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ENS Lettres et Sciences Humaines

 

 

 

L’Europe vue par le tsar Alexandre Ier :
nature, contours géographiques et organisation politique

Marie-Pierre REY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Centre de recherches en histoire des Slaves

 


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Mots-clés : Alexandre Ier, Napoléon Ier, géopolitique, Europe, diplomatie

 

Si au fil du xviiie siècle, les règnes de Pierre le Grand, d'Élisabeth Ire puis de Catherine II ont permis à la Russie de s'arroger de facto une place prédominante sur le théâtre européen, l'empire des tsars n'en demeure pas moins durant toute cette période tenu en lisière par les autres États du continent qui rechignent à voir dans le colosse oriental un État européen à part entière. A contrario, lorsqu'en 1825, la mort brutale d'Alexandre Ier conduit « Nicolas la Trique » sur le trône russe, l'appartenance de la Russie au système européen ne fait plus aucun doute pour la plupart des observateurs occidentaux ; et si le marquis de Custine peut s'émouvoir et dénoncer l'illusoire « européanité » de la Russie dans laquelle il ne repère que duperie et faux-semblant, les dirigeants européens comme les opinions publiques naissantes voient dans l'État russe, « le gendarme de l'Europe », c'est-à-dire un État dont la nature européenne, toute portée au conservatisme qu'elle puisse être, n'est dès lors plus contestable.

Or, dans cette mutation, les vingt-cinq ans du règne d'Alexandre Ier ont joué un rôle capital non seulement parce que de conflits en paix armée, le théâtre européen n'a cessé dans cette période de dominer la diplomatie tsarienne, mais également parce qu'entre 1801 et 1825, et plus particulièrement entre 1804 et 1818, l'Europe a occupé une place de premier plan dans les réflexions et les perceptions politiques du tsar. C'est sur ces réflexions et ces perceptions que ma contribution s'arrêtera en dégageant leur dimension novatrice, voire visionnaire. Car de fait, loin de se réduire au projet conservateur voire rétrograde d'une Sainte Alliance dont la légende noire fut dès les années 1820-1830, véhiculée puis ancrée par l'historiographie romantique puis républicaine, les idées et projets politiques élaborés entre 1804 et 1818 par un tsar toujours influencé par l'héritage des Lumières, s'avèrent au contraire, particulièrement audacieux et modernes pour le premier quart du xixe siècle. Pour ce faire, l'on traitera, dans un premier temps, du contexte dans lequel les idées européennes du tsar se sont constituées puis l'on viendra aux formes concrètes qu'elles ont prises, avant de s'interroger sur le destin qu'elles ont connu.

C'est en mars 1801, à l'âge de vingt-trois ans qu'Alexandre est propulsé sur le trône, au lendemain de l'assassinat de son père Paul Ier, victime d'un complot mené par des aristocrates de haut rang décidés à en finir avec la tyrannie et les choix erratiques exercés par le tsar. Toutefois, en dépit du contexte bien spécifique dans lequel il conquiert le pouvoir, cette accession n'est pas le fruit du hasard car dès sa prime enfance, Alexandre a été destiné au trône et éduqué pour régner.

Choyé par sa grand-mère, Catherine II, « Monsieur Alexandre »1 a été très tôt destiné au trône et éduqué pour régner : alors qu'il n'a que sept ans, la tsarine décide de le soustraire à l'influence de ses parents, son fils Paul et sa belle-fille Marija Fedorovna pour lesquels elle n'a que mépris et de le faire éduquer selon un plan d'instruction2 qu'elle a elle-même élaboré et dont elle confie la mise en œuvre au Suisse républicain César de La Harpe. Attaché aux valeurs des Lumières et aux idées libérales, La Harpe restera le précepteur du grand-duc pendant treize ans et quittera la Russie en mai 1795, remercié par la tsarine. À cette date, Catherine II estime que l'éducation du jeune homme est achevée et que son heure est venue de régner : un an plus tard, à la veille de sa mort en 1796, elle transmet à son petit-fils un document secret qui le désigne, à l'insu de Paul qu'elle juge incompétent, comme son successeur. Toutefois, la tsarine disparue, Alexandre ne révèle pas le document légué par sa grand-mère et, respectueux de l'ordre traditionnel, il laisse son père monter sur le trône et régner jusqu'en mars 1801.

Relégué à l'arrière-plan par Paul Ier qui se méfie de lui, le tsarévitch affirme très tôt un intérêt pour les affaires politiques et un grand sens de l'État. De cet intérêt pour les questions politiques, témoigne tout particulièrement la correspondance étroite qu'il entretient avec La Harpe car de fait, le départ de ce dernier n'a pas desserré les liens unissant le précepteur et son élève.

Certes, les deux hommes se reverront en de très rares occasions : une fois en Russie où La Harpe séjourne pendant dix mois, d'août 1801 à mai 1802, période durant laquelle les deux hommes se voient presque quotidiennement, chez La Harpe où le tsar se rend le soir incognito, ou bien encore à la Cour ; et plus fréquemment à l'étranger : à Paris en avril 1814 et à Vienne à partir d'octobre 1814 où à l'occasion du congrès qui scelle le destin du continent européen, La Harpe fait le voyage dans la capitale autrichienne pour revoir son ancien élève, et lors d'échanges en tête-à-tête, lui prodiguer ses conseils. Mais c'est plus encore par une correspondance échangée pendant près de trente ans que les deux hommes restent liés. Au fil des années 1795-1824 en effet, La Harpe rédige de manière fréquente et régulière de longues lettres qui attestent du soutien bienveillant qu'il ne cesse d'accorder à Alexandre Ier et à ses projets de modernisation. A contrario, si elle sont relativement longues lorsqu'il est encore grand-duc, les réponses d'Alexandre se font à partir de son accession au trône de plus en plus brèves et espacées - moins d'une lettre par an -, mais elles révèlent une chaleur et une confiance extrêmes et constituent par là-même une source précieuse pour l'historien.

En mars 1796, dans une lettre bien révélatrice de son attachement à son précepteur, le grand-duc Alexandre souligne qu'il doit à La Harpe :

Mes mœurs, mes principes, ma morale, le peu de connaissances que j'ai, et qui auraient pu être en plus grand nombre si j'avais profité davantage des peines sans nombre que vous vous êtes données pour moi, et que je ne saurais jamais être en état d'acquitter envers vous que par mon attachement et mon estime pour vous, qui sont sans bornes, mon cher ami [...].3

Et en mai 1801, soit deux mois après avoir été proclamé empereur, il écrit de même :

Le premier moment de vrai plaisir que j'ai ressenti depuis que je me trouve à la tête des affaires de mon malheureux pays, c'est celui que j'ai éprouvé en recevant votre lettre, mon cher et vrai ami. Je ne puis vous rendre tout ce que j'ai senti et surtout voyant que vous conservez toujours les mêmes sentiments qui sont chers à mon cœur, et que, ni l'absence, ni l'interruption de relation, n'a pu altérer. Croyez, cher ami, que rien au monde n'a pu aussi porter atteinte à mon attachement inviolable pour vous et à toute ma reconnaissance pour les soins que vous avez eus pour moi, pour les connaissances que je vous dois, pour les principes que vous m'avez inspirés, et de la vérité desquels j'ai eu les occasions de me convaincre bien souvent. 4

Au travers des diverses lettres adressées par Alexandre à La Harpe, se dessinent donc un certain nombre de traits : un sens aigu de l'État et du bien social, un refus du pouvoir absolu perçu comme tyrannique par essence, et la volonté libérale de promouvoir une constitution et de mettre en œuvre des réformes économiques et sociales d'envergure. Mais a contrario, sur les questions internationales proprement dites, le grand-duc n'a pas encore de perspective bien arrêtée ; l'embrasement du continent dans le sillage de la Révolution française puis des premières conquêtes de Bonaparte ne suscite pas de réaction très affirmée, à l'image de la place encore limitée que l'empire russe occupe alors sur la scène européenne.

