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ENS Lettres et Sciences Humaines

 

 

 

Le mal du pays dans la poésie de l’émigration russe : Marina Cvetaeva et Vladimir Nabokov

Ludmila KASTLER
Université Stendhal-Grenoble III, Institut des Langues et Cultures de l’Europe et d’Amériques (EA 613), Centre d’Études Slaves Contemporains

 


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Mots-clés : exil, mal du pays, discours poétique, idéologie, littérature russe

 

Mais si ton cœur pouvait savoir
de quels chagrins le sort doit te combler
avant ton arrivée à la terre natale...
Homère,
Odyssée1

Le phénomène de la nostalgie a longtemps été considéré comme une maladie et le mot même, provenant des racines grecques nostos (retour) et algos (souffrance), portait dans les dictionnaires une mention « terme de médecine ». Ainsi, nous trouvons chez Littré2 la définition suivante : « Nostalgie. Terme de médecine. Mal du pays, dépérissement causé par un désir violent de retourner dans sa patrie. » Ulysse, le plus grand nostalgique de tous les temps, ne consumait-il pas ses jours chez la belle Calypso, versant sans cesse des larmes et ne songeant qu’à retourner en son Ithaque : « [...] il pleurait sur le cap, le héros magnanime, assis en cette place où chaque jour les larmes, les sanglots, le chagrin lui secouaient le cœur »3.

Milan Kundera, exilé lui-même, a consacré tout un chapitre de son roman L’ignorance à l’analyse linguistique et culturelle de la notion, fondamentale pour lui, de nostalgie. Il remarque à juste titre que la majorité des Européens, à côté du mot d’origine grecque (nostalgie, nostalgia), utilisent d’autres mots ayant leurs racines dans la langue nationale, mots qui possèdent, bien évidemment, des nuances sémantiques différentes : homesickness en anglais, Heimweh en allemand, heimfra en islandais, añoranza en espagnol, stesk en tchèque4.

En russe aussi, il y a le mot nostalgia qui désigne un sentiment douloureux, certes (ce n’est pas un hasard si André Tarkovski a donné à l’un de ses films les plus inspirés le titre de Nostalghia), mais plus doux que l’expression de souche proprement russe toska po rodine. Celle-ci est traduite d’habitude comme « mal du pays », traduction fatalement inexacte dans la mesure où le mot toska est difficilement traduisible dans d’autres langues. Juri S. Stepanov, dans son ouvrage Les Constantes : dictionnaire de la culture russe, signale que toska, un des concepts clés de la culture russe, remontant étymologiquement au stesnenie (serrement), correspond, dans son sens existentiel, au mot français « angoisse » provenant du latin angustia (étroitesse, gêne)5. D’autre part, selon Anna Wierzbicka, toska désigne le sentiment pénible que la personne éprouve lorsque celle-ci veut quelque chose de bon, d’indéfini et d’inaccessible6. Au cas où l’objet de cette envie est établi, c’est toujours quelque chose de perdu dont la personne garde des souvenirs imprécis : toska po rodine, toska po domu, toska po ušedšim godam molodosti (« mal du pays, souvenir nostalgique de la maison paternelle, nostalgie du temps passé de la jeunesse »). Aleksej D. Šmelev y ajoute que toska pourrait être métaphoriquement présentée comme « toska po nebesnomu otečestvu, po uterjannomu raju » (« regret mélancolique de la patrie céleste, du paradis perdu »)7.

Nous proposons d’analyser ici le concept de « mal du pays » à travers le discours poétique de Marina Cvetaeva (1892-1941) et Vladimir Nabokov (1899-1977), emportés tous les deux hors de Russie, parmi tant d’autres, par la première vague de l’émigration russe à la suite de la révolution de 1917. Nabokov, connu avant tout comme un grand romancier russophone et anglophone, n’en était pas moins un poète non négligeable. L’œuvre poétique de ces deux grandes figures de l’émigration russe est dissemblable sur tous les plans, mais elle communie dans le même thème majeur du « mal du pays », dans la même sensation très aiguë de la Russie perdue.

Le corpus de cette étude a été constitué à partir des textes poétiques de Marina Cvetaeva et de Vladimir Nabokov, créés en période d’exil : pour Cvetaeva, il s’agit des années 1922-1939, l’année de son retour inopiné en Russie soviétique ; pour Nabokov, c’est la période comprise entre 1919 et 1967, année où il écrit son dernier poème « Du Nord tout gris » (« S serogo severa »). Dix ans plus tard, il meurt à Lausanne, sans être jamais retourné en Russie, sauf en imagination, comme c’est le cas du poème « Au prince S. M. Katchourine » (« K kn. S. M. Kačurinu »), daté de 1947 et adressé à un destinataire fictif8, dans lequel, le poète, « déguisé en clergyman américain », fait un voyage imaginaire dans sa ville natale.

Nous adoptons ici la définition du texte proposé par François Rastier, à savoir « une suite linguistique empirique attestée, produite dans une pratique sociale déterminée, et fixée sur un support quelconque »9. Notre approche est donc celle de la linguistique du texte et, plus précisément, de la sémantique interprétative pour laquelle la notion de thème joue un rôle essentiel. Or, le thème est compris ici comme une structure stable de traits sémantiques, autrement dit molécule sémique, récurrente dans un corpus, et susceptible de lexicalisations diverses10. Dans cette optique, il est important d’analyser le thème du « mal du pays » à travers les réseaux de récurrences sur l’ensemble du corpus pour révéler les constituants de sa molécule sémique.

