe des Lumières. Elle ne devait son succès qu’à elle-même. Les contemporains pouvaient ne pas être d’accord avec la politique de la Russie au sein de la Sainte Alliance, mais son rôle sur la scène européenne flattait sûrement l’orgueil national81. Pour une fois, l’histoire offrait aux Russes une occasion de ne pas se sentir inférieurs aux nations européennes. Mais la différence entre les deux mondes   -  européen et russe   -  restait, cependant, toujours d’actualité. L’unique solution était de cesser de comparer ces deux mondes pour savoir lequel était le plus avancé et quelle direction devait suivre l’autre ; il fallait les considérer séparément, en reconnaissant leur altérité :

Le problème des rapports avec l’Occident leur apparaissait sous un jour différent ; il ne s’agissait plus pour eux d’opposer la barbarie russe à la civilisation européenne, mais de déterminer les rapports entre la civilisation russe et celle de l’Occident.82

Si l’on ajoute que l’orthodoxie était partie intégrante de l’identité nationale et que l’Église orthodoxe occupait une place prépondérante dans la vie politique et sociale, on constate que l’état d’esprit de la société russe des années 1820 correspondait pour l’essentiel aux principes proclamés par le pouvoir au début de la décennie suivante et qualifiés ensuite par les historiens de « nationalisme officiel  »83. Rappelons que la mise en œuvre de ces principes suscita dans la société une tout autre réaction, dont l’analyse sort du cadre de la présente étude.

Conclusion

Le séjour en France consécutif aux guerres napoléoniennes a fourni aux Russes l’occasion de s’assurer que même la France n’incarnait pas le « paradis terrestre  ». L’étonnement et la déception des militaires vis-à-vis de la France des années 1814-1815 se sont probablement atténués à leur retour en Russie. L’éducation française, d’un côté, et la joie de revenir en héros chez soi, de l’autre, y ont sans doute contribué. En revanche, les voyageurs civils de la décennie suivante avaient tout loisir d’analyser la réalité française à leur guise. L’ensemble des témoignages des Russes qui ont effectué en France au début du xixe siècle des voyages « forcés  » et « volontaires  » ont contribué à conforter l’idée que la Russie suivait une voie spécifique.

Les civils qui reprirent la tradition des voyages en France dans les années 1820 arrivèrent en France tout pleins de cette idée qui s’imposa dans la société russe durant le premier quart du xixe siècle. La sérénité de leurs écrits en témoigne. Les voyageurs russes des années 1820 prêtaient une attention tranquille et apaisée à la France et à son peuple. C’est justement parce qu’ils ont la conviction qu’il ne faut plus juger la Russie en la comparant à la France que les vives émotions de leurs prédécesseurs militaires n’émaillent plus leurs récits de voyage.

Les vainqueurs des guerres napoléoniennes ne sont pas retournés en Europe armés, pour convaincre tout le monde, et les vaincus en premier lieu, de leur supériorité. Mais il est très probable que les Russes n’avaient plus le sentiment d’être des « pèlerins  » venus pour s’instruire. Représentants d’un grand et puissant Empire, ils viennent dans la France de la Restauration simplement pour voyager. L’analyse plus raisonnable et plus posée que l’on découvre dans les écrits des voyageurs des années 1820, en regard des notes de Karamzin et de Fonvizin, en est une preuve supplémentaire.

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Zaborov P., « Denis Fonvizine et ses Lettres de France  », in D. I. Fonvizine, Lettres de France (1777-1778), Paris, CNRS Éditions, 1995.

 