Au fil de la première moitié du xviiie siècle, les victoires militaires engrangées sous le règne de Pierre le Grand aux dépens de la Suède, ont fait de l'empire russe la grande puissance européenne du Nord ; par la suite, les règnes d'Élisabeth Ire puis de Catherine II ont permis à la Russie de continuer à s'étendre territorialement vers l'Ouest, cette fois aux dépens de la Pologne, et de s'ouvrir culturellement et esthétiquement sur l'Europe occidentale, en revendiquant de plein droit une appartenance européenne. Mais dans les cours d'Europe centrale et occidentale de la seconde moitié du xviiie siècle, l'on rechigne encore à considérer comme véritablement européenne une Russie jugée « barbare, despotique et asiatique » ; et en Russie même, l'obsession des décideurs politiques et des élites occidentalisées à rattraper le retard économique, social et culturel accumulé par rapport à l'Occident et le souci constant d'ériger en norme universelle « le » modèle européen attestent bien de la vigueur d'un complexe d'infériorité éprouvé à l'égard de l'Europe occidentale et d'un doute, profond, quant à l'appartenance de la Russie à la civilisation européenne5.

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant qu'à son arrivée sur le trône, Alexandre Ier ait opté pour une position attentiste et pacifiste sur les questions européennes. En juin 1801, l'État russe signe avec l'Angleterre une convention commerciale qui aplanit des relations mises à mal sous le court règne de Paul et les relations diplomatiques rompues par Paul Ier avec l'Autriche sont rétablies ; le 8 octobre 1801, un traité de paix avec la France du Premier consul, dont la signature est suivie deux jours plus tard par la signature d'une convention secrète qui accorde à la Russie satisfaction sur nombre de points6. Pour le tsar, il est essentiel d'assurer au pays la paix dont il a besoin pour avancer dans les réformes. Cette logique pacifiste est bien soulignée dans les mémoires du prince Adam Čartoryjskij qui, ami proche du tsar, fait alors, aux côtés du ministre en exercice le comte Viktor Kočubej, figure de conseiller en charge des questions diplomatiques :

Le comte Kotchoubey dirigeait la diplomatie de la Russie. L'Empereur lui-même s'en occupait déjà alors d'une manière spéciale. Le comte Kotchoubey avait adopté un système qu'il croyait entièrement conforme aux opinions et aux vues de l'Empereur, et en même temps d'accord avec ses propres sentiments. C'était de se tenir à l'écart des affaires de l'Europe, de s'en mêler le moins possible, d'être bien avec tout le monde, afin de pouvoir consacrer tout son temps et son attention aux améliorations intérieures. C'était bien l'avis et le désir de l'Empereur, et celui de ses intimes ; mais personne ne l'avait adopté avec plus de conviction et ne le soutenait avec plus d'insistance, personne n'était décidé à le suivre avec une constance plus inébranlable que le comte Kotchoubey. - La Russie, disait-il est suffisamment grande et puissante par son étendue, sa population et sa position ; elle n'a rien à craindre d'aucun côté, pourvu qu'elle laisse les autres en repos ; elle s'est trop mêlée à tout propos des affaires qui ne la regardaient pas directement. Rien ne pouvait se passer en Europe, qu'elle ne prétendît y prendre part ; elle a fait des guerres inutiles et coûteuses. Dans son heureuse situation, l'Empereur peut rester en paix avec le monde entier et se vouer à des réformes intérieures sans que personne ose le troubler dans ses nobles et salutaires travaux. C'est dans l'intérieur que la Russie peut faire d'immenses conquêtes en établissant de l'ordre, de l'économie, de la justice dans toutes les parties de son vaste empire, en y faisant fleurir l'agriculture, le commerce et l'industrie. Que faisaient aux nombreux habitants de la Russie les affaires de l'Europe et les guerres qui s'ensuivaient ? Ils n'en retiraient aucun profit ; ils périssaient dans les guerres, ils donnaient avec désespoir plus de recrues et plus d'impôts. Leur bien-être exigeait une longue paix et les soins continuels d'une sage et pacifique administration. Que pouvait penser de mieux l'Empereur avec ses idées de réforme et son conciliabule libéral ?7

Et de fait, ce désengagement vis-à-vis des questions européennes qui pousse le tsar à placer l'intérêt national au cœur de ses choix diplomatiques et à ne pas se laisser entraîner par des considérations qui lui seraient extérieures8 s'explique clairement par la volonté du souverain de donner la prééminence aux questions intérieures et au développement politique, économique et social de l'empire russe.

Les années 1801-1804 correspondent en effet à une période d'intense activité réformatrice : il suffit d'évoquer la levée de la censure ; la fondation des universités de Dorpat en 1802, de Vilnius en 1803, de Kazan en 1804 et de Kharkov en 1805 ; en 1803, l'adoption d'un oukaze autorisant certains serfs à racheter leur terre et à la cultiver9 ; et sur le plan politique, en 1802, la création de huit ministères centralisés qui se substituent aux anciens collèges ministériels et visent à rendre l'administration plus rationnelle et plus efficace10.

Mais il s'explique aussi par le fait que l'empire russe, qui vient de procéder à l'annexion du royaume de Géorgie orientale11 et s'est lancé en Transcaucasie dans une politique expansionniste ambitieuse au détriment des petits États indépendants situés en bordure de la mer Noire, a besoin d'avoir les coudées franches dans cette région ; et de fait, cette stratégie s'avère payante puisque dès 1803, la principauté de Mingrélie est placée sous protectorat russe et qu'un an plus tard, c'est au tour du royaume d'Imérétie et des principautés de Gurie et de Svanétie d'être annexés12.

Toutefois, les résolutions du tsar et de ses proches conseillers ne résistent ni à l'évolution du contexte international ni à la montée en puissance des ambitions napoléoniennes et de ce point de vue, l'année 1803 marque un tournant. 

À partir de 1803 en effet, le jugement d'Alexandre à l'égard du Premier consul se fait de plus en plus critique à l'égard de Bonaparte, comme en atteste la lettre adressée à La Harpe en juillet :

Je suis bien revenu, avec vous, mon cher, de notre opinion sur le premier consul. Depuis son consulat à vie, le voile est tombé ; depuis lors, c'est allé de mal en pis. Il a commencé par se priver lui-même de la plus belle gloire réservée à un humain et qui seule lui restait à cueillir : celle de prouver qu'il avait travaillé sans aucune vue personnelle, uniquement pour le bonheur et la gloire de sa patrie, et fidèle à la constitution alors qu'il avait juré lui-même, remettre après les dix ans le pouvoir qu'il avait en main. Au lieu de cela, il a préféré singer les cours, tout en violant la constitution de son pays. Maintenant, c'est un des tyrans les plus fameux que l'histoire ait produits.13

Toutefois, en dépit de ces convictions, le tsar et son ministre des Affaires étrangères, le chancelier comte Alexandre Voroncov, cherchent encore, tout au long de l'année 1803, à temporiser et à éviter tout affrontement avec le Premier consul. Les propos tenus par son chargé d'affaires à Paris, d'Oubril, à Talleyrand lors de leur rencontre du 21 juillet soulignent bien la volonté tsarienne de se faire le chantre et le promoteur d'une paix européenne respectueuse des identités nationales :