Puisque le « mal du pays » se rapporte au domaine des sentiments tout comme, par exemple, l’« ennui »11, il comporte inévitablement un actant humain, ego, le « je » ou le « héros lyrique » dans une autre terminologie. D’autre part, tout poème lyrique implique, selon la remarque de Jurij Levin, la présence d’un destinataire, d’un « tu »12. Souvent, c’est un destinataire fictif comme nous l’avons vu avec le « prince Katchourine » chez Nabokov (qui aimait beaucoup les mystifications de toute sorte) ou tout simplement imaginaire. Ainsi, Cvetaeva et surtout Nabokov interpellaient souvent la Russie comme si c’était un être animé.

Le parcours interprétatif des textes en question nous a permis d’établir les traits sémantiques suivants : « privation », « destruction », « souvenir », « enfance/jeunesse », « langue maternelle », « souffrance », « (éventuel) retour ». Tous ces traits se révèlent, à des degrés divers et dans des configurations variées, chez les deux poètes. Ceci nous permet de soutenir que Cvetaeva et Nabokov ont manifesté une similitude évidente en traitant dans leur poésie le thème du « mal du pays ».

« On n’emporte pas la patrie à la semelles de ses souliers », c’est vrai, mais on en emporte un souvenir aigu, surtout lorsque la séparation se passe d’une façon abrupte, comme c’était le cas pour des milliers de Russes soumis par l’émigration forcée à une rude épreuve de survie physique et psychologique. « Le grand exode en terre étrangère », selon le mot de Nabokov (velikij vyxod na čužbinu), fut ressenti comme une catastrophe, à en juger selon les nombreux témoignages des émigrés de la première vague qui, croyant que l’exil serait certainement provisoire, ne cessaient de rêver du « retour le plus prompt dans leur chère Patrie ».

Vladimir Nabokov avait vingt ans lorsqu’il s’est trouvé en exil. Il écrivait des vers depuis dix ans environ. À l’âge de seize ans, il avait eu « le malheur » de publier son premier recueil de poésie que ses maîtres et camarades du célèbre lycée Ténichev (Teniševskoe učilišče) à Saint-Pétersbourg soumirent à des moqueries sans pitié. C’étaient encore des vers d’adolescent écrits sous l’influence de Ivan Bunin, de Afanasij Fet et sans doute de Aleksandr Blok. La séparation avec le sol natal a fait naître chez le jeune poète un flux de poèmes sur la Russie dont le nom figure souvent dans les titres mêmes des vers et ceci jusqu’à 1939 : « À la Russie » (« Rossii ») (1921), « La Russie » (« Rossija ») (1922), « La Patrie » (« Rodina ») (1923), « À la Patrie » (« Rodine ») (1923), « La Patrie » (« Rodina ») (1927), « À la Russie » (« K Rossii ») (1928), « À la Russie » (« K Rossii ») (1939). Ce dernier poème écrit tout de suite après le pacte germano-soviétique mettra fin à ses nombreuses interpellations de sa patrie. Après, comme l’a dit Nabokov lui-même, même s’il s’adressait à la Russie, il le faisait indirectement, « par le biais des intermédiaires »13.

Le sujet de l’un de ses premiers poèmes composés en émigration alors que Nabokov faisait ses études à Cambridge était la perte de sa patrie :

Ma demeure est brûlée, les bosquets sont abattus,
là, où mon printemps s’imbibait de brouillard,
où les bouleaux étaient rêveurs et le pic-vert
cognait du bec contre les troncs... Au combat
j’ai perdu mon ami d’une perte irréparable,
puis ce fut mon tour de perdre ma patrie.14

Mihail Lotman remarque qu’autant le thème de la nostalgie est finement résolu dans la prose nabokovienne, autant dans sa poésie il est présenté de la façon la plus directe avec tous les clichés sous-jacents, y compris la nostalgie des bouleaux en robes blanches15. Ce jugement un peu sévère est, peut-être, vrai pour le Nabokov des débuts, mais avec le temps son diapason poétique devient beaucoup plus large même si, en bien des choses, il reste attaché à la tradition classique.

La poésie de Cvetaeva, au contraire, aspirait aux formes nouvelles et hardies pour ne pas dire révolutionnaires : son rythme fait penser à Vladimir Majakovskij alors que par le jeu des sons et des mots, elle se rapproche d’Andrej Belyj. D’autre part, comme le remarque Gleb Struve, l’œuvre lyrique de Cvetaeva a fait sien le souffle puissant du riche folklore russe16.

Cette dissimilitude formelle a entraîné des approches également différentes chez Nabokov et Cvetaeva dans le développement des thèmes de l’exil et de la nostalgie. Cependant, selon certains paramètres (sentiments, motifs, images), ils se rapprochent d’une façon impressionnante.

Dans les premiers temps de l’émigration qui ont mené Cvetaeva d’abord à Berlin et puis à Prague, elle écrit relativement peu sur la Russie de sorte qu’on ne trouve pas beaucoup de traces de nostalgie dans ses poèmes. Emportée par le tourbillon de « passions empoignées », elle crée ses grands poèmes d’amour, tels que « Le poème de la montagne » (« Poema Gory »), « Le poème de la fin » (« Poema konca ») . Toutefois, le « mal du pays » se révèle indirectement dans sa poésie à travers quelques éléments afférents à ce thème dont, par exemple, le motif de l’orphelin ou, plus exactement, de sirotstvo, c’est-à-dire l’état d’orphelin, l’« orphelinage », la solitude17. Le motif de l’orphelinage se réitère par exemple dans les poèmes « À Berlin » (« Berlinu ») (1922), « Arbres » (« Derev’ja ») (1922) et quelques autres.