Notes

1 Pour quelque 40 000 militaires russes le séjour en France s’est prolongé de l’automne 1815 jusqu’en novembre 1818. À la suite du second traité de Paris du 20 novembre 1815, la Russie, en tant que puissance victorieuse, y a maintenu un corps d’occupation cantonné dans les départements du Nord et du Nord-Est (essentiellement dans l’Aisne, les Ardennes et le Nord). Dans le cadre de cette étude nous analyserons seulement les notes des militaires qui concernent les années 1814-1815, et non la période d’occupation.
2 Voir W. Bérélowitch, « La France dans le “Grand Tour” des nobles russes au cours de la seconde moitié du xviiie siècle  », Cahiers du Monde russe, Paris, EHESS, vol. 34, n° 1-2, 1993, p. 193-209.
3 Voir L’influence française en Russie au xviiie siècle, actes du colloque tenu à la Fondation Singer-Polignac et en Sorbonne, les 14 et 15 mars 2003, sous la dir. de J.-P. Poussou, A. Mézin et Y. Perret-Gentil, Paris, Institut d’études slaves, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2004 ; J. M. Lotman, Besedy o russkoj kul’ture (Conversations sur la culture russe), Saint-Pétersbourg, Iskusstvo-SPB, 1997.
4 W. Bérélowitch, « La France dans le “Grand Tour”...  », art. cité, p. 199.
5 Voir A. G. Tartakovskij, 1812 god i russkaja memuaristika (1812 et les mémoires russes), Moscou, Nauka, 1980, p. 17-18.
6 Par commodité, nous utiliserons le mot « mémorialiste  » pour désigner les auteurs de toutes les sources.
7 W. Bérélowitch, « Préface  » in N. Karamzine, Lettres d’un voyageur russe (en France et en Suisse), Paris, Quai Voltaire, 1991, p. 12.
8 I. I. Lažečnikov, Pohodnye zapiski russkogo oficera (Carnets de campagne d’un officier russe), Moscou, Tipografija N. Stepanova, 1836. C’est nous qui soulignons.
9 Voir J. M. Lotman, B. A. Uspenskij, « “Pis’ma russkogo putešestvennika” Karamzina i ih mesto v razvitii russkoj kul’tury  » (« “Lettres d’un voyageur russe” de N. M. Karamzine et leur place dans l’évolution de la culture russe  »), in N. M. Karamzin, Pis’ma russkogo putešestvennika (Lettres d’un voyageur russe), Leningrad, Nauka, 1984, p. 561-563.
10 S. V. Obolenskaja signale également l’importance de cette auto-perception des Russes-vainqueurs qui, d’après elle, explique en partie l’étonnement que les Russes ont éprouvé en constatant le progrès de l’Europe occidentale par rapport à la Russie, ce qui a notamment influencé la formation des idées des Décembristes. Voir S. V. Obolenskaja, Germanija i nemcy glazami russkih (xix vek) (L’Allemagne et les Allemands vus par les Russes [xixe siècle]), Moscou, Institut vseobščej istorii RAN, 2000, p. 90.
11 Voir la liste dans la bibliographie ci-jointe (« Notes de campagne : 1814-1815  »).
12 W. Bérélowitch, « La France dans le “Grand Tour”...  », art. cité, p. 200.
13 Nous indiquerons, à ce propos, quelques parallèles entre les écrits des militaires russes et ceux des voyageurs « classiques  »   -  N. M. Karamzin et D. I. Fonvizin. Voir les notes 16 à 18.
14 L’influence de N. M. Karamzin a été, évidemment, la plus importante. Les mémoires de F. N. Glinka et de I. I. Lažečnikov sont, d’ailleurs, des œuvres littéraires. Leur base, ce sont les « notes prises pendant les campagnes militaires et retravaillées dans le style des Lettres d’un voyageur russe de N. M. Karamzin. S. V. Obolenskaja, op. cit., p. 79.
15 Voir C. de Grève, Le voyage en Russie. Anthologie des voyageurs français aux xviiie et xixe siècles, Paris, Laffont, 1990, p. v-xvi.