Loin de vouloir ranimer le feu de la guerre sur le continent, Sa Majesté serait au comble de ses vœux si elle pouvait la faire cesser partout, mais nous souhaitons aussi que le gouvernement français, puisqu'il déclare avoir la même volonté, laissât en repos ceux qui ont le plus vif désir de ne pas y prendre part. L'unique vœu de Sa Majesté serait que la paix renaisse en Europe, que personne ne veuille s'arroger une suprématie quelconque et que le gouvernement français reconnaisse aussi l'égalité des États moins forts et tout aussi indépendants que lui. La Russie, on ne saurait assez le répéter, n'a aucune envie, aucun intérêt de faire la guerre. C'est la force des circonstances qui lui dictera le parti qu'elle aura à prendre.14

L'attachement du tsar à préserver la paix coûte que coûte au nom de l'intérêt national ne va d'ailleurs pas sans susciter des réactions critiques, voire agacées de la part de certains observateurs. Joseph de Maistre alors ambassadeur de Sardaigne à Saint-Pétersbourg y voit l'influence négative de La Harpe, alors présent à la Cour :

La Russie, assumant une attitude plus menaçante et élevant la voix, aurait pu facilement rendre jusqu'à un certain point l'équilibre à l'Europe, mais essayez donc de faire entrer de telles idées dans une tête farcie par La Harpe. L'empereur de Russie n'a que deux pensées : « la paix et l'économie ».15

Quoi qu'il en soit, cette rencontre qui ne suscite aucune réaction du côté français conforte le tsar dans son jugement hostile à l'égard du Premier consul et en mars 1804, l'enlèvement du duc d'Enghien16, puis son exécution achèvent de le convaincre que la Russie ne peut plus se tenir à l'écart des questions européennes et qu'elle doit désormais s'opposer aux ambitions napoléoniennes. À partir de cette date, l'engagement de plus en plus marqué du tsar sur la scène internationale est à l'origine d'un véritable projet pour l'Europe.

En 1803, alors qu'il n'est encore que son conseiller personnel pour les affaires diplomatiques - il sera un peu plus tard, en janvier 1804, nommé ministre des Affaires étrangères en remplacement du chancelier Voroncov âgé et malade -, le prince Čartoryjskij rédige à la demande du tsar et avec le soutien de son secrétaire italien l'ancien abbé Piatoli17, un long Mémoire sur le système politique que devrait suivre la Russie, complété en 1804 par un Article pour l'arrangement des affaires de l'Europe à la suite d'une guerre heureuse. Textes denses et ambitieux, ces documents vont structurer pendant plusieurs années la pensée diplomatique du jeune tsar.

Dans le Mémoire qui appelle la Russie à mener une politique « généreuse et grande » pour « le bien général des nations », Čartoryjskij propose tout d'abord d'en finir avec l'expansionnisme napoléonien jugé intolérable et pour ce faire, d'engager la Russie dans une alliance militaire avec l'Angleterre ; mais une fois l'ennemi défait et la victoire acquise, cette alliance privilégiée sera consolidée et visera à instituer un système européen fondé sur des bases nouvelles.

Sous la houlette de la Russie et de l'Angleterre qui s'en porteront en quelque sorte garantes, le nouveau système devra faire de la paix en Europe son objectif prioritaire et il devra chercher à régir les relations internationales en recourant à la raison et en refusant l'état de nature18 qui pour l'heure domine les affaires internationales. Pour Čartoryjskij, il s'agit donc bien de transférer à la scène internationale les valeurs de raison, d'ouverture et de tolérance des Lumières.

Ce nouveau système devra s'inscrire - et c'est là la seconde idée très importante du mémoire - dans un espace européen que Čartoryjskij suggère de remodeler selon deux principes clefs, le principe libéral et le principe alors neuf et révolutionnaire des nationalités. Dans cette adhésion au principe des nationalités, perçu comme le facteur clef du système à reconstruire, nul doute que les sentiments patriotiques d'un prince polonais confronté à la disparition douloureuse de son pays depuis les trois partages successifs de la fin du xviiie siècle ont joué un rôle majeur. Mais il faut y voir aussi l'influence de certains philosophes dont Johann Gottfried Herder au premier plan. Comme Herder en effet, Čartoryjskij fait des nations des corps organiques « avec leur propre manière de voir et de sentir »19 qui ne doivent en aucun cas subir de domination étrangère « contraire à l'équilibre des choses »20.

Ces deux principes, principe libéral et principe des nationalités, conduisent à définir le système européen comme un ensemble d'États libéraux c'est-à-dire organisés en républiques ou en monarchies constitutionnelles ; et d'autre part comme un ensemble d'États respectueux du principe des nationalités, qui pourront s'organiser soit sous la forme d'États-nations : c'est le cas de la France bien sûr mais aussi de la Suisse21 ou bien encore de la Pologne dont il s'agit, sous la houlette russe, de favoriser le rétablissement de l'unité nationale ; soit sous la forme d'États fédéraux : Čartoryjskij envisage ainsi la création d'une fédération italienne qui s'organiserait autour d'un État du nord et celle d'une fédération d'États allemands, seule réponse possible selon lui, aux attentes identitaires allemandes. Toutefois, cette dernière fédération allemande devra se bâtir indépendamment de la Prusse et de l'Autriche et constituer un « contrepoids intermédiaire »22 face à ces deux dernières. Enfin, Čartoryjskij évoque le cas de l'Empire ottoman qui, s'il venait à s'écrouler, devrait favoriser la création d'États séparés mais réunis dans une fédération commune, « sur laquelle la Russie pourrait s'assurer une influence décisive et légale au moyen du titre d'empereur ou de protecteur des Slaves et d'Orient qui serait décerné à Sa Majesté Impériale »23.

Le Mémoire de Čartoryjskij suscite aussitôt l'intérêt d'Alexandre qui y voit un programme ambitieux et d'envergure, répondant à ses propres objectifs libéraux, mais plus encore un programme susceptible de donner au combat antinapoléonien une signification politique, voire morale et philosophique.

En août 1804, la chute en Angleterre du ministère Addington et la nomination de William Pitt au rang de premier ministre semblant dessiner une configuration propice, le tsar prend la décision d'envoyer à Londres, à l'insu du comte Simon Voroncov son ambassadeur sur place qu'il suspecte d'une anglophilie aveugle24, un émissaire secret, le comte Nikolaj Novosil'cev. Ami très proche du tsar, membre du Comité secret, et vice-ministre de la Justice, Novosil'cev est chargé par Alexandre de négocier secrètement avec le premier ministre Pitt un rapprochement voire une alliance. Toutefois, pour le tsar comme pour Čartoryjskij qui joue un rôle majeur dans cette réflexion, l'alliance, loin de se limiter à des considérations tactiques antinapoléoniennes, devra engager un programme ambitieux de reconstruction de l'Europe sur des bases nouvelles. Pour expliciter son propos et ses vues, le tsar transmet à Novosil'cev à la veille de son départ, le 11 septembre 1804, des Instructions secrètes25. Fixées par Alexandre et rédigées dans le détail par Čartoryjskij toujours avec l'aide de l'abbé Piatoli, ces Instructions secrètes constituent, au-delà de la quête d'une alliance avec l'Angleterre, un plaidoyer pour une Europe nouvelle à bâtir.