Pendant la période tchèque, l’image de la Russie se dessinait souvent chez Cvetaeva de façon tout à fait inattendue, comme par hasard, sur un fond de tristesse. Ainsi, au milieu d’un vers, elle demande à un destinataire imaginaire de dire bonjour à Moscou, plus précisément de s’incliner, selon l’ancienne tradition russe, devant sa ville natale. À l’écrit, cette salutation est placée entre parenthèses : « Dans la brume orpheline -  deux lointains... / (Incline-toi devant Moscou !) »18.

Dans un de ses poèmes les plus pénétrants, écrit en 1925, juste avant de quitter la Tchécoslovaquie (dont elle gardera toujours la nostalgie) pour s’installer à Paris, Cvetaeva salue, en s’inclinant, le seigle russe :

Salut au seigle russe,
Au champ où la paysanne se noie dans l’ombre...
Ami ! La pluie cogne à ma fenêtre,
Et mon cœur est gagné par les malheurs...19

Il faudra enfin mentionner le poème « L’aube sur les rails » (« Rassvet na rel’sah ») (1922), dont le sujet est la reconstitution de la Russie dans la mémoire de l’auteur :

Tandis que le jour ne s’est pas levé
Avec ses passions empoignées -  
Dans toute son horizontalité
Je rétablis la Russie !20

Rétablir, reconstituer veut dire restituer dans son état d’origine, en réalité ou par la pensée, ce qui a été oublié, altéré, détruit. Là, Cvetaeva se rapproche étonnamment de Nabokov qui rêvait lui aussi, pendant de longues nuits sans sommeil, de la résurrection de la Russie martyrisée : « Russie ma mère, morte, j’ai soif de ta résurrection / et de ta vie à venir ! »21. Mais à la différence de Nabokov, dont la foi irrationnelle en la résurrection de la Russie persistait au cours des années, Cvetaeva, plus réaliste (si étrange que cela paraisse dans le cas d’un poète de tonalité romantique), comprend vite que l’exil est définitif et qu’il n’y aura pas de retour possible vers la Russie ancienne. Dans un des poèmes écrits en 1932, elle constate avec beaucoup d’amertume la disparition de la Russie où elle était née, donc sa Russie à elle :

Parcourez avec une lanterne
Tout l’univers sous la lune
Ce pays-là n’existe pas sur la carte -  
Ni dans l’espace.
Il a été bu, comme dans une soucoupe :
On voit briller le fond !
Est-ce qu’on peut retourner
Dans une maison, qui a été -  démolie ?22

Il est intéressant de noter que l’image tsvétaevienne d’une maison démolie, plus exactement, d’une maison abattue à ras de terre, fait écho aux images nabokoviennes d’une maison brûlée et d’un bosquet abattu (on peut supposer un certain parallélisme avec la cerisaie abattue de Čehov, un des auteurs très appréciés par Nabokov). En témoigne, par exemple, cette ligne du poème « Russie » de Nabokov : « mon paradis est depuis longtemps abattu et vendu... »23.

Chez Cvetaeva, la disparition de la Russie d’antan signifie la perte de sa jeunesse et, en fait, sa propre disparition telle qu’elle était autrefois :

Celle-là dont les pièces de monnaie -  
Portent l’effigie de ma jeunesse,
Cette Russie-là n’existe plus.
Tout comme moi non plus.24

Pour Nabokov qui avait sept ans de moins que Cvetaeva (d’ailleurs, celle-ci, une fois émigrée, s’est sentie vieille alors qu’elle n’avait que trente ans en 1922), la Russie perdue était liée avant tout à son enfance idyllique, dont il était brutalement coupé par l’exil. Dans son autobiographie Autres rivages, Nabokov explique : « [...] la nostalgie que j’ai nourrie toutes ces dernières années est le sentiment hypertrophié d’avoir perdu mon enfance »25. On pourrait prétendre que l’enfance est le point de départ dans tout l’univers poétique nabokovien. Très significatif à cet égard est le Poème de Paris (Parižskaja Poema), écrit en vers libres en 1943, où il souhaite ardemment que le tapis splendide de la vie soit plié de telle sorte que son dessin d’aujourd’hui vienne doubler celui d’hier :

[...] retrouver le début de ma route,
pour ramasser, venu de mon enfance,
le bout perdu d’un fil ancien.26

On comprend alors pourquoi, par rapport à sa prose où le style nabokovien atteint les sommets de la virtuosité, son langage poétique reste d’une simplicité enfantine, presque à la frontière du primitif. C’est que la poésie reste pour Nabokov un instrument unique qui lui permet de retrouver le paradis perdu de son enfance. Nous en trouvons la preuve dans le poème « La neige » (« Sneg ») (1930) :

Au moment de m’endormir
chaque fois je pense :
peut-être elle aura loisir
de me faire visite,
tout emmitouflée, ma pataude
enfance.27

On comprend également à quel point Iosif Brodskij, un autre grand exilé, représentant de la deuxième vague de l’émigration russe, avait raison en disant qu’un écrivain en exil est un être, somme toute, rétroactif, un être qui regarde plutôt en arrière. Dans son essai L’état qu’on appelle état d’exil, il parle du « mécanisme rétrospectif » qui se met en route chaque fois que l’émigré est confronté à un environnement inhabituel :

Agréable ou pesant, le passé est toujours un territoire sans danger, au moins parce qu’il est déjà vécu ; la capacité de notre espèce à retourner en arrière -  surtout dans les pensées ou dans les rêves puisque nous y sommes aussi en sécurité -  est extrêmement forte chez chacun de nous et complètement indépendante de la réalité qui nous entoure.28

Avec les années qui passaient, la sensation de l’exil devenait chez les émigrés russes de plus en plus amère. Les problèmes matériels, l’enfermement dans leur propre milieu, une intégration difficile renforçaient cette amertume. Nabokov évoque un véritable « ghetto » de l’émigration qui s’est formé à Berlin et à Paris qui, d’ailleurs, était pour lui un milieu plus culturel et plus libre que les pays où ils vivaient30. Dans Autres rivages, il souligne l’absence des liens entre les « autochtones » et les Russes émigrés : « [...] aucune communication réelle, riche d’humanité de cette sorte si répandue dans notre propre milieu, n’existait entre nous et eux »31. Il parle également de la froideur et de l’enfer bureaucratique des pays d’accueil32.