16 Voir F. N. Glinka, Pis’ma russkogo oficera o Pol’še, avstrijskih vladenijah, Prussii i Francii s podrobnym opisaniem Otečestvennoj i zagraničnoj vojny s 1812 po 1815 goda (Lettres d’un officier russe sur la Pologne, les possessions autrichiennes, la Prusse et la France avec la Description détaillée de la guerre en territoire national et des campagnes étrangères de 1812 à 1815), Moscou, Tipografija S. Selivanovskogo, 1815-1816, partie VII, p. 120, 132 ; I. Radožickij, Pohodnye zapiski artillerista s 1812 po 1816 god. Artillerii podpolkovnika I... R... (Carnets de campagne d’un artilleur des années 1812-1816), Moscou, Tipografija Lazarevyh instituta vostočnyh jazykov., 1835, partie III, p. 43.
17 Voir les impressions identiques de N. M. Karamzin à ce sujet : N. M. Karamzine, Lettres...,
op. cit., p. 120.
18 N. M. Karamzin remarque aussi que « l’extrême vivacité des mouvements  » est le trait caractéristique de Paris. Voir N. M. Karamzine, Lettres..., op. cit., p. 126.
19 Voir les mêmes impressions de D. I. Fonvizin, Lettres de France (1777-1778), Paris, Éditions CNRS, 1995, p. 57.
20 A. G. Krasnokutskij, Vzgljad russkogo oficera na Pariž vo vremja vstuplenija Gosudarja Imperatora i sojuznyh vojsk v 1814 godu (Aperçu d’un officier russe sur Paris au moment de l’entrée de l’Empereur russe et des troupes alliées à Paris en 1814), Saint-Pétersbourg, Morskaja Tipografija, 1819, p. 8.
21 A. D. Čertkov, « Mon Journal de Voyage ou Itinéraire de route depuis les bords du Rhin jusqu’à Paris et puis dans mon séjour dans cette ville  », in 1812-1814. Sekretnaja perepiska generala p.  I. Bagrationa. Ličnye pis’ma generala N. N. Raevskogo. Zapiski generala M. S. Voroncova. Dnevniki oficerov russkoj armii (1812-1814. La correspondance secrète du général p. I. Bagration. Les lettres privées du général N. N. Raevski. Les notes du général M. S. Vorontsov. Les journaux intimes des officiers de l’armée russe), Moscou, Terra, 1992, p. 419-420. L’original est en français.
22 Voir S. V. Obolenskaja, op. cit., p. 85-86.
23 F. N. Glinka, op. cit., partie VII, p. 118-119.
24 Voir J. M. Lotman, B. A. Uspenskij, « “Pis’ma russkogo putešestvennika” Karamzina i ih mesto v razvitii russkoj kul’tury  », in N. M. Karamzin, Pis’ma..., op. cit., p. 563. À propos de la notion idéologique voir aussi V. p. Šestakov, « Russkoe otkrytie Ameriki  » (« La découverte russe de l’Amérique  »), in Rossija i Zapad : dialog kul’tur (La Russie et l’Occident : le dialogue des cultures), Moscou, MGV. Fakul’tet inostrannyh jazykov, Centr po izučeniju vzaimodejstvija Kul’tur, 1994, p. 74.
25 N. Krivcov, « Četyre pis’ma N. Krivcova, 1815 i 1816  » (« Quatre lettres de N. Krivcov, 1815-1816  »), in Ščukinskij sbornik (Recueil de Ščukin), fascicule III, p. 273.
26 La correspondance et les journaux intimes contiennent moins souvent une description rétrospective que les mémoires, dont la rédaction prolongée permettait habituellement aux auteurs de repenser leurs impressions. Grâce à leur caractère rétrospectif les documents privés russes des années 1812-1815 se distinguent, d’ailleurs, nettement des autres sources de cette catégorie. Voir A. Tartakovskij, op. cit., p. 66.
27 I. I. Lažečnikov, op. cit., p. 209.
28 Les Russes ne font pas très attention à la spécificité de la situation française : les Français n’étaient pas indifférents de voir les étrangers sur leur territoire. La résistance a été enregistrée dans plusieurs endroits. Cependant, le peuple n’était plus capable de continuer la guerre. Voir G. Bertier de Sauvigny, La Restauration, Paris, Flammarion, 1955 ; H. Houssaye, 1814, Paris, Perrin et Cie, Librairies-Éditeurs, 1911 ; H. Houssaye, 1815, Paris, Perrin et Cie, Librairies-Éditeurs, 1920.
29 A. I. Antonovskij, Zapiski pohodov i voennyh dejstvij 1812, 1813, 1814 i 1815 godov (Notes sur les campagnes et les hostilités des années 1812, 1813, 1814 et 1815), Otdel Pis’mennyh Istočnikov Gosudarstvennogo Istoričeskogo Muzeja (Département des Manuscrits du Musée d’Histoire d’État), fonds 160, dossier 308, feuille 213.