D'entrée de jeu, le tsar inscrit son projet dans une lutte idéologique d'envergure qu'il s'agit de remporter contre Napoléon. À ses yeux en effet, la propagande napoléonienne a su habilement manier à son profit des principes et des idées qu'il convient maintenant de se réapproprier. Alexandre Ier affirme ainsi, témoignant d'une intelligence politique très aiguë :

L'arme la plus puissante dont se soient servis jusqu'à présent les Français, et avec laquelle ils menacent encore tous les pays, est l'opinion universelle qu'ils ont su répandre, que leur cause est celle de la liberté et de la prospérité des peuples. Il serait honteux pour l'humanité qu'une cause aussi belle dût être considérée comme le propre d'un gouvernement qui ne mérite sous aucun rapport d'en être le défenseur ; il serait dangereux pour tous les États de laisser plus longtemps aux Français l'avantage marquant d'en conserver l'apparence. Le bien de l'humanité, l'intérêt véritable des autorités légales, et la réussite de l'entreprise que se proposeraient les deux puissances26 exigent qu'elles arrachent aux Français cette arme formidable et qu'en se l'appropriant, elles la fassent servir contre eux-mêmes.27

Cet enjeu établi, le tsar se dit ensuite favorable à une alliance russo-britannique qui permettrait d'en finir avec la menace napoléonienne, mais il insiste avant tout sur la nécessité de donner à cette alliance « un but réellement utile et bienfaisant »28 et dans les pages qui suivent livre de manière précise ses conceptions tant sur le plan politique que géopolitique.

Sur le plan politique, Alexandre Ier commence par évoquer le cas des pays soumis à la tutelle française : à propos de la Sardaigne, s'il se dit favorable au rétablissement du roi sur son trône, il souhaite que d'un commun accord, la Russie et l'Angleterre engagent le roi à « donner à ses peuples une constitution libre et sage » puis, traitant de la Suisse et de la Hollande dont il s'agira de garantir l'existence et l'organisation politique, il réclame que cette dernière soit établie dans le respect de la volonté nationale29.

Le cas français inspire ensuite au tsar un très long développement : il précise tout d'abord que loin de chercher à rétablir en France un ordre monarchique de droit absolu, l'alliance russo-britannique dont un des objectifs clefs sera de se débarrasser du « joug de Bonaparte », devra s'efforcer d'y promouvoir et d'y garantir la liberté à laquelle a goûté le peuple français :

Répugnant à faire rétrograder l'humanité, je voudrais que les deux gouvernements convinssent entre eux que loin de prétendre rétablir dans le pays qu'il faudra affranchir du joug de Bonaparte, d'autres abus, et un état de choses auquel des esprits qui ont goûté des formes de l'indépendance ne pourraient se faire, on s'efforcera au contraire de leur assurer la liberté fondée sur ses véritables bases.30

Cette analyse atteste de manière très nette tant de l'ouverture d'esprit d'Alexandre que de son sens politique puisqu'à ses yeux, la mémoire de la Révolution française ne peut être reniée. Ces prises de position, pour le moins surprenantes de la part de celui qui a hérité quatre ans auparavant d'un régime autocratique de droit divin, ne relèvent pas pour autant d'une démarche opportuniste et circonstancielle. Loin s'en faut car s'il s'agit bien pour lui, en tenant compte de l'héritage de la Révolution française dans la construction de la nouvelle Europe de battre Napoléon sur son propre terrain idéologique, il s'agit plus encore de modeler le continent européen dans le respect des droits des individus.

Soucieux d'être compris de l'opinion française, Alexandre Ier souligne ainsi la nécessité d'expliquer à « la nation »31 française que les puissances coalisées « ne désirent rien autre que d'affranchir la France du despotisme sous lequel elle gémit, de lui laisser le libre choix du gouvernement qu'elle voudra se donner »32, et c'est dans cet esprit qu'il se déclare ouvert à l'institution en France d'une monarchie constitutionnelle33 si cette dernière avait la faveur des Français. Puis, il élargit son propos aux autres pays européens et se lance dans un véritable plaidoyer en faveur de régimes respectueux des « droits sacrés de l'humanité » :

Ce n'est pas la place ni le moment de tracer les différentes formes de gouvernement qu'il faudra établir dans ces divers pays. Je vous laisse une entière latitude pour traiter avec le ministre anglais sur cet objet important. Les principes sans doute devront être partout les mêmes, et c'est de quoi il faudrait avant tout convenir. Partout ils doivent être fondés sur les droits sacrés de l'humanité, produire l'ordre qui en est la suite nécessaire ; partout le même esprit de sagesse et de bienveillance doit diriger les institutions. Mais l'application de mêmes principes pourra varier selon les localités, et les deux puissances, pour s'entendre à cet égard, aviseront aux moyens de se procurer sur les lieux des données justes, impartiales et détaillées, auxquelles on puisse ajouter foi.34

Très dense, ce passage illustre l'attachement profond du tsar aux idées des Lumières et aux principes que lui a inculqués La Harpe durant ses années de préceptorat tout comme il illustre une nouvelle fois sa volonté de prendre en compte certaines idées politiques diffusées par la Révolution française. Mais il s'agit aussi pour lui de se démarquer de manière très nette des pratiques napoléoniennes car en proposant que les peuples soient associés au choix de leur gouvernement, c'est bien à un rejet d'un modèle napoléonien imposé aux États d'Europe par l'usage des armes et le recours à la force qu'aspire Alexandre Ier.

Sur le plan plus proprement géopolitique, les Instructions secrètes s'avèrent encore plus neuves. Pour le tsar en effet, la tranquillité future de l'Europe ne pourra être assurée qu'en combinant des décisions de politique intérieure - dont au premier plan la mise en place de régimes respectueux des droits des gens - et des décisions de politique extérieure. Il précise ainsi :

Il me semble évident que ce grand but35 ne pourra être regardé comme atteint que lorsqu'on parviendrait d'une part à attacher les nations à leurs gouvernements, en rendant ces derniers capables de ne se conduire que pour le plus grand bien des peuples qui leur sont soumis, tandis que de l'autre on fixerait les rapports des États entre eux sur des règles plus précises, et qu'il serait de leur intérêt de respecter.36

Ce lien établi entre situation intérieure et politique étrangère, Alexandre Ier présente ensuite son projet. La fédération européenne37 qu'il appelle de ses vœux devra se bâtir dans le respect du droit des gens et sur un certain nombre de principes formalisés dans « un traité qui devienne la base des relations réciproques des États européens ». Il écrit ainsi, non sans lyrisme :

Ce n'est point le rêve de la paix perpétuelle qu'il s'agit de réaliser38 ; cependant on se rapprocherait sous plus d'un rapport des résultats qu'il annonce, si dans le traité qui terminerait la guerre générale on parvenait à fixer sur des principes clairs et précis les prescriptions du droit des gens. Pourquoi ne pourrait-on pas y soumettre le droit positif des nations, assurer le privilège de la neutralité, insérer l'obligation de ne jamais commencer la guerre qu'après avoir épuisé les moyens qu'une médiation tierce peut offrir, avoir de cette façon mis au jour les griefs respectifs, et tâché de les aplanir ? C'est sur de semblables principes que l'on pourrait procéder à la pacification générale, et donner naissance à une ligue dont les stipulations formeraient, pour ainsi dire, un nouveau code du droit des gens, qui, sanctionné par la plus grande partie des États de l'Europe, deviendrait sans peine la règle immuable des cabinets, d'autant que ceux qui prétendraient l'enfreindre risqueraient d'attirer sur eux les forces de la nouvelle union.39

Ce passage revêt une très grande importance et ce pour deux raisons essentielles. D'abord par la dimension morale voire messianique du combat dans lequel le tsar s'engage. Pour Alexandre Ier, il s'agit bel et bien de proposer à l'Europe tout entière un modèle géopolitique qui se substituera à l'illusoire modèle napoléonien et l'emportera sur ce dernier précisément parce qu'il sera, lui, respectueux du droit des nations comme du droit des gens. Or, cette dimension messianique atteste d'un changement radical de perspective, voire d'une révolution mentale et politique. Alors que d'une part, jusqu'à la fin du xviiie siècle, les décideurs russes se sont efforcés de démontrer leur « européanité » et de faire « du modèle européen » leur ligne de mire et que d'autre part, au début du règne d'Alexandre Ier, la Russie fait le choix de se tenir sur le plan géopolitique en lisière des affrontements européens, à partir de 1804 au contraire, non seulement il n'est plus question pour l'empire d'Alexandre Ier de chercher à faire la démonstration de son européanité tant cette dernière lui paraît désormais acquise, mais il est désormais profondément engagé dans les affaires européennes et capable de proposer à l'ensemble de l'Europe un projet politique et géopolitique ambitieux visant à libérer le vieux continent de la tyrannie napoléonienne.