L’œuvre poétique de Cvetaeva dans les années 1930 est particulièrement imprégnée par un profond désenchantement à l’égard de tout. Ainsi, dans le petit poème « Torche » (« Lučina ») écrit en 1931, elle avoue :

Qu’il nous paraît, votre Paris,
Ville ennuyeuse et bien peu belle.
« Pourquoi ta torche, ô ma Russie,
Avec tant d’éclat brûle-t-elle ? »33

La solitude, l’incompréhension, l’humiliation, voici les composantes de l’exil chez Cvetaeva que nous trouvons concentrées dans son célèbre poème « Mal du pays » (« Toska po rodine ») (1934). Construit comme remise en cause de la notion elle-même (« Mal du pays ! Tocard, ce mal / Démasqué il y a longtemps ! »34), le poème reproduit l’état d’âme d’un poète exilé qui, en proie au désespoir, en vient jusqu’à la négation totale non seulement de sa patrie, mais aussi de sa langue maternelle :

Même ma langue maternelle
Aux sons lactés -  je m’en défie.
Il m’est indifférent en quelle
langue être incomprise et de qui !35

Nabokov, en 1939, a écrit un poème semblable par son style poignant à celui de Cvetaeva, intitulé « À la Russie » (« K Rossii »), dans lequel l’auteur supplie sa patrie de le laisser enfin en paix et de ne pas lui venir en songe ; pour cela il est prêt à renoncer à tout, même à sa langue maternelle :

À vivre mutilé, exsangue,
à ignorer mes livres les plus chers,
prêt à troquer pour un parler quelconque
ma langue natale : tout ce que j’ai.36

Mais la Russie, telle une idée fixe, ne l’abandonnait pas, la langue russe non plus. Même lorsque Nabokov devint un écrivain anglophone, il continua à écrire des vers en russe : c’était sans doute une consolation pour lui. On trouve dans la postface de Lolita son aveu : « Ma tragédie personnelle [...] c’est que j’ai dû abandonner mon idiome naturel, ma langue russe déliée, riche, infiniment docile, et adopter un anglais de seconde catégorie [...]. »37

Cvetaeva essaya, elle aussi, d’écrire dans une autre langue que le russe : dans les années 1930, elle écrit en français quelques récits, elle traduit en français ses vers, en particulier le grand poème « Le Gars ». Elle visait non seulement à trouver des nouveaux lecteurs et donc des ressources supplémentaires, mais aussi, comme le note Véronique Lossky, à lancer un défi et à surmonter les difficultés de création dans une langue qui n’était pas la sienne38. Malheureusement, aucune de ses œuvres rédigées ou traduites en français n’a été publiée de son vivant, même « Le Gars », illustré par Natal’ja Gončarova. Les échecs de cette entreprise pour publier en français ont poussé Cvetaeva encore plus loin dans son repli sur soi-même, dans l’« isoloir du cœur » (edinoličie čuvstv)39.

Iosif Brodskij décrit ainsi cet isolement du poète en exil : « [...] une des vérités de l’état que nous appelons “exil” consiste en ce qu’il accélère dans une grande mesure la fuite professionnelle -  ou le glissement -  dans l’isolement, dans une perspective absolue : vers l’état qui implique que tout ce avec quoi l’homme reste, c’est lui-même et sa langue, et entre eux il n’y a rien ni personne »40. Brodskij insiste sur le fait que pour les écrivains, l’état d’exil est avant tout un événement linguistique :

Projeté dans un ailleurs, l’écrivain se réfugie dans sa langue maternelle. Pour ainsi dire, sa langue, qui était une épée, devient son bouclier, son navire spatial. Ce qui commença par être une affaire privée et intime avec sa langue, finit par devenir, en exil, son destin, avant même qu’elle ne devienne une obsession ou un devoir.41

Or, le renoncement de Cvetaeva à sa langue maternelle qu’elle déclare dans son « Mal du pays » est certainement imaginaire et ne sert qu’à exprimer son désespoir devant cette totale incompréhension qui l’entoure. La négation de son pays natal se révèle aussi fictive, car les deux lignes qui achèvent le poème contredisent tout ce qui a été dit précédemment :

Mais si sur le chemin buissonne
Un arbre, et si c’est -  un sorbier...42

On sait bien que le sorbier était pour Cvetaeva le symbole de la Russie de son enfance. Dans une des lettres, adressées à Natal’ja Gajdukevič, retrouvées et publiées récemment et traduites en français43, Cvetaeva commente à sa correspondante le dernier vers de ce poème : « Tout le poème est -  rien que pour les deux dernières lignes [...]. Ces vers auraient pu être mes derniers »44. Elle cite ensuite son poème qui date de 1916 et clôt le cycle « Moscou » (« Moskva ») :

Grappes en feu
Sur les sorbiers
Chute des feuilles -  
Je suis née.45

La boucle s’est refermée : sorbier / enfance / Moscou -  Paris / amertume de la solitude / sorbier.