30 Voir Tihanov, Voennye zapiski kapitana Tihanova (Les carnets de campagne du capitaine Tihanov), Rossijskij Gosudarstvennyj Voenno-Istoričeskij Arhiv (Archive d’Histoire militaire de l’État russe), Fond Voenno-Učënogo Arhiva (Fonds de la Commission des spécialistes de l’Histoire militaire), dossier 3429, feuille 344 v.
31 F. N. Glinka, op. cit., partie VII, p. 211-212.
32 Les conditions du deuxième séjour en 1815, prolongé pour certains jusqu’en 1818, n’ont assurément pas été identiques à celles de 1814. Il est, pourtant, évident que le changement dans le nombre et la nature des sources provient en grande partie du fait qu’en 1815-1818, les Russes reviennent en France qu’ils avaient tout récemment découverte. Par ailleurs, venir en France en grands vainqueurs n’était plus quelque chose d’extraordinaire.
33 Voir les dates de parution des ouvrages de F. N. Glinka : 1815-1816, de A. G  Krasnokutskij : 1819, de I. I. Lažečnikov : 1re édition, 1820. En outre, les revues publiaient les extraits de certains documents. Voir, par exemple, la publication partielle des carnets de I. I. Radožickij dans Otečestvennye zapiski (Les Annales de la patrie), 1823, parties XIV-XVI, n° 38, 39, 42 ; 1824, parties XVII-XIX, n° 46, 48, 51 ; 1826, partie XXVII, n° 77. Enfin, la correspondance d’A. A. Pisarev non citée dans cet article a alors été également publiée. Voir A. A. Pisarev, Voennye pis’ma i zamečanija naibolee otnosjaščiesja k nezabvennomu 1812 godu i posledujuščim (Les lettres de guerre et les observations concernant en particulier l’inoubliable année 1812 et les suivantes), Moscou, Izdano Pavlom Subbotinym i semenom Selivanorskim, 1817.
34 A. G. Glagolev, Zapiski russkago putešestvennika s 1823 po 1827 god (Notes d’un voyageur russe des années 1823-1827), Saint-Pétersbourg, V Tipografii Imperatorskoj Rossijskoj Akademii, 1837, partie I, p. 169.
35 Ibid., p. 5.
36 Voir la liste dans la bibliographie ci-jointe (« Récits de voyage : les années 1820  »).
37 D. p. Gorihvostov, Zapiski rossijanina, putešestvujuščego po Evrope s 1824 po 1827 g. (Notes d’un Russe voyageant en Europe), Moscou, V Tipografii Knjazja Livova, 1832, livre II, p. 310-311.
38 Ibid., p. 311-312.
39 Ibid., p. 318-319.
40 Ibid., p. 329.
41 A. G. Glagolev, op. cit., partie II, p. 46.
42 N. I. Greč, « Putevye pis’ma Nikolaja Greča. 1817 i 1835 g.g. » (« Lettres de voyage de Nikolaï Gretch. 1817 et 1835  »), in Sočinenija Nikolaja Greča (Œuvres de Nikolaï Gretch), partie IV, Putevye pis’ma (Lettres de voyage), Saint-Pétersbourg, Tipografija Greča, 1838, p. 72.
43 Voir A. G. Glagolev, op. cit., partie IV, p. 270.
44 Ibid., p. 23.
45 Ibid., p. 22-23.
46 Ibid., p. 24-25.
47 Ibid., p. 24-26.
48 N. I. Greč, op. cit., p. 64.
49 Voir la note 14.
50 Notre intention étant d’analyser la vision russe de la France durant le premier quart du xixe siècle, nous ne nous attarderons pas ici sur les réflexions des voyageurs sur la Russie. Celles des participants des campagnes militaires des années 1814-1815 sont étudiées d’une façon exhaustive dans les travaux d’autres historiens, notamment des spécialistes du mouvement décembriste.
51 S. V. Obolenskaja, op. cit., p. 8.
52 Ibid., p. 89.
53 M. Raeff, Politique et culture en Russie : xviiie-xxe siècles, Paris, EHESS, 1996, p. 82.
54 S. V. Obolenskaja, op. cit., p. 190-191.
55 Voir N. V. Riasanovsky, A Parting of Ways. Government and the educated Public in Russia. 1801-1855, Oxford, Clarendon Press, 1976, p. 65-66.
56 M. Raeff, op. cit., p. 112.
57 Ibid., p. 81.
58 Ibid., p. 82.
59 Les huit premiers volumes de l’ouvrage ont déjà été disponibles en 1818 et le neuvième est paru en 1821.
60 Voir N. V. Riasanovsky, A Parting of Ways..., op. cit., p. 120.