Mais aussi, bien sûr, par la modernité du projet européen d'Alexandre : le concept d'une ligue pacifiste des nations européennes dans laquelle le recours à la médiation et à la négociation seraient systématiques et où l'on respecterait un certain nombre de valeurs politiques communes, l'idée que les décisions adoptées par cette ligue se substitueraient au droit national, préfigurant ainsi une construction supranationale, enfin, l'allusion, même timide, à la constitution d'une force militaire qui réunirait les forces des différentes nations adhérant à la ligue, tout ceci résonne évidemment de manière très moderne et préfigure les tentatives qui se dessineront au fil du xxe siècle.

Ces considérations géopolitiques de principe se doublent de considérations géopolitiques plus appliquées qui reprennent largement le mémorandum de Čartoryjskij. Alexandre Ier insiste tout d'abord sur la nécessité d'installer les nouveaux États dans leurs limites géographiques naturelles40 et de veiller à ce qu'ils soient composés de « peuples homogènes ». Sans aller jusqu'à se prononcer en faveur de la constitution d'États-nations en Europe, c'est bien en filigrane au principe des nationalités tel qu'il a commencé à être formulé durant la Révolution française que le tsar fait ici référence et l'on mesure ainsi, de nouveau, l'influence des idées révolutionnaires sur l'ancien élève de La Harpe.

Installés dans leurs limites naturelles et dotés de peuples homogènes, les États européens devront chercher à promouvoir entre eux un « équilibre naturel » et pour cela, il faut selon le tsar, favoriser, à côté des grandes puissances existantes, la création d'« États du second ordre » qui seront appelés à servir efficacement de contrepoids aux grandes puissances. Les notions d'équilibre et de contre-pouvoir occupent une place importante dans l'analyse et c'est dans cette perspective que se situe le projet d'une fédération des principautés allemandes qui devra se faire en dehors de l'Autriche et de la Prusse :

Il est évident que l'existence de trop petits États ne serait pas d'accord avec le but qu'on se propose, puisque, n'ayant aucune force intrinsèque, ils ne servent que d'appâts et de moyen à l'ambition, sans pouvoir être d'aucune utilité au bien général. On ne saurait remédier à cet inconvénient qu'en les réunissant à des États plus grands, ou bien en formant parmi les petits des unions fédératives. La nécessité d'enchaîner la France et de former des contre-poids pour l'Autriche et la Prusse exige que ces considérations ne soient pas oubliées relativement à l'Italie, et principalement à l'égard de l'Allemagne.41

Ainsi, tant sur le plan politique que géopolitique, le tsar de Russie livre dans ses Instructions secrètes à Novosil'cev un projet qui s'il se voulait une arme de combat antinapoléonien, constituait plus encore un plan très ambitieux de reconstruction européenne. Quel accueil ce plan reçut-il à Londres ? Et quel fut son impact réel ? C'est à ces questions majeures qu'il convient maintenant de répondre.

Arrivé à Londres au début de novembre 1804, l'émissaire secret du tsar y resta jusqu'en février 1805 et pendant près de trois mois, il s'efforça de convaincre les autorités britanniques de l'intérêt et de la pertinence des projets d'Alexandre Ier.

Dans ses Mémoires, le prince Čartoryjskij porte un jugement très sévère sur cette mission et rend Novosil'cev largement responsable de son échec :

M. de Novosiltzow trouva M. Pitt très peu préparé à écouter nos propositions et uniquement préoccupé du point de vue auquel il considérait les affaires de l'Europe. Le comte Simon, dans son admiration devant le système étroit du cabinet anglais, était toujours prêt à combattre les modifications que nous voulions introduire. Soit par suite des difficultés qui résultèrent de cet état de choses, soit par d'autres motifs, toujours est-il que M. de Novosiltzow ne s'acquitta pas d'une manière convenable de cette importante mission ; elle exigeait beaucoup de prudence, de réserve, mais aussi une grande fermeté à suivre les instructions qui lui avaient été données. Il balbutia à peine les conditions auxquelles nous attachions la plus grande importance, ne prononça pas le nom de la Pologne et ne fit aucune mention de l'état précaire de l'Europe, état causé par des iniquités qu'il fallait redresser.42

Le jugement du prince est-il justifié ? La responsabilité de l'émissaire est-elle à mettre en cause ou l'échec de la mission tint-elle à des données plus structurelles ? Dès les débuts de sa mission, Novosil'cev se montre optimiste, convaincu qu'il aboutirait en peu de temps à un succès. Ainsi trois semaines après son arrivée, il écrivait dans son rapport au tsar daté du 22 novembre qu'il estimait « très facile d'obtenir le consentement du ministère anglais à tous les principes que Votre très gracieuse Majesté compte adopter comme base de direction dans cette nouvelle alliance »43, et dans les semaines qui suivent, l'émissaire ne cesse d'intriguer pour tenter de faire entrer au sein du ministère britannique des personnalités qu'il juge favorable aux ambitions russes. Dans le même temps, à Saint-Pétersbourg, le tsar continue d'accorder une importance cruciale à la mission conduite par Novosil'cev. Dans une lettre adressée à ce dernier le 27 novembre 1804, Čartoryjskij soulignait ainsi :

[...] nous avons besoin que vous nous donniez de bonnes nouvelles. Cette attente est la seule chose sur laquelle notre Maître se rapporte toujours avec le même intérêt. Il répète toujours : « Nous verrons ce que Novossiltsev nous mandera ; il faut attendre de ses nouvelles. » En un mot, c'est à vous à remonter nos esprits. Si les Anglais ont, je ne dirai pas des sentiments généreux et exaltés, mais seulement le sens commun, il faut nécessairement qu'ils se prêtent à tout et qu'ils entrent dans nos idées, car autrement cela n'ira pas et l'Empereur ne faira [sic] que ce à quoi il sera absolument forcé, et à contre-cœur.44

Toutefois, en dépit de son volontarisme et des attentes de son souverain, Novosil'cev se heurte à la méfiance du Premier ministre britannique qui suspecte l'Empire russe de visées impérialistes sur l'Empire ottoman et refuse d'évoquer tout projet de démembrement ou de protectorat qui tournerait à l'avantage de la Russie ainsi qu'à son profond scepticisme quant à l'ambitieux projet russe de reconstruction européenne.