Chez Nabokov, on trouve le même cas de figure : bouleau / enfance / Pétersbourg - Montreux / souvenir du garçon qu’il était / arbre familier. Dans son dernier vers « Du Nord tout gris » (1967), le poète regarde longuement les photos prises dans les lieux où il a passé jadis son enfance, notamment Batovo et Rojdestveno, les domaines de la famille Nabokov aux environs de Saint-Pétersbourg. Il reconnaît les silhouettes des choses familières : la route de Louga, la maison à colonnes, la rivière Orodèje, un arbre surgi de la brume, et ses souvenirs d’enfance émergent de nouveau. Le poème finit avec la simplicité inouïe dont parlait Boris Pasternak :

Voyez, c’est Batovo,
Et c’est Rojdestveno.46

Marina Cvetaeva et Vladimir Nabokov étaient issus tous les deux d’un milieu nobiliaire, cultivé et libéral. Les deux poètes tournèrent le dos à la révolution et n’avaient aucune illusion à l’égard du pouvoir bolchevique. En exil, l’un et l’autre se tenaient en dehors de tout mouvement littéraire et politique. Toutefois, ils ne pouvaient pas rester complètement à l’écart des événements qui secouaient l’Europe dans les années 1930. Un certain nombre de leurs poèmes portent l’empreinte des opinions politiques auxquelles adhéraient Cvetaeva et Nabokov à cette époque. On constate que leurs positions idéologiques, initialement assez proches, se séparent sous l’influence des circonstances dans lesquelles ils se sont trouvés dans l’émigration.

Avec sa tendance à créer des mythes, bien propre à elle, Cvetaeva est restée pendant plusieurs années fidèle à l’idée de l’Armée blanche. Déjà en Russie, elle a écrit, en 1917-1920, un cycle de poèmes « Le Camp des Cygnes » (« Lebedinyj stan ») qui chantait la gloire de l’Armée des volontaires dans les rangs de laquelle combattait son mari Sergej Efron. En exil, toujours hantée par le mythe du mouvement blanc, elle écrit le poème « Perekop » sur les péripéties éprouvées par l’Armée blanche vers la fin de la guerre civile. Le poème aurait pu être édité dans la revue Volja Rossii (Liberté de la Russie), mais Cvetaeva a suspendu sa publication, sans doute, comme le note Véronique Lossky, sur l’insistance de son mari à qui d’ailleurs le poème était dédié47.

En effet, Efron, son « éternel et son bien-aimé volontaire », a fait volte-face, après avoir émigré : se repentant des erreurs de sa jeunesse, il se rallie désormais au mouvement eurasien qui prône le rapprochement avec l’Union soviétique et devient finalement le chef de l’Union pour le retour dans la patrie.

Cvetaeva était très éloignée des activités politiques de son mari ; son attitude à l’égard du régime soviétique ne changeait pas, ce que prouve entre autres, ce passage d’une de ses lettres à des amis :

Vous voulez peut-être dire qu’aux yeux de l’émigration mon hostilité vis-à-vis des bolcheviks est faible ? Je réponds à cela : c’est une autre hostilité, une hostilité différente. Les émigrés russes détestent les bolcheviks parce qu’ils ont perdu tous leurs biens, moi je les déteste parce que Boris Pasternak est peut-être empêché de se rendre dans son Marburg bien-aimé [...].48

Cependant, influencée par sa famille (les enfants ont soutenu leur père dans son désir de retourner en URSS), Cvetaeva ne pouvait pas se soustraire complètement aux incidences des orientations eurasistes de son mari. Elle, qui était au lendemain de la guerre civile le chantre de la « Vendée russe », écrit en 1932 le cycle des « Poèmes à mon fils » dans lequel elle donne sa « bénédiction » à celui-ci (Mour, son fils, avait alors sept ans) pour se rendre dans son pays, c’est-à-dire l’URSS. Quant à elle, malgré toute sa nostalgie, Cvetaeva ne voulait nullement rentrer en Russie soviétique. En fait, elle était condamnée ici et là :

Ne nous courbons pas devant les mots !
La sainte Russie est à nos aïeux, la Russie est à nous,
Pour vous -  les éclaireurs des cavernes -  
Le signal de clairon -  l’URSS [...].49

Dans le poème « Les Tchéliouskine » (« Čeluskincy ») (1934), consacré aux héros du navire Tchéliouskine, coincé dans les glaces, son imagination poétique cède à l’exaltation pour crier avec défi au-delà de toute force :

En ce jour -  Vive
l’Union soviétique !
Je tiens à vous par tous mes muscles
Et je suis, fière de vous :
Les Tchéliouskine sont russes !50

Ce poème était un défi de plus que Cvetaeva, possédant un esprit manifestement frondeur, a lancé à l’émigration parisienne, ce qui a rendu encore plus difficile leurs relations. Elle avait déjà choqué les milieux émigrés, en saluant Majakovskij lors de son passage à Paris en 1928, ainsi qu’en lui dédiant un cycle de poèmes.

Or, nous sommes témoins d’une contradiction flagrante : d’une part, l’admiration de Cvetaeva devant le mouvement blanc, son antipathie à l’égard des bolcheviks, le refus et la peur du retour en Russie soviétique ; d’autre part, sa collaboration avec la revue des eurasiens Versty (Les Verstes) -  qui portait d’ailleurs le nom de son recueil de poèmes, édité à Moscou juste avant son émigration -  , l’émerveillement devant Majakovskij, chantre de la Révolution, l’exaltation devant ces quatre lettres -  URSS. Tout porte à croire à un profond désarroi intérieur qui a affecté la poétesse et l’a finalement amenée à une catastrophe.