61 A. Koyré, La philosophie et le problème national en Russie au début du xixe siècle, Paris, Honoré Champion, 1929, p. 29.
62 B. Michel, N. Pietri, M.-P. Rey, L’Europe des nationalismes aux nations, Paris, SEDES, 1996, p. 115.
63 A. Koyré, op. cit., p. 31.
64 Voir S. S. Landa, Duh revoljucionnyh preobrazovanij... : Iz istorii formirovanija ideologii i političeskoj organizacii dekabristov. 1816-1825 (L’esprit des mutations révolutionnaires... : extraits de l’histoire de la formation de l’idéologie et de l’organisation politique des Décembristes. 1816-1825), Moscou, Mysl’, 1975, p. 62-63, 66-67, 94 et suiv.
65 Ibid., p. 59.
66 A. Koyré, op. cit., p. 22.
67 Ibid., p. 38-39. C’est nous qui soulignons.
68 Le document officiel évoqué dans la note suivante présente les trois notions dans cet ordre. C’est dans la littérature postérieure qu’on a toujours dit : « autocratie (samoderžavie), orthodoxie (pravoslavie), nationalisme (narodnost’)  ».
69 Voir S. S. Uvarov, « Cirkuljarnoe predloženie G. Upravljajuščago Ministerstvom Narodnago Prosveščenija Načal’stvam Učebnyh Okrugov, o vstuplenii v upravlenie Ministerstvom  » (« Circulaire de M. le responsable du ministère de l’Instruction publique destinée aux Directions des Circonscriptions d’enseignement concernant son entrée en fonction en tant que Ministre), Žurnal Ministerstva Narodnago Prosveščenia (Revue du ministère de l’Instruction publique), Saint-Pétersbourg, V tipografii Imperatorskoj Akademii Nauk, 1834, partie I, p. xlix-l.
70 La nature, le fonctionnement et les résultats de l’idéologie du règne de Nicolas Iersont exhaustivement présentés dans l’ouvrage fondamental de N. V. Riasanovsky, Nicholas I and official nationality in Russia, 1825-1855, Berkeley, Los Angeles, University of California press, 1959 ou toute autre édition.
71 Cette stipulation est surtout courante quand il s’agit du début du règne de Nicolas Ier, car les œuvres des apologistes du « nationalisme officiel  » (M. p. Pogodin, etc.) illustrent son déploiement dans les années 1830- 1840.
72 A. N. Pypin, Obščestvennoe dviženie v Rossi i pri Aleksandre I (Le mouvement social sous Alexandre Ier), Saint-Pétersbourg, Akademičeskij proekt, 2001, p. 449.
73 M. M. Ševčenko, « Ponjatie “teorija oficial’noj narodnosti” i izučenie vnutrennej politiki imperatora Nikolaja I (« Le concept de “théorie du nationalisme officiel” et l’étude de la politique intérieure de l’empereur Nicolas Ier  »), Vestnik Moskovskogo Universiteta (Le Messager de l’Université de Moscou), série 8, n° 4, 2002, p. 99-100.
74 Voir N. V. Riasanovsky, A Parting of Ways..., op. cit., p. 104-105, 134-135 ; idem, Nicholas I..., op. cit., p. 267.
75 N. V. Riasanovsky, Nicholas I..., op. cit., p. 267.
76 Voir N. V. Riasanovsky, A Parting of Ways..., op. cit., p. 122-123.
77 Ibid., p. 123.
78 A. Koyré, op. cit., p. 43-44. C’est nous qui soulignons.
79 N. I. Cimbaev, Slavjanofil’stvo (Le slavophilisme), Moscou, Izdatel’stvo Moskovskogo universiteta, 1986, p. 68.
80 Ibid.
81 M.-P. Rey constate même pour la période postérieure la présence de sentiments impérialistes chez les représentants les plus cultivés de la société russe  -  les occidentalistes et les slavophiles des années 1830-1840, qui ne s’opposaient pas à la politique d’acquisition de nouveaux territoires pratiquée constamment par l’Empire. Voir B. Michel, N. Pietri, M.-P. Rey, op. cit., p. 116.
82 A. Koyré, op. cit., p. 44. C’est l’auteur qui souligne.

 

Pour citer cet article : Maya Goubina, «  La vision russe de la France (1814-1825): évolution de l’image de l’autre ou réflexion sur soi? », colloque Les Premières Rencontres de l’Institut européen Est-Ouest, Lyon, ENS LSH, 2-4 décembre 2004, http://russie-europe.ens-lsh.fr/article.php3?id_article=55