Certes, Pitt partage certaines des analyses géopolitiques russes. Dans l'entretien qu'il accorde à l'ambassadeur Voroncov le 30 décembre 180445, il affirme ainsi la nécessité « d'entourer la France réintégrée dans ses anciennes frontières, de grands et puissants États » et comme Alexandre, il souhaite pour ce faire, la création d'une fédération des États italiens. De même, considérant comme le tsar que Napoléon « a anéanti le droit des gens », le Premier ministre britannique se déclare également favorable à ce que le droit des gens soit garanti par une « association d'États » qui se trouvera sous la protection de la Russie et de l'Angleterre. Pour autant, Pitt n'est pas prêt à aller jusqu'à la signature d'un traité de paix imposant aux États membres des règles précises de conduite : dans son entretien du 13 décembre avec Novosil'cev, il paraît dubitatif et méfiant quant aux moyens proposés par le tsar, soulignant que « celui qui se sentira offensé et en même temps suffisamment fort, se montrera toujours peu enclin à se conformer aux décisions d'une tierce puissance »46 ; et il se contente de manière vague d'acquiescer à l'idée d'une définition « des prescriptions du droit international d'une manière exacte et positive sous forme d'un nouveau code de droit international »47, sans se prononcer en rien sur le contenu de ce code. Or, cette méfiance devait largement compromettre le volet « sécurité européenne » du projet d'Alexandre et ne déboucher que sur une alliance militaire classique.

Une première version de la convention fut élaborée à la fin de janvier 1805 puis le texte définitif, rédigé par Novosil'cev en tenant compte des desiderata de Pitt, fut signé le 30 mars 1805 à Saint-Pétersbourg par l'ambassadeur britannique en poste à la cour de Russie. Et en dépit du triomphalisme affiché par Novosil'cev, le contenu de la convention d'alliance s'avérait décevant par rapport au projet initial. Certes, en échange des 115 000 soldats que la Russie s'engageait à lancer dans la lutte contre Napoléon, l'Angleterre finançait l'effort de guerre à raison de 1 250 000 livres sterling pour chaque centaine de milliers de soldats russes ou autrichiens engagés et de ce point de vue, le texte devait jouer un rôle essentiel dans la constitution de la troisième coalition. De surcroît, conformément aux vœux des Russes, plusieurs clauses secrètes s'attelaient à la reconstruction géopolitique de l'Europe en prévoyant le retour de la France dans ses anciennes frontières, le rétablissement de l'indépendance des États occupés par Napoléon et des dédommagements territoriaux pour la Prusse et l'Autriche. Mais les autres éléments du projet d'Alexandre Ier furent soigneusement éludés ou renvoyés à plus tard.

Le succès ne fut donc pas au rendez-vous, et les années suivantes, marquées par de nouvelles avancées napoléoniennes, enterrent le projet. Mais à partir de l'invasion du territoire russe en juin 1812, le combat de la Russie contre Napoléon, devenu désormais un combat vital puisque le sort de la patrie est en jeu, relance les aspirations messianiques du tsar et son projet européen. Toutefois, le contexte a changé car Alexandre Ier a lui-même beaucoup évolué. Confronté à l'incendie de Moscou, ville sacrée du baptême des tsars, l'empereur est sujet à des crises mystiques de plus en plus aiguës qui le conduisent en 1813 à une véritable « conversion ». Écrivant à Frédéric-Guillaume de Prusse à la veille du congrès de Vienne, il souligne :

L'incendie de Moscou a illuminé mon esprit et le Jugement de Dieu m'a amené à sentir la chaleur de la foi, comme je ne l'avais jamais ressentie jusque là. À partir de ce moment, j'ai appris à connaître Dieu, tel qu'il est révélé dans la Bible, à partir de ce moment, je me suis efforcé de comprendre, comme je continue de le faire aujourd'hui, Sa Sagesse et Sa loi ; à partir de ce moment, je suis devenu un autre homme, et je dois mon propre salut et ma délivrance à la délivrance de l'Europe de sa ruine.48

C'est dans ce contexte mêlé d'aspirations messianiques, religieuses voire mystiques, d'ambitions idéalistes et d'intérêts géopolitiques que le tsar vainqueur de Napoléon s'attelle de nouveau à ses projets européens.

Fêté en vainqueur en Angleterre et en Hollande, salué par les foules françaises qui lui réservent un accueil chaleureux lors de son entrée dans Paris en 1814, Alexandre Ier participe activement et personnellement à l'élaboration de la carte européenne dessinée au fil de trois congrès successifs, le congrès de Paris de mai 1814, le congrès de Vienne qui se tient de novembre 1814 à mars 1815 et le second congrès de Paris qui entérine l'échec des Cent Jours et le retour des Bourbons sur le trône de France.

Au fil de ces trois congrès, Alexandre, soutenu dans son action par ses deux ministres, Charles de Nesselrode et Jean Capo d'Istria, et par La Harpe, ne cesse de multiplier les propositions audacieuses. Certes, la perspective est moins globale qu'en 1803-1804, et il n'est plus question de rêver à la mise en place d'un « système » pacifique. Mais le tsar favorise concrètement l'adoption d'un certain nombre de décisions, conformes à l'esprit des textes de 1803-1804.

Soucieux de ne pas anéantir la France et de garder le principe d'un État-nation, il réclame que la France puisse conserver l'Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté et la Bourgogne sur lesquelles la Prusse avait des visées ; et c'est aussi à sa demande insistante que la Restauration des Bourbons sur le trône de France, à laquelle il n'est pas initialement favorable, s'accomplit sur la base d'un texte constitutionnel - la future Charte - et dans le respect du Code civil : si le tsar a voulu en finir avec les excès napoléoniens, il n'a pas pour autant cherché à nier, voire à effacer toute l'œuvre accomplie au fil de l'épopée napoléonienne, mais il s'est au contraire efforcé de tenir compte des aspirations libérales de la nation française. De même, il est favorable à la mise en place en Suisse, d'une constitution fédérale qui sera préparée et rédigée avec l'aide de Capo d'Istria. Sur la question polonaise en revanche, ses positions sont plus ambiguës et teintées de realpolitik : pour prix de sa victoire sur Napoléon, Alexandre exige dans un premier temps la reconstitution de la Pologne sous la forme d'un royaume indépendant, lié dynastiquement à la Russie. Puis, se heurtant au refus conjugué de l'Autriche et de l'Angleterre, il en vient rapidement à entériner un nouveau partage de la Pologne particulièrement avantageux pour la Russie et bien peu conforme au principe des nationalités. Toutefois, il convient de noter que le tsar accorde à « sa » Pologne une constitution libérale et le maintien de son armée nationale49 au moment même où les gouvernements autrichien et prussien appliquent aux territoires polonais annexés un régime répressif.

En marge des congrès et de leurs décisions concrètes, Alexandre Ier ne renonce pas complètement à toute approche globale des relations internationales mais cette approche se combine désormais avec le respect du principe dynastique. En juin 1815, le tsar propose à l'empereur d'Autriche François Ier et au roi de Prusse Frédéric-Guillaume, la signature d'une Sainte Alliance qui n'est pas sans rappeler les projets de Sully et de l'abbé de Saint-Pierre : fortement motivée par des présupposés religieux - le tsar est alors sous l'influence de la baronne de Krüdener -, l'alliance proposée définit les trois États catholique, protestant et orthodoxe comme appartenant à une seule et même famille, « la nation chrétienne » et c'est à ce titre que le texte souligne la nécessité de promouvoir entre eux des relations fraternelles, harmonieuses et pacifiques en conformité avec le principe de charité chrétienne. Avec cette dimension chrétienne, radicalement nouvelle, la communauté européenne rêvée par le tsar change donc de nature et se fait de moins en moins géopolitique et de plus en plus culturelle, suscitant aussitôt la déception de La Harpe, méfiant quant à l'applicabilité du concept de fraternité religieuse en politique étrangère50.