La seule question politique qui intéressa vraiment Nabokov pendant toute sa vie, c’était l’attitude vis-à-vis de l’Union soviétique. Il fut un des premiers à avoir fait le rapprochement entre le régime soviétique et le régime hitlérien qui s’était instauré en Allemagne en 1933. Après la signature, en 1939, par Molotov et Ribbentrop d’un « abominable pacte entre deux monstres totalitaires »51, il a écrit dans son poème « À la Russie » :

Personne -  il est trop tard ! -  ne devra plus répondre
du chagrin, des tourments, de la honte,
plus personne n’attend de pardon.52

À la fin de la guerre, Nabokov, déjà aux États-Unis, a écrit deux poèmes en russe « sur un ton ouvertement civique » (otkrovenno graždanskogo pošiba), ainsi qu’il les a qualifiés lui-même53. Le premier d’entre eux a été envoyé dans une revue new-yorkaise qui avait demandé à Nabokov d’écrire quelque chose sur la Russie. En 1944, après le grand tournant dans la guerre contre Hitler, c’était le temps d’une grande euphorie prosoviétique aux États-Unis54. Nabokov, en dépit de l’opinion publique, a cru nécessaire de se prononcer contre la réconciliation avec le régime stalinien et a écrit des paroles tout à fait intransigeantes :

Qu’importe la couleur épique
dont se pare aujourd'hui le clinquant des Soviets,
qu’importe si mon âme éclate de pitié :
Je ne céderai pas, je veux haïr sans trêve
la hideur, la cruauté, le poids
de la servitude muette. Non, oh non...55

L’autre poème, intitulé « Sur les gens au pouvoir » (« O praviteljax »), regorge de mépris à l’égard de tous ceux qui idolâtraient Staline et autres chefs (les « Mamaï », comme il les appelle). Le poète se pose la question rhétorique sur la compatibilité de la notion de pouvoir avec la notion de patrie, celle-ci étant capitale pour Nabokov :

Depuis quand
la notion de pouvoir est-elle équivalente
à celle, fondatrice, de patrie ?56

Ce poème, comme le note Nabokov lui-même, était conçu par sa forme comme une parodie de la manière d’écrire (des rimes, des intonations), propre à Majakovskij. Si Cvetaeva considérait celui-ci comme un grand poète, Nabokov parle de lui avec condescendance et mépris, quoi qu’il reconnaisse que Majakovskij n’était pas privé d’un certain éclat et d’acuité57 :

Mon défunt homonyme, celui
qui écrivait les vers à raies
et à carreaux, à l’aube du Pouvoir
Petit-bourgeois Pansoviétique,
eût-il vécu jusqu’à midi,
chercherait aujourd’hui des rimes
en « praline »
ou bien en « Achille »,
et autres de même farine.58

Les deux dernières rimes sous-entendaient Staline et Churchill.

Jusqu’à la fin de sa vie Nabokov est resté hostile à l’URSS et ne s’est jamais résigné à l’existence du régime soviétique.

Parmi les quelques composantes qu’implique la notion de mal du pays, il y en a une qui suppose un éventuel retour dans le pays natal. Au cas où il s’agit de l’exil politique, ce qui était évident pour la première vague de l’émigration russe, le retour présupposait la conversion des opinions politiques. Ni Cvetaeva ni Nabokov n’ont changé leurs prises de position à l’égard du pouvoir soviétique. Les hésitations de Cvetaeva et, finalement, son retour en URSS ont été dictés par les circonstances familiales et non pas par ses convictions. Elle restait absolument lucide sur cette question, ce que prouvent ses propres paroles, très connues actuellement : « Tout me pousse vers la Russie où je ne peux pas aller. Ici je suis inutile. Là-bas je suis impossible. »59

Quant à Nabokov, lorsqu’en 1962, on lui a posé la question de savoir s’il n’envisageait pas son retour en Russie, il a répondu : « Je n’y retournerai jamais pour cette simple et bonne raison que toute la Russie qui m’est nécessaire est toujours avec moi : la littérature, ma langue et mon enfance russe. »60

Au début de l’exil, Nabokov a écrit dans un vers « Crois-moi, tous retourneront dans la patrie »61. La prophétie du poète s’est réalisée. Et Nabokov et Cvetaeva, comme beaucoup d’autres poètes et écrivains de l’émigration russe, sont rentrés en Russie avec leurs livres, dans la littérature russe, qui dorénavant reste un tout indivisible.

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Notes

1 Homère, Odyssée, V. Bérard (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1955, t. 1, p. 152.
2 É. Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, Hachette, 1881.
3 Homère, Odyssée, op.cit., t. 1, p. 146.
4 M. Kundera, L’ignorance, Paris, Gallimard, 2003, p. 11-12.
5 J. S. Stepanov, Konstanty : slovar’ russkoj kul’tury (Les Constantes : dictionnaire de la culture russe), Moscou, Akademičeskij Proekt, 2004, p. 896-910.
6 A. Wierzbicka, Semantics, Culture and Cognition : Universal Human Concepts in Culture-Specific Configurations, New York, Oxford University Press, 1992, p. 172-173.
7 A. D. Šmelev, Russkaja jazykovaja model’ mira (Le modèle du monde linguistique russe), Moscou, Jazyki slavjanskoj kul’tury, 2002, p. 92.
8 G. Glušanok, « Nabokov v roli Nabokova » (« Nabokov dans le rôle de Nabokov »), in V. V. Nabokov : Pro et contra, Saint-Pétersbourg, Izdatel’stvo Hristianskogo gumanitarnogo instituta, 2001, t. 2, p. 142.
9 F. Rastier, Arts et sciences du texte, Paris, PUF, 2001, p. 21.
10 F. Rastier, op. cit., p. 197.
11 Voir l’analyse de ce thème chez F. Rastier, op. cit., p.197-201.
12 J. I. Lévine, « Le statut communicatif du poème lyrique », in J. Lotman et B. Ouspenski (éd.), Travaux sur les systèmes de signes. École de Tartu, trad. du russe A. Zouboff, Bruxelles , Éditions Complexe, 1976, p. 205.
13 G. Glušanok, op. cit., p. 137.
14 Traduction des passages poétiques : Claude Kastler.
«Дом сожжен и вырублены рощи, / где моя туманилась весна, / где березы грезили и дятел / по стволу постукивал ... В бою / безысходном друга я утратил, / а потом и родину мою» (V. Nabokov, Kaplja solnca v venčike stiha [Une goutte de soleil dans la corolle du vers], Moscou, Eksmo-press, 2000, p. 149).
15 M. Lotman, « A ta zvezda nad Pulkovom... Zametki o poezii i stihosloženii V. Nabokova » (« Et cette étoile au-dessus de Poulkovo... À propos de la poésie et de la métrique de V. Nabokov »), in V. V. Nabokov : Pro et contra, Saint-Pétersbourg, Izdatel’stvo Hristianskogo gumanitarnogo instituta, 2001, t. 2, p. 214.
16 G. Struve, Russkaja literatura v izgnanii (La littérature russe en exil), Paris, YMCA Press, 1984, p. 149-150.
17 Voir l’extrait de son premier vers qu’elle a écrit à son arrivée à Berlin en 1922 : «Час безземельных братств. / Час мировых сиротств.» (« Heure des fraternités sans terre. / Heure des orphelinages du monde ») M. Cvetaeva, Après la Russie, trad. B. Kreise, Paris, Payot & Rivages, 1993, p. 23.
18 «В сиром мороке -  две дали... / (Поклонись Москве!)» (M. Cvetaeva, Sočinenija v dvuh tomah, Moscou, Hudožestvennaja literatura, t. I, 1980, p. 219.
19 «Русской ржи от меня поклон, / Ниве, где баба застится. / Друг! Дожди за моим окном, / Беды и блажи на сердце...» (M. Cvetaeva, Stihotvorenija i poemy, New York, Russica, t. 3, 1983, p. 126).
20 M. Cvetaeva, Après la Russie, op. cit., p. 62.
«Покамест день не встал / С его страстями стравленными -  / Во всю горизонталь / Россию восстанавливаю!» (M. Cvetaeva, Stihotvorenija i poemy, New York, Russica, t. 3,1983, p. 44).
21 «Родная, мертвая, я чаю воскресенья / и жизнь грядущую твою!» (V. Nabokov, Kaplja solnca v venčike stiha, Moscou, Eksmo-press, 2000, p. 291).
22 V. Lossky, Marina Tsvétaeva. Un itinéraire poétique, Paris, Solin, 1987, p. 261.
«С фонарем обшарьте / Весь подлунный свет. / Той страны на карте - / Нет, в пространстве - нет. / Выпита как с блюдца: / Донышко блестит! / Можно ли вернуться / В дом, который - срыт?» (M. Cvetaeva, Stihotvorenija i poèmy, New York, Russica, t. 3, 1983, p. 168-169).
23 «Мой рай уже давно и срублен, и распродан...» (V. Nabokov, Kaplja solnca v venčike stiha, Moscou, Eksmo-press, 2000, p. 290).
24 V. Lossky, op. cit., p. 262.
«Той, где на монетах -  / Молодость моя, / Той России -  нету. / -  Как и той меня» (M. Cvetaeva, Stihotvorenija i poemy, New York, Russica, t. 3, 1983, p. 169).
25 V. Nabokov, Autres rivages. Autobiographie, trad. de l’anglais Y. Davet, Paris, Gallimard, 1991, p. 92.
26 V. Nabokov, Poèmes et problèmes, trad. du russe et de l’anglais H. Henry, Paris, Gallimard, 1999, p. 142-143.
« [...] очутиться в начале пути, / наклониться -  и в собственном детстве / кончик спутанной нити найти» (V. Nabokov, Kaplja solnca v venčike stiha, Moscou, Eksmo-press, 2000, p. 335).
27 Ibid., p. 72-73.
«Отходя ко сну, / всякий раз думаю: / может быть, удосужится / меня посетить / тепло одетое, неуклюжее / детство мое» (V. Nabokov, Sobranie sočinenij russkogo perioda v 5 tomah (Œuvres de la période russe en cinq tomes), Saint-Pétersbourg, Simpozium, t. 2, 2001, p. 553).