À peine lancé, le texte suscite les sarcasmes : les Anglais y voient une « pièce de mysticisme sublime et de non-sens »51 et le pape, peu enclin à favoriser des tentations œcuméniques, s'y déclare ouvertement hostile. Mais la position alors dominante de la Russie sur la scène européenne contraint les gouvernements autrichien et prussien aux concessions et le 26 septembre 1815, la Sainte Alliance est officiellement conclue par les trois souverains non sans avoir été expurgée par le chancelier Metternich de tout ce qu'elle pouvait contenir de subversif. Ainsi de l'allusion, trop libérale à ses yeux, à la « fraternité des sujets » des trois monarques...

Pour autant, l'attachement d'Alexandre Ier à ce document ne peut être mise en doute : il s'y réfère souvent dans sa correspondance, la considère comme le couronnement du congrès de Vienne et il exigera par oukase, que son texte originel52 soit lu chaque année, à la date anniversaire de sa signature, dans toutes les églises de l'empire. Mais plus encore, il en fait dans les années suivantes, le point d'orgue de sa politique extérieure.

Fidèle à l'esprit pacifiste de la Sainte Alliance et désireux d'installer de manière concrète la paix en Europe, Alexandre Ier propose en 1816 à l'Angleterre puis à l'ensemble des puissances européennes, « une réduction simultanée des forces armées de toute sorte dont l'entretien sur le pied de guerre affaiblit la crédibilité des traités existants et constitue un lourd fardeau pour tous les peuples »53, offrant ainsi à l'histoire contemporaine européenne sa première tentative de désarmement. Mais le projet qui suscite aussitôt la méfiance du gouvernement britannique, se solde par une fin de non recevoir.

De même, Alexandre Ier se montre au début des années 1820 soucieux de prolonger l'esprit de Vienne par des sommets réguliers entre souverains et diplomates européens. Les congrès successifs d'Aix-la-Chapelle en 1818 puis de Troppau, de Laibach et enfin de Vérone en 1822, contribuent de manière bien nette à régir l'ordre européen tout en favorisant au sein des élites, l'émergence d'un sentiment d'appartenance commune. Cependant, les résultats escomptés par le tsar ne sont pas là non plus au rendez-vous : lors du congrès d'Aix-la-Chapelle, les propositions russes visant à instaurer une armée européenne de maintien de la paix n'aboutissent pas. Par la suite, à partir de 1819-1820, dans un contexte international de plus en plus troublé par les aspirations nationalistes et libérales qui s'étendent à l'Allemagne, à l'Italie et à l'Espagne, Alexandre Ier, inquiet de voir la contestation gagner « sa » Pologne, commence à évoluer vers des positions plus conservatrices et à se ranger aux arguments du chancelier Metternich pour qui l'entente européenne doit avant tout servir à garantir l'ordre politique et diplomatique existant. Et en novembre 1820, le congrès de Troppau qui signe un succès personnel du chancelier autrichien, exprime bien cette évolution conservatrice : au grand dam de la Grande-Bretagne qui se désolidarise du processus, Metternich, soutenu par Alexandre, y impose l'adoption d'un protocole légitimant le recours à une intervention militaire dans les États qui se trouveraient « menacés » de révolutions. Pour La Harpe qui dans sa Correspondance consacre un long commentaire à la question des congrès, c'en est alors fini du rôle pionnier joué par l'Empire russe dans la construction d'un ordre européen libéral : cinq ans à peine après avoir rêvé d'une Europe qui reposerait sur des valeurs de paix, de fraternité et de tolérance et sur le principe des nationalités, Alexandre Ier en vient à cautionner le maintien d'une Europe conservatrice et monarchique en lutte contre les mouvements nationaux. Les effets concrets de ce revirement ne se font pas attendre : en 1821, alors que les libéraux grecs insurgés contre la tutelle ottomane en appellent au soutien de la Russie, le tsar refuse d'intervenir au secours de ses frères orthodoxes et laisse le Sultan écraser le soulèvement : désormais, le maintien des structures étatiques existantes et la stricte prise en compte des intérêts nationaux de la Russie sont devenus les objectifs prioritaires de la diplomatie tsariste...

De cet engagement européen du tsar Alexandre Ier, quel bilan peut-on tirer ? Sur le plan des réalisations concrètes, les résultats sont évidemment décevants puisque rien n'est sorti du projet européen et des aspirations pacifistes du tsar Alexandre Ier54. Dans cet échec cinglant, l'opposition rencontrée par le tsar de la part des gouvernements anglais et autrichien n'a pas été négligeable mais il faut également souligner la contradiction intrinsèque du projet d'un tsar désireux de faire du continent européen une communauté pacifique de nations libérales tout en demeurant à la tête d'un empire multinational et absolutiste. Au-delà de cet échec, les projets européens d'Alexandre Ier attestent d'une personnalité complexe, tiraillée comme l'était le premier quart du xixe siècle entre conservatisme et modernité, voire avant-gardisme, mais ils attestent aussi d'une évolution cruciale des décideurs russes : à l'image d'Alexandre Ier, ceux-ci seront désormais et de manière durable, convaincus d'appartenir pleinement à la communauté des États européens et soucieux d'occuper une place majeure sur la scène européenne.

 

Notes :