28 I. Brodskij, O skorbi i razume. Sočinenija Iosifa Brodskogo (L’affliction et la raison. Œuvres de I. Brodski), Saint-Pétersbourg, Puškinskij fond, 2003, t. 6, p. 32-33.
29 Voir note 34.
30 B. Boyd, Vladimir Nabokov : amerikanskie gody (Vladimir Nabokov : les années américaines), Moscou, trad. de l’anglais, Saint-Pétersbourg, Izdatel’stvo Nezavisimaja Gazeta, Izdatel’stvo Simpozium, 2004, p. 193.
31 V. Nabokov, Autres rivages. Autobiographie, op. cit., p. 348.
32 Ibid., p. 349.
33 M. Cvetaeva, Poèmes, op. cit., p. 221.
«Что скучным и некрасивым / Нам кажется ваш Париж. / « Россия моя, Россия, / Зачем так ярко горишь?» (M. Cvetaeva, Stihotvorenija i poemy, New York, Russica, t. 3, 1983, p. 148).
34 «Тоска по родине! Давно / Разоблаченная морока!» (M. Cvetaeva, Sočinenija v dvuh tomah, Moscou, Hudožestvennaja literatura, t. I, 1980, p. 322).
35 M. Cvetaeva, Le ciel brûlé, suivi de Tentative de jalousie, trad. p. Léon et É. Malleret, Paris, Gallimard, 1999, p. 197.
« Не обольщусь и языком / Родным, его призывом млечным. / Мне безразлично на каком / Непонимаемой быть встречным!» (M. Cvetaeva, Sočinenija v dvuh tomah, Moscou, Hudožestvennaja literatura, t. I, 1980, p. 322).
36 V. Nabokov, Poèmes et problèmes, op. cit., p. 112-113.
« Обескровить себя, искалечить, / не касаться любимейших книг, / променять на любое наречье / все, что есть у меня, -  мой язык» (V. Nabokov, Kaplja solnca v venčike stiha, Moscou, Eksmo-press, 2000, p. 328).
37 V. Nabokov, « À propos d’un livre intitulé Lolita », in V. Nabokov, Lolita, trad. de l’anglais M. Couturier, Paris, Gallimard, 2001, p. 468.
38 V. Lossky, op.cit., p. 227.
39 M. Cvetaeva, Le Ciel brûlé..., op cit., p. 196.
40 I. Brodskij, op. cit., p. 55.
41 Ibid.
42 M. Cvetaeva, Le ciel brûlé..., op. cit., p. 197.
«Но если по дороге -  куст / Встает, особенно -  рябина...» (M. Cvetaeva, Sočinenija v dvuh tomah, Moscou, Hudožestvennaja literatura, t. 1, 1980, p. 323).
43 M. Cvetaeva, Lettres du grenier de Wilno, trad. E. Amoursky, Paris, Éditions des Syrtes, 2004.
44 Ibid., p. 108.
45 M. Cvetaeva, Poèmes, trad. H. Abril, Paris, Librairie du Globe, 1993, p. 47.
«Красною кистью / Рябина зажглась. / Падали листья, / Я родилась» (M. Cvetaeva, Sočinenija v dvuh tomah, Moscou, Hudožestvennaja literatura, t. 1, 1980, p. 63).
46 V. Nabokov, Poèmes et problèmes, op. cit., p. 173.
«Вот это Батово. / Вот это Рождественно» (V. Nabokov, Kaplja solnca v venčike stiha, Moscou, Eksmo-press, 2000, p. 345).
47 V. Lossky, op. cit., p. 200.
48 M. Razumovsky, Marina Tsvetaieva. Mythe et réalité, trad. A. Pletnioff-Boutin, Montricher (Suisse), Les Éditions Noir sur Blanc, 1988, p. 309.
49 «Да не поклонимся словам! / Русь - прадедам, Россия - нам, / Вам -  просветители пещер - / Призывное: СССР [...]» (M. Cvetaeva, Sočinenija v dvuh tomah, Moscou, Hudožestvennaja literatura, t. 1, 1980, p. 307).
50 V. Lossky, op. cit., p. 266.
«Сегодня -  да здравствует / Советский Союз! / За вас каждым мускулом / Держусь -  и горжусь: / Челюскинцы -  русские!» (M. Cvetaeva, Sočinenija v dvuh tomah, Moscou, Hudožestvennaja literatura, t. 1, 1980, p. 321).
51 G. Glušanok, op. cit., p. 136.
52 V. Nabokov, Poèmes et problèmes, op. cit., p. 114-115.
«И за горе, за муку, за стыд / -  поздно, поздно! -  никто не ответит, / и душа никому не простит» (V. Nabokov, Kaplja solnca v venčike stiha, Moscou, Eksmo-press, 2000, p. 329).
53 G. Glušanok, op. cit., p. 137.
54 B. Boyd, op. cit., p. 76.
55 V. Nabokov, Poèmes et problèmes, op. cit., p. 144-145.
«Каким бы полотном батальным ни являлась / советская сусальнейшая Русь, / какой бы жалостью душа ни наполнялась, / не поклонюсь, не примирюсь / со всею мерзостью, жестокостью и скукой / немого рабства -  нет, о, нет [...]» (V. Nabokov, Poèmes et problèmes, op. cit., p. 144).
56 Ibid., p. 146-147.
«С каких это пор / понятие власти стало равно / ключевому понятию родины?» (V. Nabokov, Poèmes et problèmes, op. cit., p. 146).
57 B. Boyd, op. cit., p. 104.
58 V. Nabokov, Poèmes et problèmes, op. cit., p. 150-151.
«Покойный мой тезка, / писавший стихи и в полоску / и в клетку, на самом восходе / всесоюзно-мещанского класса, / кабы дожил до полдня, / нынче бы рифмы натягивал / на «монументален», / на «переперчил» -  / и так далее» (V. Nabokov, Poèmes et problèmes, op. cit., p. 150).
59 V. Lossky, op. cit., p. 266.
60 V. Nabokov, Kaplja solnca v venčike stiha, Moscou, Eksmo-press, 2000, p. 57.
61Верь: вернуться на родину все (V. Nabokov, Kaplja solnca v venčike stiha, Moscou, Eksmo-press, 2000, p. 293.

 

Pour citer cet article : Ludmila Kastler, « Le mal du pays dans la poésie de l’émigration russe : Marina Cvetaeva et Vladimir Nabokov », Lyon, ENS LSH, 2-4 décembre 2004, http://russie-europe.ens-lsh.fr/article.php3?id_article=64