1 Expression que Catherine II emploie très souvent pour désigner son petit-fils dans sa correspondance avec le baron Grimm.
2 Très en vogue dans la seconde moitié du xviiie siècle dans les milieux aristocratiques d'Europe.
3 Lettre du 12 mars 1796, in Correspondance générale de Frédéric-César de La Harpe et Alexandre Ier, suivie de la correspondance de F.-C. de La Harpe avec les membres de la famille impériale de Russie, 3 vol. , Neuchâtel, 1978-1980, t. I, p. 159.
4 Lettre du 9 mai 1801, in Correspondance générale..., op.cit. , t. I, p. 240.
5 Voir M.-P. Rey, Le dilemme russe, la Russie et l'Europe occidentale d'Ivan le Terrible à Boris Eltsine, Paris, Flammarion, 2002, passim.
6 Voir C. de Grunwald, « la France s'engage à reconnaître l'indépendance de la République ionienne, à entrer en pourparlers de paix avec la Turquie, à maintenir l'intégrité du royaume des Deux-Siciles, à garantir la liberté des mers et l'indépendance des gouvernants », Alexandre Ier, le tsar mystique, Paris, Amiot, 1955, p. 92.
7 Mémoires du prince Adam Czartoryski et Correspondance, Paris, Plon, 1887, t. 1, p. 292-293.
8 Comme il l'explicite très clairement dans sa lettre du 12 novembre 1801 à l'ambassadeur Simon Voroncov, citée par C. de Grunwald, op.cit. , p. 91 où il affirme : « Je m'étudierai surtout à suivre un système national, c'est-à-dire un système fondé sur les avantages de l'État et non, comme cela est souvent arrivé, sur les prédilections pour telle ou telle autre puissance. Je serai, si je le jugeais utile pour la Russie, bien avec la France, tout comme ce même intérêt me porte maintenant à cultiver l'amitié de la Grande-Bretagne. »
9 Avec l'accord de leur propriétaire auquel ils se louent. Ce qui expliquera le faible écho de la mesure : au fil du règne, 500 000 serfs passeront au rang de « cultivateurs libres », alors que l'empire russe compte alors plus de 27 millions de serfs. Cf. D. Olivier, Alexandre Ier, Prince des Illusions, Paris, Fayard, 1973, p. 75.
10 Voir Mémoires du prince Adam Czartoryski..., op.cit. , t. I, p. 312 : « Le but de la réforme fut, à l'exemple de la plupart des autres États de l'Europe, de séparer les ministères, de préciser leurs limites, d'agglomérer dans un ministère séparé les affaires d'une même espèce, d'en centraliser la gestion, et d'augmenter par là la responsabilité des principaux fonctionnaires de l'État. On espérait, entre autres résultats, que ce serait un moyen efficace pour mettre une digue aux abus, aux concussions et aux voleries sans nombre qui font la grande plaie de cet empire, si aucun moyen n'était capable en Russie d'en arrêter le cours. »
11 En décembre 1801.
12 Pour plus de détails sur ces processus d'annexion, voir M.-P. Rey, De la Russie à l'Union soviétique, la construction de l'Empire, 1462-1953, Paris, Hachette, 1994, p. 100.
13 Lettre du 7 juillet 1803, Kamennoj Ostrov, in Correspondance générale..., op.cit. , t. II, p. 44-45.
14 Cité par C. de Grunwald, op.cit. , p. 99.
15 Mémoires politiques et correspondance diplomatique de Joseph de Maistre, Paris, 1859, cité par le Grand-Duc Nicolas Mikhailovitch in Le Tsar Alexandre Ier, Paris, Payot, 1931, p. 40.
16 Enlevé à Ettenheim, dans le pays de Bade, territoire de l'Empire, cher à la famille du tsar puisque l'épouse d'Alexandre est née Louise de Bade.
17 Sur le rôle de l'abbé Piatoli aux côtés de Čartoryjskij, voir les pages que le prince lui a consacrées dans ses Mémoires, op.cit., t. I, p. 392-395. Et voir aussi la biographie de K. Waliszewski in La Russsie il y a cent ans : le règne d'Alexandre Ier (3 vol. , Paris, 1923-1925) où K. Waliszewski livre d'intéressantes remarques sur la personnalité de ce « prêtre ayant mis bas la soutane et pris femme dans l'entourage de la duchesse de Courlande », t. I, p. 143. Signalons aussi qu'il orthographie le nom de l'ancien abbé avec deux « t », soit « Piattoli ».
18 Voir sur ce point l'analyse de p. Grimsted, in The Foreign Ministers of Alexander I. Political Attitudes and the Conduct of Russian Diplomacy, 1801-1825, Berkeley, University of California Press, 1969, p. 115.
19 Cité par W. H. Zawadski, A Man of Honour, Adam Czartoryski as a Stateman of Russia and Poland, 1795-1831, Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 73.
20 Ibid.
21 Čartoryjskij précise que dans les régions qu'il faudra libérer de la tutelle française, Suisse et Pays-Bas en premier lieu, il faudra encourager l'installation d'États-nations indépendants, dotés de régimes constitutionnels et libéraux, « garants de l'équilibre général ».
22 Mémoires du Prince Adam Czartoryski..., op.cit. , t. II, p. 65.
23 Idem.
24 Cette méfiance était partagée par le prince Čartoryjskij qui écrit à son sujet, in Mémoires du Prince Adam Czartoryski..., op.cit. , t. I, p.365 : « Pour ce qui est de sa manière de considérer et d'influencer la marche des affaires, il y aurait bien quelques reproches à lui adresser. Ses fautes résultèrent de son caractère entier qui le poussait à admirer, sans réserve, l'Angleterre, ce pays le seul régi alors par des institutions libres. Le comte Simon s'attacha d'une amitié, je dirais presque d'une admiration sans limites, à M. Pitt et à quelques-uns de ses collègues. Ce sentiment trop vif l'empêcha de considérer avec impartialité la marche des événements et de saisir, en différentes occasions, les véritables intérêts, soit de la Russie, soit même de l'Europe dans l'ensemble général de sa politique. »
25 Le texte des Instructions secrètes est reproduit in extenso in Vnešnjaja Politika Rossii xix i načala xxogo veka (La politique extérieure de la Russie au xixe siècle et début du xxe siècle), série I, t. II, Moscou, 1961, p. 138-151 ; et in Mémoires du prince Adam Czartoryski..., op. cit. , t. II, p. 27-45.
26 À savoir la Russie et l'Angleterre.
27 Mémoires du Prince Adam Czartoryski..., op.cit. , t. II, p. 29.
28 Ibid., p. 28.
29 Ibid., p. 30 : « Le même principe devrait être suivi à l'égard de la Hollande, où l'on prendrait avec impartialité en considération le caractère et le vœu national, pour décider la forme de gouvernement qu'on y favorisera. »
30 Ibid., p. 29.
31 Une nouvelle fois, l'on retrouve sous la plume du tsar le terme de « nation », inconcevable pour ses prédécesseurs, plus à l'aise avec les terme de « peuple » ou de « sujets » ! Il atteste bien de l'influence sur le tsar de la philosophie des Lumières et des idées de La Harpe.
32 Mémoires du Prince Adam Czartoryski..., op.cit. , t. II, p. 31.
33 Ibid., p. 32 : « Posant comme décidé que pour le bien de l'Europe et de la France, il est nécessaire que la Constitution y soit monarchique, c'est de la part de la nation qu'on devra en attendre la proposition. »
34 Idem.
35 La tranquillité future de l'Europe.
36 Instructions secrètes, op.cit., p. 33.
37 Le terme, souligné par nous, est utilisé par le tsar, p. 34.
38 Allusion au projet de paix perpétuelle de l'abbé de Saint-Pierre rédigé en 1713 et popularisé par Rousseau.
39 Voir Instructions secrètes, op.cit., p. 35.
40 Ibid., p. 36 : « Il faudrait [...] fixer aussi aux différents pays les limites qui leur sont les plus propres. Il faudrait alors surtout s'attacher à suivre celles que la nature elle-même a indiquées, soit par des chaînes de montagnes, soit par des mers, soit enfin par des débouchés qui doivent être assurés à chacun pour les productions de son sol et son industrie. »
41 Ibid., p. 37.
42 Mémoires du Prince Adam Czartoryski..., op.cit., t. I, p. 376.
43 Cité in F. de Martens, Recueil des traités et conventions conclus par la Russie avec les puissances étrangères, Saint-Pétersbourg, 1874, vol. XI, p. 88.
44 Ibid., vol. XI, p. 94-95.
45 Ibid., vol. XI, p. 104-105.
46 Vnešnjaja Politika Rossii, op.cit., série I, t. II, p. 246.
47 Cité in F. de Martens, op.cit, vol. XI, p. 101.
48 Cité par J. Hartley, « Is Russia part of Europe ? Russian perceptions of Europe in the reign of Alexander I », Cahiers du monde russe, vol. 33, n° 4, 1992, p. 369-385.
49 Voir M.-P. Rey, De la Russie à l'Union soviétique..., op. cit. , p. 104.
50 Plusieurs passages reproduits dans la Correspondance de La Harpe attestent de sa déception devant l'évolution mystique du tsar et de sa méfiance à l'égard d'une Sainte Alliance dont il perçoit très tôt le caractère potentiellement conservateur.
51 L'expression est de Lord Castlereagh.
52 Et non le texte expurgé de Metternich.
53 Cité par J. Hartley, « Is Russia part of Europe ?... », art. cité, p. 142.
54 Et sur le plan intérieur, les tentatives de réforme, patentes au début du règne, ont également fait long feu.

 

Pour citer cet article : Marie-Pierre Rey, «  L'Europe vue par le tsar Alexandre Ier : nature, contours géographiques et organisation politique », colloque Les Premières Rencontres de l'Institut européen Est-Ouest, Lyon, ENS LSH, 2-4 décembre 2004, http://russie-europe.ens-lsh.fr/article.php3?id_article=69